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Éditrice : Julie Davidoux Conception graphique – PAO : Nord Compo Couverture : Quintin Leeds © Philosophie magazine Éditeur, 2021 Tous droits réservés 10, rue Ballu – 75009 Paris www.philomag.com contact@philomag.com ISBN : 978-2-900818-64-0 Diffusion : Geodif Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle. Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. Tඉඊඔඍ ඌඍඛ ඕඉගඑනකඍඛ Page de titre Page de copyright Préface – L’appel des Lumières par Martin Legros Hartmut Rosa - Nous pouvons donc ralentir Eva Illouz - Black Lives Matter et #MeToo, ou la politique des corps vulnérables Marylin Maeso - Hommage à Samuel Paty, professeur de doute et maître de vie Michael Walzer – Olúfẹ́mi Táíwò – Liam Kofi Bright - Le capitalisme est-il raciste ? Helen Lewis - Harry Potter et la cancel culture Pankaj Mishra - La faillite du modèle libéral Bruno Latour - Comment atterrir ? Judith Butler - La politique du chagrin Arjun Appadurai - Voici venu le temps de la révolte des élites Nicholas Bloom - Le télétravail : une bombe à retardement inégalitaire Mireille Delmas-Marty - La justice mondiale en mouvement Paul Sebillotte - Pour une lecture anticapitaliste des pandémies Peter Singer – Lucy Winkett - La vie des jeunes vaut-elle vraiment plus ? Nadia Yala Kisukidi - La joie africaine Ran Halévi - Le trumpisme après Trump Jared Diamond - Apprendre à lutter en commun Martha Nussbaum - Une éthique de la colère Maurizio Ferraris - Save The Planet ou sauve qui peut ? Les auteurs Préface L’appel des Lumières « Où suis-je ? Quelle heure est-il ? Telle est de nous au monde la question inépuisable », affirmait Paul Claudel. Mais comment savoir, en 2021, où nous sommes et quelle heure il est ? Sur quel cadran jeter l’œil pour répondre à la question inépuisable qui se trame entre le monde et nous ? Afin de débroussailler la situation qui est la nôtre aujourd’hui, faisons un petit détour historique. En décembre 1784, à la veille de la Révolution française, le magazine allemand Berlinische Monatsschrift lançait une grande enquête auprès de ses lecteurs pour chercher à répondre à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? Le philosophe Emmanuel Kant, qui venait, trois ans plus tôt, de renouveler complètement le champ de la pensée avec sa Critique de la raison pure, proposa en guise de réponse une définition frappante : « Les Lumières, affirma- t-il, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui- même responsable. » Et d’inciter chacun à s’émanciper par la raison : « Sapere Aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières. » Deux siècles et quelques révolutions plus tard, en mai 1984, le philosophe Michel Foucault publia dans le Magazine littéraire un commentaire lumineux du propos de Kant. Foucault cherchait à dépasser l’appel un peu candide à « se servir de sa raison », devenu depuis Kant à la fois évident et insuffisant tant les ennemis de la raison semblaient avoir perdu en puissance et tant la raison elle- même avait appris entretemps à se méfier d’elle-même et à faire place aux forces obscures qui la traversent, de l’inconscient au désir de domination. Aussi l’auteur de L’Archéologie du savoir invite-t-il à découvrir dans la tribune de Kant autre chose qu’une défense du courage intellectuel : la première apparition de l’actualité comme question philosophique. De fait, dans son article, Kant n’incitait pas seulement chacun à user publiquement de sa raison. Il faisait de son propre présent un moment nouveau dans l’histoire, le moment où l’appel lancé à penser par soi-même pouvait être entendu par l’humanité tout entière. Sous cet angle, les Lumières ne doivent plus seulement être considérées comme une tâche philosophique, elles définissent une époque, cette époque qui décide de se saisir d’elle-même par la raison. Les Lumières, c’est le moment où la raison se saisit du présent comme ce dont elle a à dire le sens, la valeur et la singularité. « Qu’est-ce qui se passe maintenant ? Et qu’est-ce que c’est que ce “maintenant” à l’intérieur duquel nous sommes les uns et les autres ? » Tel est pour Foucault le sens de la démarche philosophique initiée avec les Lumières. Deux cent cinquante ans après Kant, quarante ans après Foucault, l’idée que la pensée trouve dans l’actualité son ressort et son élément ne s’est pas démentie, elle s’est même aiguisée. En 2021, à l’heure où l’humanité est saisie par la pandémie de la Covid- 19, où le terrorisme fait vaciller les fondements de la vie en commun et où la crise écologique met en jeu la possibilité même d’un avenir pour les générations futures, nous avons plus que jamais le sentiment de faire l’expérience du sans précédent. Et nous sommes nombreux à considérer que la tâche qui incombe à la pensée, si elle veut être vivante, inventive, et même responsable, est de scruter l’actualité pour trouver dans les questions qui sourdent de notre présent l’impulsion à se relancer. Mais, par un retournement imprévisible dont l’histoire a le secret, tout se passe comme si nous retrouvions en même temps, dans cette actualité qui nécessite d’être pensée, l’exigence des Lumières au sens premier que Kant leur donnait : celle d’infuser en chacun le courage d’user de sa raison pour sortir de l’état de tutelle dans lequel nous sommes toujours menacés de tomber. Si l’on se penche sur les données de notre situation, ne sommes-nous pas en effet mis en demeure, presque quotidiennement, non seulement de comprendre ce qui nous arrive, mais d’agir en fonction du jugement éclairé que nous posons sur le présent ? Lorsque nous sommes confinés pendant des semaines dans nos domiciles, que notre liberté première, celle d’aller et venir à notre guise et de nous réunir en privé ou en public, est drastiquement restreinte aux noms d’impératifs sanitaires qui font eux-mêmes l’objet d’un débat parfois contradictoire entre scientifiques, ne sommes-nous pas divisés, en tant que citoyens éclairés, entre la nécessité de faire confiance aux experts et celle de discuter les décisions politiques qui s’autorisent de cette expertise pour nous dicter notre comportement ? Lorsqu’un professeur d’histoire est décapité dans la rue par un jeune fanatique pour avoir délivré à ses élèves un cours sur la liberté d’expression, ne sommes-nous pas tous ramenés à l’impératif de défendre l’usage de la raison et à prendre la mesure des nouvelles formes de tutelles qui s’exercent sur l’esprit des jeunes en particulier ? Lorsque les violences policières à l’endroit de la communauté afro-américaine aux États-Unis ou le mouvement #MeToo contre les violences faites aux femmes résonnent dans le monde entier, faisant apparaître que le racisme et le sexisme dont on se croyait définitivement débarrassé sont encore profondément enracinés dans la vie sociale, ne sommes-nous pas incités à scruter, dans le for intérieur de chacun d’entre nous, les stigmates de cette histoire ? Et à refuser également que l’accusation de racisme ou de sexisme puisse être brandie pour décrédibiliser les opinions divergentes ? Enfin, lorsque nous sommes sans cesse ramenés aux conséquences écologiques de nos comportements quotidiens, ne sommes-nous pas incités à mesurer notre (ir)responsabilité dans le réchauffement climatique sans s’en remettre à d’autres du soin de régler ces problèmes ? Peu après avoir défini la minorité comme « l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigé par un autre », Kant donnait, dans son article de presse, quelques exemples simples mais éloquents de ce qui peut conduire des adultes, pourtant « affranchis depuis longtemps de toute tutelle étrangère », à renoncer à exercer leur jugement « par paresse ou par lâcheté », de sorte qu’il soit « si facile à d’autres de les diriger ». Cela peut consister, écrivait-il, à s’en remettre à un livre, profane ou sacré, « pour me tenir lieu d’entendement », ou à confier à « un directeur de conscience ou à un médecin » la charge de décider du détail de ma vie. « Il est si commode d’être mineur. » Un penchant entretenu par tous les « bienveillants tuteurs » qui cherchent à nous convaincre que se servir de son entendement est aussi pénible que dangereux. Quel est le remède, alors ? Kant ne comptait pas sur l’effort héroïque de l’individu de « s’arracher tout seul à la tutelle ». Il n’incitait pas non plus à l’insoumission, car raisonner ne doit surtout pas empêcher, selon lui, d’obéir aux décisions collectives. Il s’en remettait à l’existence d’un espace public libre et éclairé. « Il n’est besoin de rien d’autre que de la liberté ; de fait, de sa plus inoffensive manifestation, à savoir l’usage public de sa raison et ce, dans tous les domaines. » N’en sommes-nous pas toujours là, en uploads/S4/ 21-penseurs-pour-2021-by-martin-legros-legros-martin.pdf
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- Publié le Oct 09, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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