PSYCHIATRIE, DROITS DE L’HOMME ET DÉFENSE DES USAGERS EN EUROPE Collection Étud

PSYCHIATRIE, DROITS DE L’HOMME ET DÉFENSE DES USAGERS EN EUROPE Collection Études, Recherches, Actions en Santé Mentale en Europe dirigée par Claude Louzoun Bâtir un forum éditorial couvrant les champs de la santé mentale, de l’éthique et du droit, c’est affirmer en premier lieu une ambition de rencontre, de validation et de légitimation des approches critiques et transformatives. Y accueillir travailleurs de la santé mentale, hommes de lois, chercheurs, philosophes, représentants d’associations d’usagers, de familles et de défense des droits de l’homme, c’est bien sûr avouer une vocation interdisciplinaire. C’est avant tout mobiliser cette interdisciplinarité pour informer, traiter, débattre (et rendre accessibles aux professionnels et aux profanes) des enjeux, des problématiques, des élaborations, des pratiques, des réalisations qui œuvrent dans le sens de la communauté des citoyens. L’Europe est, de ce point de vue, un laboratoire et un vivier illustratifs de tous les progrès et de tous les dangers dans ces domaines. Offrir des espaces de critique pratique, de prise de position et d’exigence éthiques dans l’agir humain (tout à la fois social, symbolique, politique, technique, juridique) à l’œuvre dans ce vaste domaine et ses entrelacs, tel est notre objet. Voir les titres déjà parus en fin d’ouvrage. Philippe Bernardet Thomaïs Douraki Corinne Vaillant PSYCHIATRIE, DROITS DE L’HOMME ET DÉFENSE DES USAGERS EN EUROPE érès ISBN : 2-86586-965-2 CF – 1100 © Éditions Érès 2002 11, rue des Alouettes, 31520 Ramonville Saint-Agne www.edition-eres.com Conception de la couverture : Anne Hébert Illustration : L’abandon Bronze de Camille Claudel © ADAGP Depuis une trentaine d’années, le cadre juridique de l’hospitalisation et du soin psychiatrique est l’objet d’un important débat et d’une refonte radicale ou partielle dans la plupart des pays européens. Ce débat accompagne une évolu- tion des pratiques et de l’organisation du soin psychiatrique, résultant à la fois de la mise en œuvre de nouveaux moyens tels les neuroleptiques, comme de la mise en place progressive du soin ambulatoire et de structures extra-hospita- lières. Il résulte peut-être surtout d’une volonté politique particulière tendant à renforcer l’approche médicale non seulement du trouble mental, mais encore et plus largement des difficultés relationnelles, propres au monde moderne. L’explosion de Mai 1968 avait pourtant conduit à mettre en cause la médica- lisation des conflits de la vie quotidienne. Un mouvement davantage supporté par les professionnels de la santé mentale dénonça ensuite l’usage de la psychia- trie à des fins politiques dans les pays de l’Est, notamment pour contenir la dissidence. Mais, compte tenu du développement de la psychiatrie dans l’ensemble des pays européens, se pose, aujourd’hui, avec une plus grande acuité, la question du rapport au droit dans l’exercice psychiatrique et, singuliè- rement, celle de la qualité de sujet de droit de toute personne, souffrant ou non de troubles mentaux plus ou moins graves. Se pose par suite, également, la question de la citoyenneté du malade mental ; car, aussi extraordinaire que cela paraisse, une telle dimension de l’homme souffrant demeure, aujourd’hui encore, problématique, à en croire non seulement certaines pratiques ayant cours en psychiatrie dans l’ensemble des pays européens, mais aussi certaines appréciations posées par les diverses juridictions comme par les législateurs nationaux, voire par les organes de contrôle internationaux 1. Introduction Le traitement des troubles mentaux en Europe 1. Voir notamment, D. Shelton et Th. Douraki, Rights of the Mentally Ill, research study presented to the Parliementary Assembly of the Council of Europe, Strasbourg, ASJUR, 1992 (43), 41 p. Le développement des moyens chimiothérapiques et le recours toujours plus important à la contrainte de soins se substituant à la vieille logique asilaire posent en réalité de nouveaux problèmes quant au droit des personnes ; problèmes qui nécessitent un examen urgent et approfondi si l’on veut préserver au mieux les droits de l’homme, notamment la liberté de chacun. Aujourd’hui, la France connaît par exemple chaque année plus de 600 000 admissions en hôpital psychiatrique, dont au moins 60 000 internements officiel- lement recensés et une cohorte de 1 200 000 personnes régulièrement suivies sur les secteurs de psychiatrie publique. Ces chiffres impressionnants, en augmen- tation constante, ne peuvent laisser indifférent. Ils suscitent de nombreuses interrogations, comme les protestations de personnes traitées qui se plaignent de violences, des effets secondaires des traitements, de l’atteinte à leur vie familiale et privée, voire d’internements abusifs, là où l’encadrement psychia- trique entend agir pour leur bien. Enquêtant sur l’internement psychiatrique dans les cantons du Jura bernois et de Fribourg, Michel Berthe note ainsi que « plus de 50 % des personnes privées de liberté considèrent que cette privation de liberté ne les a pas aidées et n’a pas résolu leurs problèmes. Une minorité estime que cette mesure a été positive. Aussi bien dans le canton de Berne que dans celui de Fribourg, moins de 25 % des assistants sociaux considèrent que cette mesure a aidé le client à résoudre ses problèmes 2 ». Sous bien des aspects d’ailleurs, nous le verrons, droit à la santé et droit à l’autonomie s’opposent et sous-tendent, l’un et l’autre, des logiques différentes, instaurant un clivage entre pays latins et pays anglo-saxons. La construction de l’Europe, notamment le développement des recours aux organes de la Convention européenne de sauve- garde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tend cependant à réduire cette opposition et concourt à la refonte des anciens schèmes d’interpré- tation et d’action. Ce mouvement de remise en cause est général. Il s’accompagne néanmoins d’une diversité des situations propres à chaque nation. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de ce livre que de mettre à jour cette variété des solutions mises en œuvre au niveau national dans le dépassement du vieux paradigme de l’aliéna- tion mentale, de son enfermement, voire de sa négation. La situation de la France est à ce sujet, et sous bien des aspects, tout à fait particulière. La France a en effet conservé le principe de l’internement administratif à fin de sûreté, mais aussi d’assistance et, aujourd’hui, d’accès aux soins. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, voire au-delà, la loi du 30 juin 1838 avait constitué un modèle pour la plupart des pays européens en matière de prise en charge des aliénés et d’organisation du soin psychiatrique. Désormais, un tel système paraît atypique par rapport à l’effort de dépassement des vieux paradigmes du XIXe siècle, développé par les autres pays européens. 8 Psychiatrie, droits de l’homme et défense des usagers en Europe 2. M. Berthe, « Synthèse d’un travail de recherche effectué dans les cantons de Fribourg et du Jura bernois au sujet de la privation de liberté à des fins d’assistance », dans La Législation sociopsychiatrique. Un bilan, M. Borghi (éd.), Institut du fédéralisme de l’univer sité de Fribourg, fondation suisse Pro Mente Sana, Fribourg, 1992, p. 69. Cette situation particulière de la France se traduit par quelques chiffres qui n’ont pas manqué d’interpeller non seulement l’opinion, mais encore l’adminis- tration publique. Le nombre de psychiatres, multiplié par douze en trente ans, fait de la France le pays qui, en Europe, dispose de plus de psychiatres par habitant, après la Suisse. La consommation des psychotropes et neuroleptiques y est également très nettement supérieure à celle des autres pays européens. Édouard Zarifian montre que la France consomme trois fois plus de médica- ments psychotropes que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, et deux fois plus que l’Italie 3. Comment peut-on expliquer ces disparités, et notamment la place particu- lière de la France – mais aussi de la Belgique –, dans cette consommation des traitements psychiatriques ? Faut-il renvoyer à une morbidité singulière de ces deux pays par rapport à leurs voisins ? Cela paraît aventureux, car les données épidémiologiques qui pourraient servir d’indicateur de santé sont, d’une manière générale, sujettes à caution. Faut-il mettre en avant le facteur culturel, comme le suggère l’équipe de David Cohen de l’université de Montréal 4 ? S’agit- il d’un arrière-effet du système de couverture sociale, voire du poids particulier des trusts pharmaceutiques et des politiques de lobbying ayant cours dans chaque pays ? Serait-on tout simplement mieux soigné en France et en Belgique que dans toute autre nation ? Il est encore impossible de répondre à de telles questions qui relèvent d’une analyse multi-factorielle bien délicate à conduire compte tenu, d’une part, de la multiplicité des variables qu’il faudrait faire inter- venir pour la mener à bien, et, d’autre part, de la fragilité des diagnostics comme de la validité des prescriptions. Il faudrait en outre pondérer ces chiffres par la consommation réelle des traitements, car de nombreux médicaments prescrits, voire achetés ou diffusés dans les établissements, ne sont en réalité pas pris par les patients. En définitive, 11 % de la population française déclare prendre régulièrement des psychotropes, ce qui place la France au premier rang des consommateurs mondiaux de telles substances. Il s’agit là d’une indication finalement plus significative que toute autre. Ces chiffres s’éclairent par ailleurs de la comparaison des données relatives à l’internement psychiatrique propre à chaque pays. Il y a ainsi en France, selon les périodes prises en considération, deux à quatre fois plus d’internements qu’au Royaume-Uni et uploads/S4/ 14524154.pdf

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  • Publié le Nov 20, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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