41 Un procès administratif adapté à la protection de l’environnement ? Olivier
41 Un procès administratif adapté à la protection de l’environnement ? Olivier Le Bot1 Sauvegarde des abeilles2, lutte contre le glyphosate3, affaire du siècle4 : les actions contentieuses se multiplient devant le juge administratif pour essayer d’infléchir les politiques publiques, regardées comme ne prenant pas suffisamment en compte les exigences environnementales. Le procès admi nistratif offre il est vrai des potentialités en la matière mais celles-ci demeurent partiellement inex ploitées ou à parfaire, faute d’être pleinement utilisées par les plaideurs ou en raison de verrous procéduraux qu’il serait envisageable d’assouplir ou de lever. Dans ce contexte, il paraît utile de s’interroger sur les forces et faiblesses du contentieux administratif en matière environnementale et les pistes susceptibles d’être explorées pour améliorer l’efficacité du juge administratif dans ce domaine. Afin de dresser un panorama de l’état de droit et esquisser des propositions de réforme, quatre questions conditionnant le rôle que la juridiction administrative est susceptible de jouer dans la protection de l’environnement, seront successivement abordées : – – que peut-on lui demander ou, en d’autres termes, quels sont ses pouvoirs ? – – est-il aisé d’y accéder ? – – comment statue-t-elle sur les recours, c’est-à-dire au regard de quelles informations et avec quelle considération portée à l’environnement ? – – enfin, une action préventive – avant qu’un dommage irréparable ne se produise – est-elle envisageable devant le juge administratif ? 1 Professeur de droit public à l’université d’Aix-Marseille. 2 CE, 9 oct. 2002, n° 233876, Union nationale de l’apiculture française, Lebon p. 330. 3 TA Lyon, 15 janv. 2019, CRIIGEN, n° 1704067, inédit ; AJDA 2019, p. 1122, note C. Hermon. 4 C. Cournil, « «L’affaire du siècle» devant le juge administratif », AJDA 2019, p. 437. 42 Olivier LE BOT I. Que peut-on demander au juge administratif ? En matière environnementale, les requérants peuvent saisir le juge de demandes diverses lui permettant de mettre en œuvre la diversité des pouvoirs dont il dispose : indemniser, suspendre et annuler, réformer, enjoindre, condamner à une amende. Indemniser. En premier lieu, le juge dispose du pouvoir d’indemniser les préjudices environnementaux, tant dans le contentieux général de la responsabilité que dans celui des contraventions de grande voirie. Dans le régime général de responsabilité, où les applications sont rares, le juge peut réparer les « troubles dans les conditions d’existence » ou les « troubles de toute nature » subis par les individus exposés à des pollutions ou des nuisances5. Il peut également allouer des dommages et intérêts à des associations de défense de l’environnement, par exemple 15 000 euros à l’association « Eau et rivières de Bretagne » et 3 000 euros aux associations « Halte aux marées vertes » et « Sauvegarde du Trégor » à raison de la carence fautive de l’État à empêcher la prolifération des algues vertes sur de nombreux sites du littoral des départements des Côtes d’Armor et du Finistère6. Au regard de l’ampleur des préjudices, le montant des indemnités versées aux associations présente un caractère essentiellement symbolique. Dans la procédure des contraventions de grande voirie, engagée par le préfet en cas atteintes portées à l’intégrité ou à la destination du domaine public, les applications sont tout aussi rares. Lorsque la procédure est mise en œuvre avec succès, le juge peut condamner l’auteur d’une pollution à rembourser à la collectivité publique le montant des frais exposés ou à exposer par celle-ci pour la remise en état du domaine public. Tel est le cas, par exemple, dans l’hypothèse où une blanchis serie a déversé dans un fossé des eaux usées contenant de l’ammoniac7, où Charbonnage de France a déversé des produits chimiques dans une rivière8 ou encore où une société a déversé des huiles usagées et hydrocarbures dans un port de plaisance9. Suspendre et annuler. En deuxième lieu, le juge administratif dispose du pouvoir de suspendre et annuler une décision administrative illégale. Par exemple, le juge a pu annuler l’autorisation de construire une ligne à haute tension dans les gorges du Verdon10, le projet d’autoroute transchablaisienne11, l’autorisation de mise sur le marché du Roundup12 ou le projet de barrage de la 5 Sur ce point, v. le rapport France à l’Association internationale des hautes juridictions administratives, Carthagène, 2013, p. 24. https://www.aihja.org/images/users/114/files/Congres_de_Carthagene_-_Rapport_de_la_France_2013-FRANCE-FR.pdf. 6 CAA Nantes, 1er déc. 2009, Ministre de l’écologie, n° 07NT03775, inédit. 7 CAA Nantes, 27 déc. 2013, Nautré, n° 12NT02081, inédit. 8 CAA Douai, 30 janv. 2003, Charbonnages de France, n° 00DA00909, inédit. V. également CAA Douai, 30 janv. 2003, Sté Hainaut Enrobés, n° 00DA00882, inédit. 9 CAA Paris, 1er avr. 1996, Vembouilly, n° 94PA00546, inédit. 10 CE, 10 juil. 2006, Assoc. interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte-Croix, n° 288108, Lebon. 11 CE, ass., 28 mars 1997, Association contre le projet de l’autoroute transchablaisienne, n° 170856, Lebon p. 121. 12 TA Lyon, 15 janv. 2019, CRIIGEN, n° 1704067, inédit ; AJDA 2019, p. 1122, note C. Hermon. 43 Un procès administratif adapté à la protection de l’environnement ? Trézence13, ou encore suspendre la décision d’envoyer en Inde le porte-avions Clemenceau afin de procéder à son désamiantage14. De même, en matière d’installations classées au titre de la protection de l’environnement (ICPE), le juge peut annuler une autorisation d’exploitation ne répondant pas aux normes environnementales15. Réformer. En troisième lieu, toujours dans le contentieux des ICPE, le juge dispose de son pouvoir le plus étendu, à savoir celui de réformer une décision administrative. Il peut ainsi modifier les conditions assortissant les arrêtés d’autorisation16 ou en imposer de nouvelles17. Enjoindre. En quatrième lieu, le juge administratif dispose du pouvoir de prononcer une injonction à titre principal. En matière d’ICPE, le juge peut ordonner la fermeture d’une installation18 ou la suspension de son fonctionnement jusqu’à la régularisation par l’exploitant19. Dans le contentieux de la responsabilité, un arrêt de 201520 a reconnu au juge administratif le pouvoir d’ordonner de faire cesser un dommage ou d’effacer en nature les conséquences qu’il a généré, c’est-à-dire remettre le lieu dans son état initial. Si la première modalité concerne uniquement des cas de dommages continus, la seconde est possible tant en cas de dommages continus qu’en cas de dommages instantanés. Cette jurisprudence étant relativement nouvelle, les applications sont encore rares. Deux décisions peuvent néanmoins être mentionnées. Dans la première, qui correspond à l’arrêt de renvoi de la décision de 2015, le juge enjoint « à la commune d’Hébuterne de prendre, dans un délai d’un an, les mesures nécessaires pour mettre fin aux pollutions des terrains de M. Baey causées par le débordement de fossés recueillant les eaux usées de plusieurs habitations de la commune »21. La seconde décision concerne les nuisances sonores provoquées par le fonc tionnement d’une entreprise d’élagage : saisi par les riverains, un tribunal administratif a enjoint à une commune « de prendre, dans un délai de quatre mois à compter du présent jugement, toutes les mesures de police nécessaires pour faire cesser ou, à tout le moins, réduire les nuisances sonores résultant de l’activité de la société « ABC Élagages et Jardins » dont les émergences sonores doivent respecter le seuil d’émergence réglementaire toléré pour ce type d’activité »22. 13 CE, 22 oct. 2003, Association SOS Rivières et environnement, n° 231953, Lebon p. 417. 14 CE, 15 févr. 2006, Assoc. Ban Asbestos France, n° 288801, Lebon 78 15 V. p. ex., CE, 15 mai 2013, Sté ARF, n° 353010, Lebon T. ; CE, 6 février 1981, Dugenest, n° 3539, Lebon T. 16 CE, 27 mai 1988, Sté industrielle armoricaine de légumes (Siale), n° 57894, Lebon p. 221 ; CAA Douai, 12 juillet 2001, Asso. Qualité de la vie à Bristade, n° 00DA01284, inédit ; CAA Lyon, 16 novembre 2006, Sté carrières et matériaux, n° 03LY01778, inédit. 17 V. p. ex., CE, 27 mai 1988, Comité de défense du site de Kervoazou, n° 66490, Lebon p. 222. 18 CE, 4 mai 1998, Téallier, n° 161336, Lebon. 19 CAA Nancy, 9 janvier 2006, Duval, n° 04NC00704, inédit : l’arrêt ajoute que « l’installation sera curée, nettoyée et désinfectée au plus tard le 21e jour suivant la notification du présent arrêt. En cas d’inexécution des mesures prescrites à l’article 1er, ci-dessus, il sera fait application par le préfet de Meurthe-et-Moselle des procédures prévues aux 1° et 2° alinéas du I de l’article L. 514-1 du Code de l’environnement, livre V, titre Ier ». 20 CE, 27 juil. 2015, Baey, n° 367484, Lebon. 21 CAA Douai, 29 avr. 2016, Baey, n° 15DA01398, inédit. 22 TA Toulon, 6 juil. 2017, Gaïa et autres, n° 1401452, inédit. 44 Olivier LE BOT La procédure de contravention de grande voirie confère également au juge un pouvoir d’in jonction. Il lui permet d’ordonner à l’auteur d’un trouble à l’environnement (généralement une pollution) de faire cesser le dommage ou d’effacer en nature les conséquences qu’il a généré. Ainsi, il peut enjoindre au contrevenant « de prendre dans les trois mois […] toutes mesures propres à faire cesser le déversement dans la Seine d’huiles de vidanges et de cambouis provenant de son dépôt de camions »23. De même a-t-il pu enjoindre uploads/S4/ 04-le-bot-2.pdf
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- Publié le Nov 27, 2021
- Catégorie Law / Droit
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