L’ADMINISTRATION D’UN TRIBUNAL ADMINISTRATIF Anne GUÉRIN Président du tribunal

L’ADMINISTRATION D’UN TRIBUNAL ADMINISTRATIF Anne GUÉRIN Président du tribunal administratif de Montpellier Introduction 1. Permettez-moi tout d’abord de me présenter et de présenter ma juridiction. Je suis la présidente du tribunal administratif de Montpellier, juridiction administrative de première instance dont le siège est situé dans une grande métropole du sud-est de la France, en bordure du littoral méditerranéen et dont le ressort géographique s’étend de la frontière avec l’Espagne au Sud, aux confins du delta du Rhône à l’est, et jusqu’à la cité de Carcassonne à l’Ouest. Cette juridiction est, hors juridictions parisiennes, la seconde de France après Marseille. Je suis moi-même au sommet de la hiérarchie des membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, puisque je préside une juridiction de plus de 5 chambres (elle en compte 7). 2. Je suis en charge seule de l’administration de cette juridiction, que l’on pourrait comparer à une entreprise d’une centaine de salariés. Je suis assistée d’un greffier en chef qui assure, sous mon autorité, la gestion du personnel de greffe et l’exécution des actes de procédure. Je puis également m’appuyer sur les 7 Vice-Présidents du tribunal qui animent, chacun, une formation de jugement. 3. Je suis ancienne élève de l’Ecole Nationale d’Administration : c’est dire que je suis issue de la haute fonction publique française. Le Préfet de la région Languedoc-Roussillon, représentant de l’Etat chargé dans cette région de l’application de la politique du gouvernement – incarnation s’il en est du pouvoir exécutif ! – est un camarade de promotion de l’ENA. Et pourtant, le tribunal que je préside vient de prononcer, à la demande d’un collectif d’associations de protection de l’environnement, l’annulation de la décision par laquelle ce préfet a autorisé la mise en service d’un incinérateur de déchets ménagers. Ainsi donc, je suis moi-même fonctionnaire de l’Etat – comme lui –, acquise à l’idée que l’intérêt général commande l’élimination des déchets ménagers – comme lui –, et pourtant je viens de mettre un terme au fonctionnement d’un équipement devenu trop polluant. Comment cela est-il possible ? Comment ai-je pu faire cela ? 1 J’ai pu le faire, car j’appartiens en France à une espèce humaine rare, une espèce humaine en quelque sorte hybride : je suis fonctionnaire/juge. Pas véritablement magistrat, car je ne bénéficie pas – comme mes collègues judiciaires – d’un statut garanti par la constitution. Mais pas totalement fonctionnaire non plus, car il m’a été reconnu – par le législateur et par le juge constitutionnel français – certains attributs (inamovibilité, indépendance), qui m’éloignent de mes congénères fonctionnaires. Cette ambivalence, ce dédoublement de personnalité (Docteur Jekill et Mister Hyde, je vous laisse le soin de deviner qui du fonctionnaire ou du juge est Mr Hyde ….) me désignaient tout particulièrement pour vous parler des relations entre pouvoir judiciaire et pouvoir exécutif au travers de mon expérience de chef de juridiction. A la vérité, je me sens au centre d’un triple paradoxe : 1. Je situerai le premier paradoxe au niveau de mes attributions de président d’un tribunal administratif. L’on a coutume de dire en France à propos du juge administratif que « juger l’administration, c’est encore administrer ». Or, si je devais d’un mot résumer ma fonction, j’aurais plutôt tendance – tout au contraire – à affirmer qu’« administrer une juridiction, c’est encore juger » ! 2. Le second paradoxe est à replacer dans les rapports que le chef de juridiction que je suis entretient avec le pouvoir exécutif. Je puis dire que dans l’administration d’une juridiction administrative française, le président est totalement indépendant du pouvoir exécutif. Cela tient à une raison simple : la gestion des juridictions administratives a été rattachée en France, depuis une vingtaine d’années, à leur cour suprême, le Conseil d’Etat qui joue en quelque sorte le rôle de « bouclier » entre les juridictions subordonnées et le pouvoir exécutif. Autrement dit, c’est de sa dépendance à l’égard du Conseil d’Etat que fort paradoxalement la juridiction que je préside tire sa propre indépendance. 3. Enfin, il est un troisième et dernier paradoxe, – et non des moindres – que je m’en voudrais de ne pas souligner, car il illustre bien la singularité de ma fonction. Il serait de soutenir que l’administration d’une juridiction pourrait non seulement se satisfaire d’une situation de dépendance absolue vis à vis de son juge suprême, mais même y trouver des avantages. C’est une thèse qu’au risque d’en étonner plus d’un, je n’hésiterai pas à soutenir devant vous ! I. Les attributions d’un président de tribunal administratif ou le paradoxe du juge- administrateur 2 On dit souvent en France que « juger l’administration, c’est encore administrer ». Cette formule rend bien compte de la conception française de la justice administrative, telle qu’elle s’est exprimée depuis plus de deux siècles. Henrion de Pansay, dans un ouvrage intitulé « De l’autorité judiciaire dans les gouvernements monarchiques » n’écrivait-il pas déjà en 1818 : « pourvoir par des ordonnances à l’exécution des lois, à la sûreté de l’Etat (…), c’est administrer. Statuer sur des réclamations auxquelles ces ordonnances peuvent donner lieu (…), c’est encore administrer. On administre donc de deux manières : par des ordonnances en forme de loi, et par des décisions en forme de jugements ».1 A propos de la présidence d’une juridiction administrative, j’aurais plutôt tendance à inverser ce postulat en énonçant qu’« administrer un tribunal, c’est encore juger ». A. Certes, administrer un tribunal, c’est sans nul doute exercer une fonction d’administrateur. Rien ne singularise ici les attributions qui sont les miennes de celles qu’exerce le président d’une juridiction française de l’ordre judiciaire. Aussi ne m’étendrai-je guère sur cet aspect de mon intervention, sauf à en dire rapidement que : 1. cette fonction d’administrateur comporte l’exercice de pouvoirs2 : c’est ainsi que le président d’un tribunal administratif dispose, à l’égard de l’ensemble des personnels composant la juridiction – magistrats et agents de greffe – d’un pouvoir hiérarchique (il est d’ailleurs le seul à détenir un tel pouvoir) dont les composantes sont le pouvoir de notation et d’évaluation, le pouvoir de proposition en matière d’avancement et enfin le pouvoir de sanction. 2. cette fonction implique également la gestion de moyens : le tribunal dispose, à cette fin, d’un budget de fonctionnement et le président est le seul ordonnateur des dépenses de la juridiction. 3. cette fonction assujettit enfin le chef de juridiction à des responsabilités : en cas de négligences graves ayant entraîné des condamnations pécuniaires de l’Etat3, il n’est pas exclu que l’Etat exerce à son égard une action récursoire, entraînant le paiement de tout ou partie des condamnations. Le chef de juridiction encourt également une responsabilité pénale, s’il ne prend pas les mesures propres à assurer la sécurité des biens et des personnes, notamment en matière d’hygiène et de sécurité. B. Mais, administrer un tribunal, c’est aussi et encore juger L’ensemble des pouvoirs et responsabilités dont le Président du tribunal est dépositaire répond à une finalité exclusive, le service public de la justice. L’administrateur de ces moyens 1 . Henrion de Pansey : «De l’autorité judiciaire dans les gouvernements monarchiques » - chapitre XXVII 1818 2. article R.222-12 du code de justice administrative :« « le Président prend les dispositions nécessaires au fonctionnement de la juridiction qu’il préside. Il assure la direction des services de la juridiction et le maintien de sa discipline intérieure ». 3 .ainsi d’une condamnation par la cour européenne des droits de l’homme pour méconnaissance du délai raisonnable. 3 doit veiller à l’adaptation constante de la juridiction aux missions qui sont les siennes : régler les litiges et répondre aux attentes du justiciable. Le président du tribunal est à cette fin détenteur d’un véritable pouvoir juridictionnel. Pour la première instance administrative française, juge définitif de 85 % des affaires en moyenne, ces attentes sont de 4 ordres : 1. la transparence des débats et leur organisation contradictoire : l’instruction doit permettre le débat contradictoire entre les parties, c’est parfois même le seul moment où ce débat peut avoir lieu. Or, la procédure contentieuse administrative est inquisitoriale – elle est donc entièrement dirigée par le juge – ce qui fait peser sur le Président de la juridiction des responsabilités particulières dans la bonne conduite de l’instruction. ª il dispose, à l’égard des parties, en sa qualité de président d’une formation de jugement, d’un véritable arsenal d’outils procéduraux (invitation à régulariser, mise en demeure, dispense d’instruction, clôture d’instruction, calendrier d’audiencement) pour recueillir leurs observations, voire même contraindre les plus récalcitrantes d’entre elles à le faire ! 2. la qualité de la décision juridictionnelle : la réponse juridictionnelle doit être de qualité, ce qui implique une motivation complète et précise des jugements, une cohérence dans la conduite du raisonnement juridique, mais surtout une application correcte de la règle de droit appropriée. ªl’un des moyens d’assurer cette qualité, pour le Président de la juridiction, qui a en charge de désigner le rapporteur de chaque affaire, est ainsi de spécialiser les formations de jugement selon la nature du contentieux traités. 3. la rapidité de la uploads/S4/ 10-05-2007-administration-guerin 1 .pdf

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  • Publié le Nov 11, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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