Constitution et droit administratif Bernard STIRN - Président de la section du

Constitution et droit administratif Bernard STIRN - Président de la section du contentieux du Conseil d'État ; Professeur associé à l'Institut d'études politiques de Paris NOUVEAUX CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 37 (DOSSIER : LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE DROIT ADMINISTRATIF) - OCTOBRE 2012 Lorsqu'en 1954, le doyen Vedel publie son article sur « les bases constitutionnelles du droit administratif » (2), il s'aventure, avec la clairvoyance qui était la sienne, sur des chemins encore peu explorés. D'emblée, il écrit que « la Constitution est la base nécessaire des règles dont l'ensemble compose le droit administratif ». Il ne convainc pourtant pas toute la doctrine. Près de vingt ans plus tard, Charles Eisenmann affirme encore que « le droit constitutionnel est absolument muet sur les bases du droit administratif » (3). Les liens révélés par le doyen Vedel n'ont fait que se renforcer au fil des années. Le texte même de la Constitution de 1958, qui contient de nombreuses dispositions relatives à l'organisation et aux prérogatives de l'administration, y a contribué. Par sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel a considérablement enrichi les « sources constitutionnelles du droit administratif » (4). Dans le même temps, le Conseil d'État a été davantage conduit à s'intéresser à des questions d'ordre constitutionnel et à intervenir pour assurer la garantie des droits fondamentaux. Ainsi « le Conseil constitutionnel est souvent un juge administratif, le Conseil d'État de plus en plus un juge constitutionnel » (5). En introduisant la question prioritaire de constitutionnalité, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a consacré le rapprochement entre la Constitution et le droit administratif, qui débouche sur une présence accrue de la norme constitutionnelle et sur une protection renforcée des droits fondamentaux. De manière simultanée, les fondements constitutionnels du droit administratif et les fondements administratifs du droit constitutionnel se sont de la sorte parallèlement consolidés. Les fondements constitutionnels du droit administratif Même si ses origines s'ancrent dans l'univers constitutionnel, le droit administratif français a volontiers cultivé une certaine distance avec la Constitution. Il s'en est ensuite singulièrement rapproché, au point de se mouvoir avec aisance dans l'univers constitutionnel. La Constitution de 1958 et la jurisprudence du Conseil constitutionnel ont consacré cette évolution. A A/ Les fondements du droit administratif ont été posés par le Conseil d'État dans un relatif éloignement des questions constitutionnelles, aussi bien dans ses activités consultatives que dans son rôle contentieux. Avant la Constitution de 1958, le Conseil d'État n'a guère été associé à la préparation des textes constitutionnels. Sous la III République, il n'était même qu'exceptionnellement saisi pour avis des projets de loi. Aussi son rôle consultatif s'est-il construit à partir des textes de l'administration et non des débats constitutionnels. Au contentieux, l'attachement à la tradition française de souveraineté de la loi a fait obstacle à ce qu'il s'engage dans la voie d'un contrôle de conformité des lois à la Constitution. Pour les mêmes raisons, la Cour de cassation a choisi la même retenue. Elle affirme dans un arrêt du 11 mai 1833 « qu'une loi délibérée et promulguée dans les formes constitutionnelles... ne peut être attaquée devant les tribunaux pour cause d'inconstitutionnalité ». Un peu plus d'un siècle plus tard, dans ses conclusions sur la décision Arrighi, rendue par le Conseil d'État le 6 novembre 1936, le commissaire du gouvernement Roger Latournerie soulignait que l'éventualité d'un contrôle de constitutionnalité des lois par le juge n'était pas nécessairement exclue. Mais il estimait en définitive que l'équilibre républicain des pouvoirs ne permettait pas de la retenir. Le Conseil d'État a suivi son commissaire du gouvernement, en jugeant qu'il ne lui appartenait pas d'exercer un tel contrôle « en l'état actuel du droit public ». L'avenir était ainsi ménagé mais ni le Conseil d'État ni la Cour de cassation (6) n'ont évolué sur ce point. Avec la création du Conseil constitutionnel, toute perspective leur a été fermée à cet égard : la Constitution a fait le choix de confier au juge constitutionnel, et à lui seul, le soin de veiller à la constitutionnalité de la loi (7). La jurisprudence sur les actes de gouvernement témoigne aussi d'une distance entre Constitution et droit administratif. Des décisions qui se situent dans le champ des pouvoirs publics constitutionnels échappent au contrôle du juge administratif. Certes, avec l'abandon la théorie du mobile politique, la décision Prince Napoléon du 19 février 1875 marque le début du mouvement de réduction de la catégorie des actes de e Source : Conseil constitutionnel gouvernement. Leur champ demeure circonscrit. Il ne couvre plus les décrets de ratification des traités (8) et ne s'étend pas aux décisions du président de la République de mettre en application l'état d'urgence dans les conditions définies par la loi du 3 avril 1955 (9). Mais un noyau dur demeure, qui s'est plutôt renforcé sous la V République. Certains pouvoirs propres du président de la République en relèvent, comme la mise en application de l'article 16 (10), l'organisation d'un référendum (11), la dissolution de l'Assemblée nationale (12). Les actes qui ne sont pas détachables des relations internationales sont également des actes de gouvernement, comme une circulaire qui prescrivait le refus toute inscription d'étudiants irakiens dans le supérieur lors de la première guerre du Golfe (13), la décision du président de la République de reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique (14) ou l'autorisation donnée aux avions américains et britanniques de survoler le territoire national durant la seconde guerre du Golfe (15). Le Conseil d'État veille en outre à ne pas intervenir dans les décisions relatives au Conseil constitutionnel : il décline sa compétence pour connaître de la nomination d'un de ses membres (16), du refus de lui déférer une loi avant sa promulgation (17), du règlement que le Conseil constitutionnel adopte au sujet de ses archives (18). B B/ En dépit de ces restrictions, le droit administratif n'a jamais ignoré l'univers constitutionnel, dans lequel il s'est progressivement intégré. Le Conseil d'État est lui-même issu de la longue histoire constitutionnelle et son autorité découle pour une large part de sa permanence constitutionnelle. Les titres de maître des requêtes et de conseiller d'État apparaissent sous le règne de Philippe le Bel. Le Conseil du Roi donne des avis en matière administrative comme dans le domaine de la justice. En février 1641, l'édit de Saint-Germain fait « très expresses inhibitions et défenses » aux corps judiciaires « de prendre à l'avenir connaissance d'aucunes affaires... qui peuvent concerner l'État, administration et gouvernement d'icelui ». La loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III n'ont fait que poursuivre dans cette voie. L'article 52 de la Constitution du 22 frimaire an VIII, selon lequel « un Conseil d'État est chargé de rédiger les projets de lois et de règlements d'administration publique et de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière administrative », s'inscrit ainsi dans la longue histoire. Selon son génie propre, le Premier Consul assure la synthèse entre les traditions héritées de l'Ancien régime et les aspirations de l'esprit révolutionnaire. La création, par l'arrêté des consuls du 9 avril 1803, du concours d'auditeur au Conseil d'État est l'illustration du principe de la Déclaration des droits de l'homme, selon lequel les citoyens sont également admissibles aux emplois publics, « sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Tous les régimes constitutionnels ultérieurs ont maintenu le Conseil d'État et, à la seule exception des chartes constitutionnelles de 1814 et 1830, l'ont mentionné dans le texte constitutionnel lui-même. Les crises politiques qui auraient pu emporter le Conseil d'État l'ont au contraire conforté. Il survit au Premier Empire. L'effondrement du Second Empire débouche, sous l'impulsion de Gambetta, sur la loi du 24 mai 1872, qui lui confère la justice déléguée. En nommant, le 22 novembre 1944, René Cassin vice-président du Conseil d'État, le général de Gaulle montre de la manière la plus forte que le Conseil d'État aura toute sa place dans la France de la Libération. La portée, souvent latente, des normes constitutionnelles a été précisée par la jurisprudence administrative. Dans ses conclusions sous la décision Baldy du 17 août 1917, le commissaire du gouvernement Corneille déclarait que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est « implicitement ou explicitement au frontispice des constitutions républicaines ». Il en déduisait le principe qui gouverne le contrôle des mesures de police, selon lequel « la liberté est la règle et la restriction de police l'exception ». Avec la reconnaissance des principes généraux du droit, l'inspiration jurisprudentielle trouve dans la Constitution une grande part de son origine. L'interprétation audacieuse de la loi pour la concilier avec le principe du droit au recours pour excès de pouvoir contre tout acte administratif suggère que ce principe revêt une valeur supra-législative (17 février 1950, ministre de l'agriculture c/ M Lamotte). Le principe d'égalité « régit le fonctionnement des services publics » (9 mars 1951, société des concerts du conservatoire). Le Préambule est l'une des sources privilégiées de découverte et d'affirmation des principes généraux du droit : « il découle des principes généraux du uploads/S4/ constitution-et-droit-administratif.pdf

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  • Publié le Mai 02, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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