Belphégor Littérature populaire et culture médiatique 15-2 | 2017 Middlebrow Pl
Belphégor Littérature populaire et culture médiatique 15-2 | 2017 Middlebrow Plaisirs et fictions dans la chanson française Isabelle Marc Electronic version URL: http://journals.openedition.org/belphegor/997 DOI: 10.4000/belphegor.997 ISSN: 1499-7185 Publisher LPCM Electronic reference Isabelle Marc, « Plaisirs et fictions dans la chanson française », Belphégor [Online], 15-2 | 2017, Online since 14 December 2017, connection on 06 December 2018. URL : http://journals.openedition.org/ belphegor/997 ; DOI : 10.4000/belphegor.997 This text was automatically generated on 6 December 2018. Belphégor est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Plaisirs et fictions dans la chanson française Isabelle Marc 1 En France, la culture – sa nature, ses acteurs, ses pratiques, son marché – constitue un enjeu national sur le plan symbolique, politique et économique. La question de la ‘culture moyenne’ s’avère en conséquence cruciale. En effet, comme le signalent pertinemment Diana Holmes et David Looseley dans un ouvrage récent sur le statut de la culture ‘populaire’ dans la France contemporaine (Holmes et Looseley 2013 : 230-234), bien que souvent assimilée à la médiocrité ou à la banalité, à une sorte d’arrivisme culturel, la culture moyenne est non seulement appréciée par une majorité de la population mais elle est aussi partiellement légitimée par les institutions. Elle pourrait à ce titre contribuer à concilier la haute culture traditionnelle (exigeante et vraie pour ses partisans, imposée, élitiste et désincarnée pour ses critiques) et la culture populaire (jugée superficielle, standardisée et peu réflexive pour ses détracteurs, authentique et libératrice pour ses défenseurs), surtout dans le contexte des mutations profondes subies par la France au cours des soixante dernières années. 2 À l’instar d’autres genres d’origine populaire, qui ont par la suite été canonisés par le public et par une partie de la critique journalistique et académique – certains genres littéraires, cinématographiques et télévisuels –, la chanson française, notamment celle qui se situerait dans l’héritage de la chanson à textes, la ‘bonne’ chanson française, constitue l’un des exemples notoires de la culture moyenne en France. Le devenir critique de la chanson, retracé avec acuité par le professeur britannique David Looseley (Looseley 2013a, Looseley 2003), en dit long sur la chanson elle-même, mais aussi sur les enjeux de la culture française en général. À la fois objet culturel et produit commercial, elle a été considérée tantôt comme un ‘art véritable’ (entendons, légitime, élevé) tantôt comme un ‘art mineur’1, mais aussi comme un ‘art moyen’ (Bourdieu 1979). 3 En revanche, du point de vue des publics, le succès de la chanson en France est incontestable : les classiques des années 1950-1960, aussi bien auteurs-compositeurs- interprètes (ACI) (Brel, Brassens, Ferré, Trenet, Moustaki, Barbara…) que ‘simples’ interprètes (Piaf, Montand…), font partie du patrimoine culturel national. La popularité Plaisirs et fictions dans la chanson française Belphégor, 15-2 | 2017 1 de leurs successeurs, d’Alain Bashung à Louane en passant par Jean-Jacques Goldman ou Olivia Ruiz, est attestée par leur visibilité médiatique et surtout par la place privilégiée qu’ils occupent sur les listes de meilleures ventes2. Aujourd’hui, la chanson jouit de l’attention et souvent aussi de l’estime des médias ainsi que de l’appui des pouvoirs publics (quotas radiophoniques, subventions diverses). Consommée et appréciée par un public très vaste, la chanson se présente ainsi comme un objet protéiforme, hétérogène, aux contours flexibles, aussi bien d’un point de vue stylistique3 que d’un point de vue de sa considération critique. Cette absence de caractérisation précise la situe dans un entre- deux qui fluctue entre les univers traditionnels de la culture populaire, conçue comme synonyme de la culture de masse, et de la culture élevée ou légitime, un espace symbolique et toutefois réel que nous voulons ici désigner comme culture moyenne. Or, comme nous allons essayer de le démontrer, cet espace ne constitue pas une étape intermédiaire entre les deux pôles sur l’échelle de la légitimité artistique mais possède des caractéristiques qui lui sont propres et qui sont intimement liées à l’éthos contemporain. 4 Le présent travail n’aspire pas à offrir une vision exhaustive de la chanson comme ‘art du milieu’ par rapport à l’échelle d’évaluation esthétique, mais plutôt à explorer ce qui, dans sa forme et sa configuration, peut faire appel à un public vaste, que l’on pourrait dénommer le public moyen, situé aussi bien entre les extrêmes socioéconomiques qu’entre les goûts et les pratiques culturelles minoritaires4. Pour ce faire, nous adopterons une perspective esthétique en donnant en premier une définition du concept de chanson pour en offrir ensuite une vision immanente comme source de plaisir pour l’auditeur moyen en interrogeant les mécanismes expressifs et notamment narratifs de la chanson comme facteur clé de son succès auprès d’un public large et socialement hétérogène. Définitions 5 Pour comprendre les enjeux de la chanson en France il convient d’abord de s’interroger sur la polysémie du terme. En effet, d’une part, la chanson est une forme, neutre d’un point de vue idéologique, consistant en une composition brève enregistrée, d’environ trois minutes, faite de mots et de musique, et transposable dans plusieurs langues et cultures (song en anglais, canción en espagnol)5. D’autre part, et parallèlement, le terme de chanson fait référence à un genre codifié dans la pratique discursive, celui de la ‘chanson française’, riche en connotations de tout ordre, comme nous allons le voir, et qui n’a pas toujours d’équivalent dans d’autres aires culturelles (le mot chanson, en italique, est conservé en anglais et souvent en espagnol). 6 En 1979, à partir de données sociologiques datant des années 1960, Pierre Bourdieu décrivait la chanson comme un ‘art moyen’, la situant ainsi dans l’intermédiaire entre la musique légitime, appréciée par les classes disposant d’un capital culturel supérieur, et la musique de divertissement, consommée par les classes populaires et la petite bourgeoisie. Cet art moyen ne désignait pas la forme chanson en général mais la production de certains artistes (Brassens, Douai) qui proposeraient une sorte de ‘poésie populiste’ (Bourdieu 1979 : 65), perçue par les détenteurs du capital culturel comme plus légitime que celle des chanteurs plus ‘populaires’ tels que Tino Rossi, Aznavour, Adamo ou Petula Clark. Les constats de Bourdieu attestent du – et contribuent au – processus de légitimation consolidé dans les années 1960, notamment avec l’inclusion d’un certain Plaisirs et fictions dans la chanson française Belphégor, 15-2 | 2017 2 nombre d’auteurs compositeurs interprètes (ACI) dans la collection ‘Poètes d’aujourd’hui’ puis ‘Poésie et chanson’ chez l’éditeur Seghers, et qui a consisté d’une part à considérer la chanson comme une évolution de l’histoire littéraire (Canteloube-Ferrieu 1981, Ferrier 2012) et d’autre part comme un survivant de la tradition poétique orale (Zumthor 1983), la situant au-dessus des autres formes de chanson jugées trop divertissantes et/ou trop commerciales, comme le yé-yé. À l’issue de ce processus de légitimation, le genre s’est figé comme synonyme de la ‘chanson d’auteur’, ‘chanson poétique’ ou ‘chanson à texte’. Pour David Looseley, dans les années 1950-1960 et en lignes générales jusqu’au développement des radios FM, la chanson serait définie par son caractère artisanal, sa volonté artistique et ses aspirations intellectuelles, sa valorisation du direct, la qualité de ses paroles, son ton sincère et sa volonté critique, parfois même didactique, et l’attitude active de son auditoire (‘lyrics, critical listening, live performance, creativity and sincerity, and consciousness-raising or even education’ (Looseley 2003 : 70). Elle serait donc opposée à la musique commerciale, identifiée en France aux musiques anglo- américaines et à leur adaptation française, la variété (Looseley 2003 : 81)6. L’esthétique idéaliste de l’auteur serait ainsi greffée sur la chanson, notamment à partir de la figure de l’ACI, omettant tout aspect industriel ou commercial. Dans cette codification, la chanson, bien plus qu’une simple forme, serait devenue un ‘produit national authentique’, contribuant à la configuration de l’identité française face aux dangers de la modernisation et de l’américanisation. 7 Or, plus de cinquante ans après l’âge d’or de la ‘chanson à texte’ et des ACI, les publics, les pratiques musicales et la perception des genres ont logiquement beaucoup évolué. Premièrement, du point de vue des auditeurs, les démarcations sociales et culturelles identifiées par Bourdieu semblent aujourd’hui dépassées, notamment en raison du ‘boom musical’ (Donnat 2004) survenu grâce à la généralisation des nouvelles technologies de diffusion musicale (hi-fi, baladeurs puis MP3, streaming…) dans la société française et qui a rendu la musique omniprésente dans les instances du quotidien. Ainsi, les distinctions de goût ne correspondent plus à des classes sociales concrètes mais sont plutôt caractérisées par l’éclectisme et l’individualisme : ‘Le fait de pouvoir écouter tous les genres de musique possibles, quand on veut et où on veut, a contribué à modifier considérablement le statut des œuvres et la hiérarchie des genres musicaux. Les facilités d’écoute offertes par les progrès technologiques ont permis une relative généralisation des mécanismes de distinction qui, il n’y a pas si longtemps, étaient l’apanage des seuls mélomanes : le fait de personnaliser son univers musical en puisant dans une large palette de goûts est devenu une possibilité offerte à tous.’ (Donnat 2004 : 93). 8 Par ailleurs, il semblerait que la distinction, et donc le capital uploads/s3/ plaisirs-et-fictions-de-la-chanson-francaise-marc-2017.pdf
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- Publié le Mar 04, 2022
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