Volume ! La revue des musiques populaires 10 : 2 | 2014 Composer avec le monde

Volume ! La revue des musiques populaires 10 : 2 | 2014 Composer avec le monde Karim HAMMOU, Une histoire du rap en France Stéphanie Molinero Édition électronique URL : http://volume.revues.org/4108 ISSN : 1950-568X Éditeur Association Mélanie Seteun Édition imprimée Date de publication : 10 juin 2014 Pagination : 240-242 ISBN : 978-2-913169-35-7 ISSN : 1634-5495 Référence électronique Stéphanie Molinero, « Karim HAMMOU, Une histoire du rap en France », Volume ! [En ligne], 10 : 2 | 2014, mis en ligne le 30 juin 2014, consulté le 06 février 2017. URL : http://volume.revues.org/4108 L'auteur & les Éd. Mélanie Seteun 240 Volume ! n° 10-2 l’absence d’une évocation de l’album The Rain- bow Children et de la tournée qui s’en est suivie dans le chapitre consacré à la spiritualité de l’œuvre de Prince est particulièrement éton- nante. Elle aurait pu pourtant témoigner de la récente ré-orientation de cette spiritualité et de son ancrage dans un contexte historique et racial lui aussi en constante redéfinition et trop peu contextualisé dans l’ouvrage. Enfin et là est à mon avis l’écueil le plus important, le livre ne laisse que très rarement la parole aux acteurs dont il analyse les représentations et les actions, qu’il s’agisse de Prince lui-même, des journalistes ou des fans. Cette absence d’égard à l’endroit des agents impliqués participe d’une impression de désincarnation des analyses pro- posées et donne parfois le sentiment d’avoir à faire à une série de sur- interprétations. En outre, ce manque rend peut-être également compte d’un problème méthodologique dans la démarche des auteurs. En effet, tout au long du texte, on ne peut s’empêcher de regretter l’absence de recherches d’archives significatives ainsi que d’une ethnographie rigoureuse dont les bases prometteuses sont pourtant jetées dans le dernier chapitre. Pauline GUEDJ Karim Hammou, Une histoire du rap en France, Paris, La Découverte, 2012. Dans la nuit du 29 au 30 décembre 2012, France 2 diffuse Urban music show, une émis- sion célébrant les 30 ans du rap et des musiques dites urbaines en France. C’est à un voyage dans ces trente années (1981-2010) que nous convie le sociologue Karim Hammou. L’ouvrage repose sur un travail de thèse réécrit auquel l’auteur a adjoint de nouvelles parties, composant un ensemble riche. Il est solidement ancré dans un travail empirique et mobilise le cadre théorique développé par Howard Becker (qui signe la post-face). Karim Hammou étudie ainsi les conditions de construction d’un monde social du rap en France. La méthode d’enquête de l’auteur étant constituée principalement de l’analyse de 70 entretiens réalisés avec des acteurs du monde du rap (artistes et autres pro- fessionnels), de l’étude de 150 disques vinyles de rap sortis entre 1980 et 1989, de 424 disques compact publiés jusqu’en 2004 ainsi que des archives de l’INA faisant référence au rap, l’ob- servation se consacre largement à l’étude de la construction du monde du rap au sein de l’industrie musicale et des médias et permet de présenter le rôle d’un certain nombre d’acteurs dans le processus observé. L’ouvrage se divise en trois grandes parties, qui suivent une chronologie historique. La première partie aborde la période 1981-1991, celle des prémisses de la présence d’un rap en français (notamment dans des chansons de varié- tés), mais également celle de l’émergence de la figure du rappeur. C’est également lors de cette période que l’association entre rap et « ban- lieue » se construit au sein du « groupe majori- Notes de lecture 241 Volume ! n° 10-2 taire », qui définit alors le rap comme la musique « de l’Autre ». Est ainsi posée la question de l’étrangeté du rap, sa triple étrangeté, liée à sa géographie (le rap est-il d’ici ou d’ailleurs ?), à sa nature même (le rap est-il un art ?) et à sa légiti- mité sociale (le rap est-il violent ?). La deuxième partie est consacrée à la période 1991-1998. Elle aborde la question de la marchandisation du rap et explique comment les pouvoirs publics ont mobilisé le rap comme un moyen d’action auprès des jeunes des classes populaires. Elle présente également l’émergence d’une nouvelle génération de rappeurs, d’un côté porteuse d’une volonté d’autonomisation par rapport à l’industrie (via la création de labels indépendants notamment) et de l’autre, porteuse d’un rap « transformat » trouvant plus aisément une diffusion auprès des médias. Néanmoins ce clivage (qu’on peut rapporter à la dichoto- mie cool/hardcore) est avant tout un clivage moral défini en dehors du monde du rap qui se construit un monde commun, grâce notamment à la pratique du featuring 1 comme technique commerciale d’authentification des rappeurs. La dernière partie (1998-2010) explique com- ment le monde du rap se transforme sous les effets de la crise du disque : les majors ont décidé de sous-traiter à des labels indé- pendants le travail autour des artistes de rap. Ces derniers, insérés dans un marketing de la marge, se réfèrent à « la rue » dans leur pratique du rap. Elle est une référence symbolique, liée de manière directe aux « banlieues » (l’auteur souligne que l’association entre rap et banlieue, médiatiquement construite dès les années 1980 est vingt ans après revendiquée par les rap- peurs eux-mêmes). La rue renvoie aussi à des modes de professionnalisation spécifiques dans l’underground, dans des lieux définissant le rap comme un genre qui lui est propre et où l’as- pect économique des intérêts à coopérer est euphémisé par les acteurs. L’auteur, dans son épilogue, questionne l’illé- gitimité paradoxale du rap. Alors que sa légiti- mité médiatique, marchande et culturelle croît, l’attitude des pouvoirs publics à l’égard du rap se modifie à partir de 2003. Les attaques et les demandes de poursuites judiciaires venues du monde politique s’accroissent et changent de forme : même si elles ont toujours pour fonc- tion de placer les rappeurs dans un groupe minoritaire, la figure du rappeur est dorénavant « racialisée ». Un des nombreux intérêts de cet ouvrage est d’aborder la notion de génération chez les rap- peurs, « qui permet de rendre compte de cette articulation distincte entre un temps collectif (celui des modalités de coopération au sein de l’industrie du disque) et un temps individuel (celui de la socialisation professionnelle des rap- Une histoire du rap en France 242 Volume ! n° 10-2 peurs). Emergent alors sur la période analysée (1981-2010) quatre générations principales de rappeurs, dont les modalités d’intégration dans la profession fluctuent selon l’intérêt des majors et des médias pour le rap au moment de l’inser- tion dans ce monde social, selon les processus d’accréditation internes au monde social du rap à travers notamment la pratique du featuring ou encore sur la manière dont la symbolique de « la rue » est mobilisée par les rappeurs. L’auteur a choisi de fonder son travail sur l’ana- lyse de supports discographiques et, plus géné- ralement, sur l’inscription du monde du rap dans l’industrie musicale. On aurait aimé que le rôle des concerts (ou leur non-rôle) dans le processus de professionnalisation des rappeurs soit davantage analysé. Il en est de même du rôle d’Internet (dans la promotion, la visibilité des rappeurs, la rencontre entre leurs œuvres et leurs publics…) très peu abordé par l’auteur, notamment pour la période 1998-2010. Enfin, de façon plus générale, le propos de Karim Hammou aurait sans doute pris davantage d’ampleur si les constats effectués à l’égard du monde du rap avaient été mis en perspective avec la situation d’autres mondes musicaux. Ils sont eux aussi touchés par les transformations de l’industrie musicale, par la crise du marché de la musique enregistrée, par la frilosité des majors face aux jeunes artistes qui sont poten- tiellement confrontés à des difficultés d’inser- tion et de maintien dans la profession artistique similaires à celle des rappeurs. Alors que l’au- teur semble par endroits vouloir faire entrer le rap en concurrence avec d’autres genres musi- caux (le rock, la pop, les variétés), cette mise en perspective, même a minima, aurait eu le mérite de placer le rap dans une dynamique plus glo- bale, obligeant le lecteur à le voir ailleurs qu’à la marge ou au sein de groupes minoritaires, ce que l’auteur de l’ouvrage déplore par ailleurs. Stéphanie Molinero Note 1. Dans le monde du rap mais également dans l’ensemble de l’industrie du disque, on parle d’un groupe ou d’un artiste ayant invité en featuring un autre groupe ou artiste à participer à l’enregistre- ment d’un morceau de musique. Sophy Smith, Hip-Hop Turntablism, Creativity and Collaboration, Farnham, Ashgate, 2013. L’ouvrage de Sophy Smith examine le proces- sus collaboratif et créatif qui permet la réalisa- tion pratique d’œuvres de turntablism, soit l’art d’utiliser des platines pour manipuler des sons et créer de la musique. S’appuyant sur l’ana- lyse fine des routines créées dans le cadre de la préparation d’une performance publique par trois groupes de DJs britanniques, Sophy Smith défend de façon convaincante l’intérêt et la fécondité d’une approche musicologique du hip-hop. Les premiers chapitres offrent des éléments de contextualisation, introduisant brièvement Notes de lecture uploads/s3/ volume-4108.pdf

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