1 LES PÉRIPHRASES ASPECTUELLES Laurent Gosselin (03-2020) Pour citer cet articl
1 LES PÉRIPHRASES ASPECTUELLES Laurent Gosselin (03-2020) Pour citer cet article : Gosselin (L.), 2020, « Les périphrases aspectuelles », in Encyclopédie Grammaticale du Français, en ligne : http://encyclogram.fr. 1. DÉCOUPAGE DU DOMAINE. 1.1. Présentation. Les périphrases aspectuelles constituent un sous-ensemble des périphrases verbales. Il s’agit de celles qui marquent l’aspect du procès (état ou événement) de façon régulière et stable, soit de façon exclusive (ex. commencer à Vinf), soit en association avec d’autres caractéristiques du procès (ex. s’atteler à Vinf). Ainsi, ces deux périphrases sélectionnent-elles la phase initiale (le début) du procès exprimé par le verbe à l’infinitif (Vinf), mais « s’atteler à Vinf » ajoute à cette sélection aspectuelle l’idée que le procès constitue une action intentionnelle et plus précisément une tâche pénible ou difficile pour un agent désigné par le SN sujet de la périphrase. D’où le contraste : (1) (a) Alors qu'il s’attelle à nettoyer la végétation envahissante, il traverse le toit. (La Voix du Nord, 05/12/2017, Europresse) (b) Alors qu’il commence à nettoyer la végétation envahissante... (2) (a) Il commence à neiger en Haute-Loire, prudence sur les routes. (L’Éveil de la Haute- Loire, 26/01/2018, Europresse) (b) ?*Il s’attelle à neiger en Haute-Loire... D’un point de vue typologique, le nombre, la variété et l’étendue du domaine des périphrases verbales constituent une spécificité des langues romanes. Il conviendra donc d’abord de définir et délimiter, au plan morphosyntaxique, l’ensemble des périphrases verbales, pour pouvoir ensuite définir et étudier, d’un point de vue sémantique, le sous- ensemble des périphrases aspectuelles. 1.2. Délimitation morphosyntaxique du domaine des périphrases verbales. Une périphrase verbale se compose d’une séquence d’au moins deux éléments verbaux qui se suivent, telle que seul le premier de ces éléments peut (sans que cela soit nécessairement le cas) être conjugué à une forme personnelle, tandis que les autres se présentent toujours sous une forme apersonnelle (infinitif ou participe). Nous utilisons pour le moment la notion, purement morphologique « d’élément verbal » pour désigner les mots et les locutions qui prennent une flexion verbale, personnelle ou apersonnelle. Soit pour exemples : 2 (3) (a) Il s’attelle à nettoyer la végétation séquence à 2 éléments verbaux : s’atteler à au présent + nettoyer à l’infinitif (b) Le nouveau poissonnier du Faou a 24 ans, mais il a déjà une belle expérience, ayant commencé à travailler très jeune. (Ouest-France, 23/02/2019, Europresse) séquence à 3 éléments verbaux : avoir au participe présent + commencer au participe passé + travailler à l’infinitif (c) À force de persuasion dans les ministères, il a fini par être nommé chargé de mission [...]. (Sud-Ouest, 04/04/2013, Europresse) séquence à 4 éléments verbaux : avoir au présent + finir par à l’infinitif + être à l’infinitif + nommer au participe passé (d) Puis, le panzer parti voir ailleurs, une auto mitrailleuse [...] se mit à tourner autour du village. (Siniac, Sous l’aile noire des rapaces) séquence 1, à 2 éléments verbaux : partir au participe passé + voir à l’infinitif séquence 2, à 2 éléments verbaux : se mettre à au passé simple + tourner à l’infinitif. Sur la base de cette définition très générale, deux questions se posent : 1) Faut-il inclure, comme nous l’avons fait en (3c), les temps composés et le passif dit « périphrastique » parmi les périphrases verbales ? A la suite, entre autres, de Imbs (1960 : 61), nous adopterons cette position, sans quoi il faudrait revoir la définition très générale des périphrases verbales pour en exclure les constructions avec participe passé (comme le font Renault & François 2005 : 27, ainsi que Lière 2011 : 17, pour qui, en intégrant le système verbal, ces constructions, initialement périphrastiques, ont désormais perdu ce statut). 2) Faut-il inclure, à la suite de Gougenheim (1929 : 256), les séquences du type : (4) Il veut sortir ou bien, au contraire, considérer qu’il s’agit là d’un verbe (vouloir) qui régit un infinitif complément d’objet (ou une proposition infinitive objet, selon l’analyse la plus répandue en grammaire générative) ? C’est là une question difficile qui a suscité de très nombreuses discussions. On adoptera ici le critère proposé par Gross (1975 : 160, 1999 : 8) et repris par Lamiroy (1999) et Borillo (2005) : on ne retient dans les formes périphrastiques que les infinitifs qui ne commutent pas avec une complétive conjuguée. C’est-à-dire que si le verbe à l’infinitif peut être remplacé – que l’énoncé global garde le même sens ou non – par une complétive du type « (ce) que p », il sera considéré comme un complément du verbe qui précède et non comme un élément constitutif d’une forme périphrastique. Soit quelques exemples : (5) (a) Il cesse de pleuvoir / *Il cesse (de ce) qu’il pleuve périphrase (b) Il se met à neiger / * Il se met (à ce) qu’il neige périphrase (c) Il se hâte de ranger sa chambre / * Il se hâte (de ce) qu’il range sa chambre périphrase 1 « D’autre part, il est incontestable que les formes composées du verbe sont des périphrases [...]. » 3 (6) (a) Il veut sortir / Il veut que Luc sorte verbe + complément (b) Il craint de déplaire / Il craint que Luc ne déplaise verbe + complément (c) Il a cru réussir / Il a cru que Luc avait réussi verbe + complément (d) Il a hâte de ranger sa chambre / Il a hâte qu’elle range sa chambre verbe + complément. Nous reviendrons, au § 1.4.3. ci-dessous, sur les motivations et les difficultés de mise en œuvre de ce critère. Nous expliquerons également pourquoi nous ne pouvons retenir les autres critères proposés dans la littérature sur la question. Les éléments verbaux qui apparaissent en position non terminale dans les séquences périphrastiques ont reçu des dénominations diverses : auxiliaires, semi-auxiliaires, coverbes, verbes, locutions verbales... Nous verrons qu’il y a lieu de distinguer parmi ces éléments différentes classes et sous-classes, d’un point de vue à la fois morphosyntaxique et sémantique ; et nous proposerons de réserver certaines de ces dénominations à des classes et sous-classes explicitement définies. 1.3. Délimitation sémantique des périphrases aspectuelles. Les périphrases aspectuelles sont des périphrases verbales qui expriment l’aspect. L’aspect désigne la structure du temps inhérent ou constitutif du procès, impliquant à la fois l’aspect interne (phases initiale, médiane et finale du procès) et l’aspect externe (phases pré- et post-processuelles)2. Au sein de la temporalité linguistique, l’aspect doit être distingué du temps, qui renvoie au cadre chronologique dans le lequel le procès se trouve situé. Les principaux problèmes que soulève la délimitation du domaine des périphrases aspectuelles sont les suivants : 1) Comment distinguer entre les périphrases à valeur temporelle et les périphrases à valeur aspectuelle ? La question se pose tout particulièrement pour « aller » et « venir de Vinf » (périphrases respectivement appelées itive et ventive en typologie des langues). Dans les grammaires et les études linguistiques, elles sont tantôt classées comme temporelles (on parle alors de « futur proche » et de « passé récent »), tantôt comme aspectuelles (respectivement d’« aspect prospectif » et « rétrospectif » ou « accompli »). Nous verrons, au § 3.3.4., en nous appuyant sur les arguments de Vet (1993), qu’il y a lieu de distinguer deux emplois de ces périphrases : un emploi dit « temporel » et un emploi dit « aspectuel ». 2) Si certaines périphrases sont exclusivement aspectuelles, au sens où elles marquent uniquement un type d’aspect (par exemple l’aspect itératif avec « avoir coutume de », ou l’aspect de phase terminale avec « finir de »), d’autres paraissent combiner une valeur aspectuelle avec d’autres valeurs correspondant, entre autres, au mode de contrôle de l’action par un agent (voir « s’atteler à », ci-dessus, ou « tarder à »), ou à un déplacement 2 Voir la notice sur l’aspect verbal. 4 effectué par l’agent (par ex. « rentrer de Vinf » qui associe l’expression d’un mouvement à la sélection de la phase post-processuelle du procès exprimé par Vinf). Nous avons choisi de ne retenir à titre de périphrases aspectuelles que les périphrases verbales qui présentent une valeur exclusivement ou partiellement aspectuelle, dès lors que celle-ci est stable et régulière, c’est-à-dire qu’elle se retrouve à l’identique dans tous les contextes, ou que, si des variations sont observées, celles-ci sont elles-mêmes régulières et prédictibles. C’est ainsi que nous excluons « devoir Vinf » et « pouvoir Vinf » (considérées comme périphrases modales), car même si elles peuvent prendre en contexte certaines valeurs aspectuelles – en particulier dans l’emploi dit « futural » de devoir (Kronning 1994, Vetters & Barbet 2016), ou dans l’emploi dit « sporadique » de pouvoir (Kleiber 1983, Saussure 2012) – ces valeurs n’offrent pas la stabilité requise par-delà les variations de contexte. A l’inverse, « commencer à / se mettre à / se prendre à Vinf » ou « s’apprêter à / se disposer à / être près de Vinf », expriment respectivement, dans tous les contextes, la phase initiale et la phase pré-processuelle uploads/S4/ 034-texte.pdf
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- Publié le Sep 05, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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