Adaptabilité et pragmatisme du droit musulman 1 Dans un souci d‟homogénéiser
Adaptabilité et pragmatisme du droit musulman 1 Dans un souci d‟homogénéiser la translittération des mots arabes des différents articles de ce volu (...) 1Au cours de cette dernière décennie, de nouvelles réformes du statut personnel et du Code pénal ont vu le jour dans de nombreux pays musulmans. Ces réformes touchent en particulier au mariage (nikâh ou zawaj)1, à la répudiation (talâq), au divorce féminin (khul‛), à la filiation (nasab), à « l‟adoption » (kafâla) et aux peines relatives à l‟adultère (zinâ), au viol (zinâ) et aux crimes dits d‟honneur (yusamma jarâ’am ash-sharaf). Dans un contexte migratoire comme celui de la France, la manière d‟appréhender des institutions musulmanes inconnues du droit français, telles la répudiation, la polygamie, ou la kafâla, a également évolué. Par ailleurs, des nouvelles questions de bioéthique issues du développement de la science et des techniques comme la contraception, l‟avortement, le diagnostic prénatal, les procréations médicalement assistées, les tests ADN, le clonage, les cellules souches, ou encoreles greffes d‟organes, ont amené les juristes musulmans (fuqâhâ’, „ulamâ’, muftî) à émettre des avis juridiques (fatâwâ,sg : fatwâ) sur ces questions inédites du point de vue du droit musulman classique tout en puisant leurs réponses dans l‟esprit même de ces textes. 2Ce livre regroupe un ensemble de contributions en français et en anglais d‟anthropologues, de juristes, et d‟historiens qui traitentde ces évolutions juridiques dans les communautés musulmanes de différents pays (Algérie, Tunisie, Maroc, Mauritanie, Sénégal, Niger, Nigéria, Égypte, Liban, Jordanie, Palestine, Pakistan, Iran, France). Les contributions concernent le contenu de ces réformes, le contexte au sein duquel elles sont apparues, les débats qui les ont accompagnées, ainsi que les résistances éventuelles à leur mise en œuvre. Les évolutions législatives récentes diffèrent localement selon les pays, leur histoire, leur culture, leur gouvernement ainsi que selon l‟influence de mouvements plus globaux qu‟ils soient féministes, islamistes, humanitaires. Parallèlement à la ratification de conventions internationales inspirées des droits de l‟homme, de la femme, et de l‟enfant, la référence à la loi islamique (Sharî‛a) demeure essentielle dans les pays musulmans, en tant qu‟elle possède un caractère sacré et reste constitutive de leur identité. 2 Au sujet d‟un certain pragmatisme en islam, voir Corinne Fortier (2003, 157). 3En outre, le fait que des membres des populations civiles en Afghanistan, en Iraq et en Palestine aient été tués au nom d‟une cause prétendue juste et démocratique qui se réclame des droits de l‟homme, ont amené certainsmusulmansà ne plus croire en ces valeurs universalistes et à se tourner vers des valeurs religieuses qui incarnent une résistance à ce qui est parfois vécu comme une hégémonie et une ingérence de pays occidentaux. Or la référence à la Sharî‛a, dont le terme même est devenu synonyme de régression et d‟obscurantisme en Occident, après l‟application stricte et intransigeantequ‟en ont faite les Talibans en Afghanistan, n‟est pas toujours aussi sclérosée et immuable qu‟on a tendance à le croire mais porte en elle une certaine plasticité ainsi qu‟une logique pragmatique2. 4Le rappel du caractère pragmatique et non dogmatique du droit islamique est d‟autant plus important aujourd‟hui que l‟islamisme gagne les consciences de nombreux musulmans de par le monde. On voit fleurir une littérature islamiste peu onéreuse qui envahit les étals des vendeurs ambulants des mosquées des pays musulmans comme les rayons des librairies musulmanes dont on peut constater le nombre croissant à Paris. Or, ces ouvrages donnent souvent une vision étriquée du statut des femmes, beaucoup plusrégressive que les textes de droit musulmans anciens qui sont sur ce pointplussubtils et complexes. 5Le droit musulman classique ou fiqh constitue le socle de référence de nombreux pays musulmans bien que ceux-ci connaissent d‟autres sources de droit (coutumier, ottoman, napoléonien, international…). Le droit musulman n‟est pas homogène, variant selon les rites (mâdhâhib), en particulier sunnite et shiite, le sunnisme étant lui-même divisé en plusieurs rites qui sont assez similaires malgré quelques « petites différences ». Le Liban, formé de diverses communautés religieuses, comme d‟autres pays arabes, connaît un pluralisme juridique surtout en matièrede divorce, de garde d‟enfant, et de succession, pluralisme qui conduit parfois, comme le montre l‟article d‟Alexa Hechaime, à des conversions de complaisance, par exemple lorsquedes familles sunnites qui n‟ont pas d‟enfants de sexe masculin se convertissent au shiisme pour protéger les droits successoraux de leurs filles. 6En dépit de cette diversité interne,le droit musulman obéit à des principes (usul al-fiqh) unitaires dans son fonctionnement et il s‟est constitué sur un socle scripturaire commun. La première source est le Coran qui jouit d‟un statut incomparable auprès des musulmans sunnites ou shiites en tant que parole même de Dieu. La deuxième source est la Sunna, regroupant les dits ou hadith (hadîth) et les faits du Prophète (Muhammad) (m. 632 J.C.), ainsi que son assentiment parfois implicite (taqrîrât) aux actes de ses compagnons et de ses épouses. La Sunna constitue un modèle de conduite pour tout musulman, bien que les textes de référence en la matière diffèrent selon les sunnites et les shiites. Enfin, le droit musulman intègre la coutume (‘urf) comme source du droit, ce qui autorise une certaine spécificité juridiquepropre à chaque société. 3 Trad. Berque, 1995, 155. 7De plus, dans le droit musulman, à côté du corpus de traités juridiques propre à chaque rite, il existe des principes guidant l‟usage de ce droit (usul al-fiqh), qui permettent d‟appréhender ce corpus de façon dynamique et éclairée, et nonde façon littérale et dogmatique. Par exemple, un principe juridique classique du droit musulman est souvent mis en œuvre par les acteurs musulmans – qu‟ils appartiennent à des autorités religieuses (muftî), ou même qu‟ils soient de « simples » croyants (mûminîn) habitués à la logique jurisprudentielle islamique – afin de tolérer des pratiques habituellement interdites (harâm) mais qui, lorsque les circonstances l‟imposent, peuvent être exceptionnellement admises, ce principe peut se résumer en ces mots : « nécessité fait loi » (ad-darûrat tubîhu al-mahzûrât). Ce principe de nécessité (darûra) est tiré d‟un verset du Coran (VI, 119) qui autorisele croyant à manger une viande illicite dans la mesure où il y est contraint par les circonstances. Après avoir rappelé le principe religieux général selon lequel tout musulman doit suivre les commandements de Dieu, le verset cite néanmoins une clause d‟exception : « Il a détaillé ce qu‟Il vous interdit sauf en cas de nécessité »3. Ce principe juridique accorde une relative souplesse d‟interprétation par rapport à la lettre de la loi en permettant au croyant d‟avoir recours à des actes prohibés au nom de la nécessité. 8En plus de ce principe juridique qui admet un certain pragmatisme, il existe aussi en islam un autre principe qui autorise une utilisation compréhensive de la jurisprudence islamique (fiqh). Moins connu que le principe de nécessité, il n‟en est pas moins important puisqu‟il relève non plus des principes juridiques (usul al-fiqh) mais de la loi islamique (Sharî‛a) elle- même. Ce principe consiste à distinguer cinqfins supérieures (maqâsid) que le croyant se doit de conserver : ce sont la religion ou l‟islam (dîn), la vie ou l‟âme (nâfs), la filiation ou la descendance (nasab), la raison ou la dignité („aql), et les biens ou la propriété (mâl). Il est par conséquent possible de ne pas se conformer à certaines prescriptionslorsqu‟elles s‟opposent aux intérêts supérieurs qu‟il convient avant toutde préserver. 9Le principe de nécessité et celui de la préservation d‟un des buts supérieurs, qui s‟articulent bien souvent ensemble dans les faits, ne sont mis en œuvre que parce qu‟ils visent un bien commun (maslaha), principe également important en islam. On voit donc que loin d‟être figé et immuable, le droit musulman, grâce à « l‟effort d‟interprétation raisonnée » (ijtihâd) opéré par tout érudit musulman (‘alîm) selon certains principes de raisonnement établis tel le raisonnement par analogie (qiyâs), sait se renouveler et s‟adapter à des innovations technologiques, à de nouvelles réalités sociales et à des espaces culturellement différents de l‟islam. Cette forme d‟inventivité tant qu‟elle débouche sur une innovation (bid‛a) non pas blâmable (madhmûma) mais bonne (hassana), fait partie de l‟espace d‟élaboration possible qu‟admet la jurisprudence musulmane, toute innovation n‟étant pas nécessairement condamnable en islam comme on peut parfois le lire. 4 Pour cette raison, il a été déchu de sa nationalité égyptienne par le président Gâmal „Abdal al-N (...) 10Parmi les nombreux juristes musulmans contemporains, il en est unqui se distingue aujourd‟huipar son audience dans le monde musulman et en Europe, il s‟agit du shaykh Yûsuf al-Qaradâwî. D‟origine égyptienne (né en 1926), il a fait partie du mouvement islamiste des « frères musulmans » (jami‛at al-ikhwân al-muslimin) en Égypte4, bien qu‟il se présente comme un penseur moderne et modéré (wasatiyya) critiquant les salafistes wahabites qui donnent une interprétation littérale et stricte des sources de l‟islam. Il est l‟auteur de nombreux ouvrages sur l‟islam dont certains sont traduits en français comme : Fatwas contemporaines, La place de la femme en islam, Le licite et l’illicite en islam. Ce dernier livre fut interdit temporairement en France en 1995 par le ministre de l‟intérieur de l‟époque suite à son autorisation, fondée sur le Coran, à « corriger » physiquement sa femme en cas uploads/S4/ adaptabilite-et-pragmatisme-du-droit-musulman.pdf
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- Publié le Nov 25, 2022
- Catégorie Law / Droit
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