308GRANDE CHAMBRE AFFAIRE S.M. c. CROATIE (Requête no 60561/14) ARRÊT Art 4 • O
308GRANDE CHAMBRE AFFAIRE S.M. c. CROATIE (Requête no 60561/14) ARRÊT Art 4 • Obligations positives • Lacunes importantes dans la réponse procédurale apportée par les autorités internes à un grief défendable de traite d’êtres humains et de prostitution forcée étayé par un commencement de preuve • Traite des êtres humains entrant dans le champ d’application de l’art 4 si la combinaison des trois éléments constitutifs (acte, moyens et objectif d’exploitation) de la définition internationale de cette notion sont présents • Notion de traite des êtres humains s’appliquant à la fois à la traite nationale et transnationale, qu’elle soit ou non liée à la criminalité organisée • Notion de « travail forcé ou obligatoire » protégeant contre la prostitution forcée, qu’elle s’inscrive ou non dans le contexte de la traite d’êtres humains • Existence de « traite d’êtres humains » et/ou de prostitution forcée constituant une question factuelle à examiner à la lumière de toutes les circonstances pertinentes • Principes relatifs aux obligations positives incombant aux États dans les affaires de traite d’êtres humains s’appliquant aussi aux affaires de prostitution forcée • Appréciation du respect de l’obligation procédurale centrée sur les défaillances importantes de nature à affaiblir la capacité de l’enquête à établir les circonstances de l’affaire ou les responsabilités • Commencement de preuve fondé sur le « recrutement » sur Facebook, le recours à la force, des éléments d’hébergement et une servitude pour dette • Accusé capable d’exercer une domination sur la requérante et d’abuser de sa vulnérabilité • Autorités n’ayant pas suivi des pistes d’enquête évidentes et poids excessif accordé au témoignage de la victime sans prise en compte de l’impact éventuel d’un traumatisme psychologique STRASBOURG 25 juin 2020 Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme. ARRÊT S.M. c. CROATIE En l’affaire S.M. c. Croatie, La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de : Robert Spano, président, Jon Fridrik Kjølbro, Angelika Nußberger, Ksenija Turković, Síofra O’Leary, Vincent A. De Gaetano, Julia Laffranque, Valeriu Griţco, Egidijus Kūris, Branko Lubarda, Carlo Ranzoni, Georges Ravarani, Pere Pastor Vilanova, Georgios A. Serghides, María Elósegui, Arnfinn Bårdsen, Darian Pavli, juges, et de Roderick Liddell, greffier, Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 mai 2019, le 8 janvier et les 25 et 26 mars 2020, Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date : PROCÉDURE 1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60561/14) dirigée contre la République de Croatie et dont une ressortissante de cet État, Mme S.M. (« la requérante »), a saisi la Cour le 27 août 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la Grande Chambre a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par la requérante (article 47 § 4 du règlement de la Cour – « le règlement »). 2. La requérante, qui avait été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représentée par Me S. Bezbradica Jelavić, avocate à Zagreb. Le gouvernement croate (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Š. Stažnik. 3. La requérante soutenait, en particulier, que les autorités internes n’avaient pas appliqué de manière effective les mécanismes de droit pénal pertinents en réponse à ses allégations de traite des êtres humains et/ou d’exploitation de la prostitution, ce qui serait contraire aux articles 3, 4 et 8 de la Convention. 4. La requête fut attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 19 juillet 2018, une chambre de cette section composée de Linos-Alexandre Sicilianos, Kristina Pardalos, Krzysztof Wojtyczek, 2 ARRÊT S.M. c. CROATIE Ksenija Turković, Armen Harutyunyan, Pauliine Koskelo et Jovan Ilievski, juges, et de Abel Campos, greffier de section, rendit son arrêt. La majorité de la chambre déclara la requête recevable et conclut à une violation de l’article 4 de la Convention en son volet procédural. L’opinion dissidente de la juge Koskelo fut jointe à l’arrêt. 5. Le 19 octobre 2018, le Gouvernement sollicita le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre au titre de l’article 43 de la Convention. Le 3 décembre 2018, le collège de la Grande Chambre fit droit à cette demande. 6. La composition de la Grande Chambre a ensuite été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Pendant les deuxièmes délibérations, Angelika Nußberger, Vincent A. De Gaetano et Julia Laffranque, dont le mandat a pris fin au cours de la procédure, ont continué de connaître de l’affaire (article 23 § 3 de la Convention et article 24 § 4 du règlement). Robert Spano a succédé à Angelika Nußberger à la présidence de la Grande Chambre (articles 10 et 11 du règlement). 7. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement). De plus, des tierces interventions ont été reçues du Groupe d’experts du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), de la Clinique doctorale de droit international des droits de l’homme de la faculté de droit d’Aix-en-Provence, du centre de recherche L’Altro diritto onlus (université de Florence) et du groupe de chercheurs composé de Mme Bénédicte Bourgeois (université du Michigan), Mme Marie-Xavière Catto (université Paris I Panthéon-Sorbonne) et M. Michel Erpelding (Institut Max Planck Luxembourg pour le droit procédural international, européen et réglementaire). 8. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 15 mai 2019 (article 59 § 3 du règlement). Ont comparu : – pour le Gouvernement Mmes Š. STAŽNIK, représentante de la République de Croatie devant la Cour européenne des droits de l’homme, agent, N. KATIĆ, représentation de la République de Croatie devant la Cour européenne des droits de l’homme, M. K. NIKOLIĆ, représentation de la République de Croatie devant la Cour européenne des droits de l’homme, conseillers ; – pour la requérante Me S. BEZBRADICA JELAVIĆ, avocate, conseil. 3 ARRÊT S.M. c. CROATIE La Cour a entendu en leurs déclarations Me Bezbradica Jelavić et Mme Stažnik, et, en leurs réponses aux questions posées par les juges, Me Bezbradica Jelavić, Mme Katić et Mme Stažnik. EN FAIT 9. La requérante est née en 1990 et réside à Z. 10. En raison de problèmes familiaux, elle vécut dans une famille d’accueil de 2000 à 2004. Elle fut ensuite hébergée dans un foyer public pour enfants et adolescents où elle résida jusqu’à la fin de sa formation professionnelle dans le secteur de la restauration. Elle emménagea ensuite chez son père, à S. ; elle rendait occasionnellement visite à sa mère à Z. I. LA PLAINTE PÉNALE DÉPOSÉE PAR LA REQUÉRANTE ET L’ENQUÊTE SUBSÉQUENTE A. La plainte pénale déposée par la requérante contre T.M. 11. Le 27 septembre 2012, la requérante se rendit dans un poste de police de Z. et déposa contre un dénommé T.M. une plainte pénale qui fit l’objet d’un procès-verbal. Elle allégua que pendant l’été de 2011 T.M. avait exercé sur elle des contraintes physiques et psychologiques pour qu’elle se prostituât. 12. La requérante relata que T.M. avait pris contact avec elle pour la première fois sur Facebook peu avant l’été 2011 en se présentant comme un ami de ses parents. Elle indiqua qu’après ce contact initial elle avait continué pendant un mois ou deux d’échanger avec lui des messages sur des banalités. Elle ajouta qu’ensuite, en juin ou en juillet 2011, elle avait rencontré T.M. et était allée prendre un verre avec lui. Il lui aurait alors expliqué qu’il connaissait ses parents et qu’il voulait l’aider à trouver un emploi. Il lui aurait laissé son numéro de téléphone dans ce but. Elle aurait dès ce moment-là senti que T.M. tenait à tout contrôler et qu’il n’était pas possible de le contredire. 13. La requérante déclara en outre qu’après cette rencontre elle avait continué à dialoguer avec T.M. sur Facebook. Elle indiqua que, n’ayant aucune raison de douter des intentions de T.M., elle avait pris contact avec lui deux semaines environ après leur première rencontre et qu’ils avaient décidé de se revoir. Elle relata que lors de cette seconde rencontre, T.M. lui avait annoncé qu’il allait l’emmener chez un homme auquel elle allait devoir fournir des services sexuels tarifés. T.M. lui aurait expliqué qu’elle devrait demander 400 kunas ((HRK), environ 50 euros (EUR)) pour ses prestations et lui remettre ensuite la moitié de cette somme. Elle aurait répondu qu’elle refusait de faire ce genre de choses, mais T.M. lui aurait assuré que cela ne durerait que le temps qu’il lui trouvât un véritable 4 ARRÊT S.M. c. CROATIE emploi. Ayant déjà compris que T.M. n’était pas quelqu’un à qui l’on pouvait dire « non », elle aurait, poussée par la crainte, accepté de l’accompagner auprès de l’homme en question. 14. La requérante raconta que T.M. l’avait conduite en voiture près de Zap. (une ville proche de Z.), où l’homme en question uploads/S4/ affaire-s-m-c-croatie.pdf
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- Publié le Jan 23, 2022
- Catégorie Law / Droit
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