1 Quelques particularités syntaxiques du français parlé de Côte d’Ivoire Pierre

1 Quelques particularités syntaxiques du français parlé de Côte d’Ivoire Pierre Adou Kouakou KOUADIO padoukk@yahoo.fr Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody Côte d’Ivoire Résumé La langue parlée spontanée a été longtemps considérée par le grand public comme la langue des fautes, d’inachèvements et le reflet appauvri de l’écrit. La langue écrite, elle, est considérée comme la langue policée, réfléchie et normative. Ces considérations donnent l’impression que l’on a affaire à un combat entre le bien et le mal. Il n’en est rien pour autant, car les contextes et les situations de production de chacune d’elles permettent d’expliquer et de justifier les règles grammaticales qui régissent leurs fonctionnements internes respectifs. Les pratiques orale et écrite de la langue française en Côte d’Ivoire le montrent bien. Cet article se propose ainsi de décrire quelques particularités syntaxiques du français parlé en Côte d’Ivoire à partir de sa forme écrite normative. Abstract The spontaneous spoken language has long been regarded by the general public as the language of mistakes, of non-completion, and a poor reflection of the writing. As for the written language, it is considered as the smooth, thoughtful, and normative language. All these considerations give the impression of a fighting between good and evil. However, that’s not true at all, because the contexts and the production situations of each one of them help us explain and justify the grammatical rules that govern their respective internal functioning. And the spoken and written activities of the French language in Cote d’Ivoire illustrate this fact. The present paper aims then at describing a few syntactic particularities of the French language spoken in Cote d’Ivoire, with its written normative form as the starting point. 0. Introduction L’on se demande souvent si la langue française parlée est différente de la langue française écrite, au point qu’on distingue même deux langues distinctes dotées de Grammaires différentes (C.B-Benveniste, 2010 : 77). En France par exemple où le français est la langue maternelle de bien des personnes, cette question a été l’objet de débats sur les spécificités de la langue écrite et celle de l’orale. En Afrique noire francophone, cette question a également intéressé nombre de chercheurs, parmi lesquels on peut citer entre autres J. Blonde (1975), « Pour description du français d’Afrique », J.L. Hattiger (1984), « La série verbale du français populaire ivoirien », B.A. Boutin (2002), Description de la variation : étude transformationnelle des phrases du français de Côte d’Ivoire, N.J. Kouadio (2008) « Le français en Côte d’Ivoire : de l’imposition à l’appropriation décomplexée d’une langue exogène », etc. 2 On peut dire que la littérature sur le français parlé et le français écrit en Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier est abondante et prolifique. On peut, dans le même temps, se poser la question que peut apporter la présente étude à cette littérature déjà conséquente ? Aussi, à cette interrogation s’ajoute l’épineuse question de la nécessité de la description du français parlé, avec les mêmes outils de description et les mêmes unités d’analyse que le français écrit. Pour le Linguiste, la langue, avant d’être écrite, est d’abord parlée. C’est pourquoi il se donnera des outils particuliers comme la Phonétique, la Phonologie, la Prosodie, ... pour résoudre efficacement les questions relatives à la langue parlée. Mais, faut-il pour autant abandonner la partie syntaxique de la langue parlée, qui relèverait plutôt du ressort de la langue écrite ? C. B-Benveniste (2010 : 77) tente de répondre à cette question en soutenant que certains auteurs pensent et sont persuadés que la langue parlée aurait « par nature » une Grammaire très déficiente, que la prosodie et les interactions viendraient compenser. Nous estimons pour notre part, que le français parlé de Côte d’Ivoire demeure certes, instable au niveau de sa syntaxe, mais que son dynamisme et la récurrence de certaines de ses particularités nécessitent un regard particulier. A travers cette analyse, nous essaierons donc de montrer comment s’entremêlent les domaines de la Syntaxe, de la Prosodie et quelques fois de la Pragmatique. Mais avant, nous présentons brièvement les différentes variétés de français parlées en Côte d’Ivoire. 1. Les variétés de français de la Côte d’Ivoire1 Selon les spécialistes de la question du français en Côte d'Ivoire, il faut noter l’existence d’au moins trois (3) principales variétés de français. C’est en tout cas, ce que laisse comprendre J.N. Kouadio (1999 : 301) lorsqu’il écrit : On distingue habituellement trois variétés de français en Côte d'Ivoire : la variété supérieure ou acrolectale (parlée par les membres de l’élite ivoirienne), la variété moyenne ou mésolectale (parlée par les lettrés de l’enseignement secondaire, les cadres subalternes de l’administration, etc.) et la variété basilectale (des peu ou non lettrés). A celles-ci, l’on peut ajouter la dernière variété de français qui est le nouchi. 1.1. La variété basilectale Pour comprendre la naissance de cette variété du français, il faut remonter en 1934, année durant laquelle Abidjan devient la capitale économique et politique de la Côte d’Ivoire. En effet, à partir de cette année-là, Abidjan, principal pôle économique, attire aussi bien les populations de l’intérieur du pays que celles des pays limitrophes (Mali, Burkina-Faso, Ghana, Guinée). Aussi, en raison de son expansion économique liée à sa situation géographique et au libéralisme économique, on assistera à une ruée d’investisseurs étrangers, 1 Pour en savoir davantage sur le français et ses différentes variétés en Côte d’Ivoire, vous pouvez lire Pierre Adou Kouakou KOUADIO : L'enseignement du français dans les œuvres littéraires du secondaire: Linguistique, litterature et enseignement du français, 15 novembre 2011, Editions Universitaires Européennes, Allemagne, ISBN-10:3841782167, http://www.amazon.fr. 3 notamment les Libanais et les Syriens. 75 % des étrangers sont analphabètes, ainsi que 40 % des nationaux. Ces populations analphabètes qui exercent pour la plupart des fonctions subalternes sont en contact permanent avec des individus lettrés ou qui ont une relative maîtrise de la langue française. Ainsi, pour des besoins de communication dans le cadre de leurs activités professionnelles, les populations nouvellement arrivées à Abidjan se heurtent à un problème de communication en français. Pour y remédier, ces populations doivent choisir entre deux formes de français. On a d’une part, le français parlé à la radio et d’autre part, le français parlé sur les lieux de travail et sur les chantiers. A propos du français parlé à la radio, J.L. Hattiger (1983 : 51) écrit ceci : « Un bon représentant de la norme locale semble ne diverger que très peu de la norme du français standard ». Quant à l’autre forme du français, celui parlé sur le lieu du travail, il est tributaire de la situation de travail. J.L. Hattiger le décrit en ces termes : « Ce doit être un français simple… On dit y retrouver une grande fréquence des formes verbales à l’impératif et un emploi systématique des éléments déictiques du français ». Cette variété du français va très vite se répandre sur l’ensemble du territoire ivoirien, notamment dans les grandes villes. C’est ce qui lui vaudra les dénominations de ‘‘Français Populaire Ivoirien ‘(FPI) ou encore ‘‘Français Populaire d’Abidjan’’(FPA)’’. En ce qui concerne le FPI ou le FPA, M.G. Bertin et N. J. Kouadio (1990 :53) écrivent que : « Le français populaire ivoirien (…) est, d’un point de vue sociolinguistique, un pidgin né de l’effort d’appropriation de la langue française par une population pas ou peu lettrés ». 1.2. La variété mésolectale La variété mésolectale du français de Côte d’Ivoire correspond au français des personnes qui ont fait des études secondaires. La syntaxe de ce français diffère très peu de celle du français standard. Mais elle est caractérisée par des resémantisations, des emprunts lexicaux et très souvent par des expressions particulières relevant d’une traduction littérale d’expressions spécifiques aux langues africaines en général. Par exemple, pour dire « souiller la réputation de quelqu’un ou encore ternir l’image de quelqu’un », on dira dans cette variété de français de Côte d’Ivoire « gâter nom de quelqu’un », expression calquée sur les langues ivoiriennes. Ce genre d’expressions est courant dans les productions écrites et orales de la grande majorité des Ivoiriens. Pour ces derniers, ces expressions font partie du français standard. Ce français est également attesté dans de nombreuses productions littéraires d’auteurs africains tels que Jean Marie Adiaffi, Ahmadou Kourouma, etc. ... 1.3. Le français acrolectal En Côte d’Ivoire, la variété acrolectale du français peut être identifiée comme le français des diplômés de l’enseignement supérieur. C’est aussi le français soutenu parlé par l’élite intellectuelle. Selon A.B. Boutin (2002 : 280) : « L’acrolecte se présente comme le français soutenu et « hyper normé avec des caractéristiques archaïssantes ou littéraires »». Cependant, s’il semble évident que la variété acrolectale du français ivoirien est supplantée par la variété mésolectale, elle est quelquefois perceptible dans les parlers de certains journalistes et juristes. 4 Ces derniers utilisent souvent des tournures syntaxiques archaïques telles que : « Ils ont accompli la mission à eux confiée », et des hypercorrections au plan phonétique portant sur la prononciation de la voyelle « o » dans les lexèmes tels que « politique », « uploads/s3/ adoupierre.pdf

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