Monsieur Léon Vandermeersch Origine et évolution de l'achilléomancie chinoise I

Monsieur Léon Vandermeersch Origine et évolution de l'achilléomancie chinoise In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 134e année, N. 4, 1990. pp. 949- 963. Citer ce document / Cite this document : Vandermeersch Léon. Origine et évolution de l'achilléomancie chinoise. In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 134e année, N. 4, 1990. pp. 949-963. doi : 10.3406/crai.1990.14929 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1990_num_134_4_14929 COMMUNICATION ORIGINE ET ÉVOLUTION DE L'ACHILLÉOMANCIE CHINOISE, PAR M. LÉON VANDERMEERSCH Le premier des 13 canons du confucianisme, et assurément le plus important de par le nombre immense des commentaires qu'il a sus cités, est le canon de la divination par l'achillée — de Vachilléomancie — , appelé Canon des mutations (Yijing). Dans la forme sous laquelle il nous est parvenu, et qui date de la fin du Ier millénaire av. J.-C, le canon proprement dit, mis à part les dix chapitres de commentaires les plus anciens désignés comme ses dix ailes, compte les trois parties suivantes : 1 ° 64 hexagrammes algorithmiques (gua) formés chacun de six mono grammes superposés, réalisés soit par un trait continu — ce sont les monogrammes mâles ou yang —, soit par deux tirets success ifs — ce sont les monogrammes femelles ou yin. L'ensemble de ces 64 hexagrammes constitue le système exhaustif de toutes les combinaisons possibles, six par six, des monogrammes yang et/ou yin, combinaisons au nombre de 26 = 64. 2° Un chiffrage numérique (shuxiang) de chaque monogramme de chaque hexagramme, par 9 s'il est yang ou par 6 s'il est yin. Le nombre 9 représente l'impair — yang —, par excellence, et le nom bre 6 le pair — yin —, par excellence. 3° Une série de clausules oraculaires (zhou) rapportées une par une à chaque hexagramme et à chaque monogramme de chaque hexa gramme, et donc au nombre de 64 + 64x6 = 448, plus deux clau sules spéciales rapportées l'une au nombre 9 en général et l'autre au nombre 6 en général, soit au total 450 clausules. En voici deux exemples : « On marche sur la queue du tigre. Il ne mord pas. Succès » (hexagramme n° 10). « Le souverain Yi marie sa sœur cadette. Par là est réalisé un bonheur de premier ordre » (5e monogramme, femelle et donc chiffré 6, de l'hexagramme n° 11). Comment procède-t-on à la divination suivant ce canon ? Supposons que l'on se demande quel sera l'avenir d'un enfant qui vient de naître, ou si l'on doit s'engager dans telle entreprise que semblent appeler les circonstances présentes, ou si tel mariage proposé aura d'heureus es conséquences, ou s'il est avantageux de confier à telle personne une certaine affaire ; on fait alors tirer au sort un hexagramme par un 950 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS s? 5 R «s «c RU £ g R *?■ st £ *f> £ Sî|i$RI£iÇtJ*i£ îi£ Jf* ttlt^HKK ±T±T ±T ±T±T±T±T±T±T±T±T±T±T ±T±T ±T fi* a* **«*«»»#* S Bit E * * ±T±T ±T±T±T±T±T±T±T±T±T±T±T ±T±T±T •SK ^4, ^ » g m m ¥ s w * « s Am m m R * # JStX HR ftft ftêSa f? ft RRSIP ftH i* * «: K «$Sft«^ *f * ÏK ±T±T±T±T±T±T±T±T±T±T±T±T±T±T±T±T 5 S F». 1. En haut : Les soixante-quatre hexagrammes algorithmiques du Canon des mutations (Yijing), constituant le système de toutes les combinai sons possibles de six monogrammes yang : et/ou yin : . Au-dessus de chaque hexagramme est noté son nom, et au-dessous sont notés les noms du trigramme inférieur et du trigramme supé rieur en lesquels il se décompose. En bas : Les huit trigrammes constituant le système de toutes les combi naisons possibles de trois monogrammes yang ou yin, et en lesquels la spéculation divinatoire décompose les hexagrammes. L'ACHILLÉOMANCIE CHINOISE 951 spécialiste. Le spécialiste — Yachilléomancien — opère sur une masse de 50 tiges d'achillée, diminuée d'une unité, par des partages au hasard successifs obéissant à des règles de manipulation compliquées, de manière à écarter plusieurs fois de suite certaines quotités aléatoires et à obtenir finalement un reste qui ne peut être, en raison des règles appliquées, que de 36, 32, 28 ou 24 tiges. Ce reste est considéré comme signifi catif de l'un des nombres 9, 8, 7 ou 6, dont il est le quadruple. Dans le cas du 7 ou du 9, impairs, le résultat sera un monogramme yang ; et dans le cas du 6 ou du 8, pairs, un monogramme yin. Répétée six fois, l'opération aboutit à l'extraction d'un hexagramme censé repré senter l'ensemble des déterminations cosmiques commandant les événe ments à partir de la situation donnée, et donc sous l'empire desquelles l'avenir de l'enfant considéré, le résultat de l'entreprise envisagée, les conséquences du mariage proposé, la conduite de la personne pres sentie pour être mandatée, tourneront nécessairement bien ou mal. Si l'hexagramme est favorable, on va choyer l'enfant, engager l'entreprise, conclure le mariage, mandater la personne. S'il est défavorable, on se séparera de l'enfant ou on prendra des précautions à son encontre, on renoncera à l'entreprise, on refusera le mariage, on retirera le mandat. Comment reconnaît-on si l'hexagramme est favorable ? C'est là l'affaire du spécialiste. Celui-ci interprète l'hexagramme dans ses particularités — et notamment les positions respectives des monogrammes yin et yang —, en tenant compte de tout ce qui est connu comme facteurs de destinée des personnes en cause et comme caractéristiques cosmolo giques de la conjoncture. De plus, il prend en considération — et c'est de là que vient le nom de Canon des mutations donné au manuel cano nique de l'achilléomancie —, la tendance des hexagrammes à se trans former les uns dans les autres. Un point essentiel de la théorie est en effet que le jeune yang, 7, croît jusqu'à 9, vieux yang, puis se trans forme en jeune yin, 8, et que le jeune yin, 8, décroît jusqu'à 6, vieux yin, puis se transforme en jeune yang 7. Il s'en suit qu'un monogramme yang obtenu par tirage au sort du nombre 7 tend à rester yang, mais qu'il tend à devenir yin s'il a été obtenu par tirage au sort du nombre 9 ; et qu'un monogramme yin obtenu par tirage au sort du nombre 8 tend à rester yin, mais qu'il tend à devenir yang s'il a été obtenu par tirage au sort du nombre 6. Dans ces conditions, à l'hexagramme obtenu dire ctement par tirage au sort — hexagramme primaire (bengua) —, corre spond un hexagramme secondaire (zhigua), en général différent, résul tant du renversement de yang en yin des monogrammes de valeur 9, et du renversement àtyin en yang des monogrammes de valeur 6. Seuls ne changent pas les hexagrammes formés à partir de l'obtention, par le tirage au sort, des nombres 7 et/ou 8 exclusivement. Dans son inter prétation, le spécialiste considère à la fois l'hexagramme primaire et l'hexagramme secondaire, et privilégie soit l'un soit l'autre, ainsi que 952 COMPTES RENDUS DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS tel ou tel de leurs monogrammes, suivant les règles d'une mantique très compliquée. Et naturellement il tire parti des clausules oraculai- res canoniques qui s'appliquent à l'un et l'autre hexagramme ainsi qu'à tel ou tel monogramme retenus comme importants. Tels sont les principes de l'achilléomancie. Mon propos n'est pas ici d'examiner plus en détail la pratique effective de ces principes, mais de rechercher d'où vient, historiquement, cette forme particulièrement raffinée de divination. Autrement dit, d'essayer de reconnaître ce qu'a pu être la forme originelle de l'achilléomancie — la proto-archilléomancie —, et de voir comment celle-ci a pu évo luer jusqu'à l'achilléomancie canonique que je viens de décrire. La genèse de l'achilléomancie pose en effet un problème ; car ce qu'en laisse entrevoir l'archéologie — et cela surtout depuis la découverte en 1977 d'une série de pièces divinatoires inscrites d'hexagrammes numériques —, ne correspond pas du tout à ce qu'en dit la tradition. Voyons d'abord ce que dit la tradition. Pour la tradition, le Canon des mutations aurait été construit par inven tions successives de ses parties constituantes dans l'ordre même où elles y sont présentées : d'abord, invention d'un système de représentation des réalités par les symboles graphiques que sont les monogrammes yin etyang, combinés en trigrammes puis recombinés en hexagrammes ; ensuite, invention d'une méthode de calcul numérique divinatoire de ces symboles, appuyée sur leur chiffrage en nombres pairs et impairs ; enfin, composition des clausules oraculaires explicitant la symbolique générale du système. L'invention des monogrammes yin etyang et de leurs combinaisons en trigrammes serait due au premier empereur légen daire de la Chine, Fuxi, la recombinaison des trigrammes en hexa grammes étant portée au crédit tantôt de Yu le Grand, père du fonda teur de la dynastie semi-légendaire des Xia (début du IIe millénaire av. J.-C), tantôt du futur roi Wen, fondateur de la dynastie des Zhou (cire. 1100-250 av. J.-C), alors qu'il était prisonnier du dernier sou verain de la dynastie des Yin qu'il allait bientôt renverser. L'inven tion du chiffrage numérique des monogrammes yin et yang et de leur tirage au sort serait uploads/s3/ vandermeersch-leon-origine-et-evolution-de-l-x27-achilleomancie-chinoise.pdf

  • 113
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager