© Éditions Plon, un département de Place des Éditeurs, 2019 12, avenue d’Italie
© Éditions Plon, un département de Place des Éditeurs, 2019 12, avenue d’Italie 75013 Paris Tél. : 01 44 16 09 00 Fax : 01 44 16 09 01 www.plon.fr www.lisez.com Couverture : © Ed Alcock / M.Y.O.P EAN : 978-2-259-28330-4 « Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L ’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. » Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. 1 La chute — Monsieur Benalla, il est 10 heures du matin, vous êtes placé en garde à vue. J’écoute l’officier de police judiciaire qui me récite machinalement mes droits : garder le silence, demander un médecin, faire appel à un avocat. Je l’entends à peine. La mise en scène me paraît exagérée. Je suis prêt à répondre à toutes les questions, persuadé que cela ne va pas durer longtemps. Ce vendredi 20 juillet 2018, je suis comme le gibier qui ne sait pas encore que la chasse est ouverte. Assis dans le petit bureau propret du 36, rue du Bastion – le tout nouveau siège de la police judiciaire, au nord de Paris –, je reste serein. Dehors, malgré quelques nuages, une belle journée s’annonce, il fait déjà chaud. Deux officiers de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne, la BRDP , me font face. Le premier doit avoir la quarantaine, l’allure athlétique, très posé. L ’autre est plus jeune, cheveux ras et barbe de trois jours. Jeans, baskets, pas d’arme à la ceinture. Ils me demandent courtoisement d’enlever mes lacets, ma ceinture et de vider mes poches. Je m’exécute, je connais la procédure. Gendarme réserviste, c’est moi qui demandais aux prévenus de se délester de leurs affaires. Puis ils me conduisent dans une cellule, après une fouille et une palpation réglementaire, le temps de préparer mon interrogatoire. Tout se passe comme prévu. J’avais été convoqué la veille. Il devait être environ 21 heures lorsque mon portable avait sonné, affichant sur l’écran la formule mystère : « Numéro masqué. » — Monsieur Benalla ? — Oui. — Bonsoir, je suis le capitaine L., de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne. Je vous invite à vous présenter demain matin, à 10 heures, dans nos locaux, au 36, rue du Bastion. — Je dois m’attendre à quoi ? Un interrogatoire ? — Euh… Venez demain à 10 heures. Alors j’attends, assis sur le bat-flanc scellé au mur dans la cellule. L ’inventaire de la pièce est vite fait : un robinet, un W .-C. à la turque qui dégage une forte odeur d’urine et, au plafond, l’œil d’une petite caméra de surveillance. Je repense à ma dernière conversation téléphonique, juste avant d’entrer dans les locaux de la police. J’ai appelé Ismaël Emelien, le conseiller spécial du Président, pour le prévenir de ma visite au 36. — Ismaël, je vais y aller. — D’accord. On regarde de notre côté, si tu démissionnes ou si on te licencie. — Et pour la vidéo, je dis que c’est toi ? — Oui, tu leur dis bien que tu me l’as donnée. — OK. — Allez, courage, vieux. Je ne sais pas quelle heure il est, ni combien de temps s’est écoulé depuis mon arrivée dans cette cellule. Les policiers m’ont retiré ma montre. Seule distraction, un gardien m’apporte ce qui tient lieu de repas : une barquette de riz trop sec agrémenté de légumes, une cuillère en plastique et un gobelet pour boire au robinet. Enfin, deux policiers viennent me chercher. Ils me guident vers une salle d’interrogatoire contiguë aux cellules de garde à vue. Le capitaine de police qui m’a accueilli est assis derrière une table, un ordinateur portable ouvert devant lui. Mon avocate, Audrey Gadot, est déjà installée. Il est 13 h 26. Ma première audition commence. Le policier m’interroge sur les événements du 1er Mai, place de la Contrescarpe, à Paris, puisque c’est de cela qu’il s’agit. Deux jours auparavant, les médias ont diffusé une séquence vidéo tournée le jour de la fête du Travail, me montrant aux prises avec deux personnes, un homme et une femme, alors que se déroulent de violents affrontements entre des casseurs et les forces de l’ordre. Circonstance aggravante aux yeux des commentateurs, je porte un casque de policier. Ce que je ne suis pas. Je travaille à l’Élysée en tant que chargé de mission, adjoint au chef de cabinet du président de la République. Des questions légitimes peuvent se poser à la vue de ces images et je trouve normal d’y répondre. Une question en particulier est ressassée par les chaînes d’information en continu et certains journaux : que fait un collaborateur du président de la République au cœur d’un attroupement violent et avec des signes extérieurs pouvant laisser croire qu’il est policier ? Je suis plutôt à l’aise pour y répondre et fournir tous les éclaircissements nécessaires. À condition toutefois que l’on veuille bien m’écouter. Pendant près de six heures, je réponds précisément et point par point aux questions de l’enquêteur. J’explique que j’étais en mission d’observation au sein d’une unité de police. Quelques semaines avant le 1er Mai, lors d’un déplacement en Guyane avec le Président, j’ai dû faire face à des violences urbaines. J’avais donc besoin de comprendre comment les opérations de maintien de l’ordre se déroulaient. La préfecture de Police m’a ainsi proposé de venir voir de l’intérieur. Elle répond fréquemment de façon favorable à des demandes de ce type pour des journalistes, des élus, des universitaires, des magistrats. Afin de ne pas être pris pour des contestataires, au risque de recevoir quelques coups de matraque, les observateurs invités par la préfecture de Police sont équipés d’un brassard « Police » orange. Cela a été clairement expliqué par les différentes autorités policières pendant la commission d’enquête du Sénat. Pour se protéger des jets de projectiles provenant des casseurs, un casque est à leur disposition – casque que j’ai béni de porter le 1er Mai lorsque le couple nous envoyait des bouteilles en verre. En ce qui concerne la radio, il s’agit de comprendre les manœuvres sur le terrain en liaison avec la salle de commandement. Sans cet équipement, impossible de comprendre ce qui se passe sur place. En fin de journée, ce 1er Mai, je me trouve place de la Contrescarpe, dans le Ve arrondissement de Paris, avec des CRS et des policiers en civil. J’ai d’abord assisté aux heurts très violents qui ont eu lieu en début d’après-midi en face de la gare d’Austerlitz. Puis, avec les policiers, j’ai suivi le déplacement des émeutiers jusqu’en haut de la rue Mouffetard. Une centaine d’individus, dont beaucoup sont habillés en noir, masqués et casqués, occupent la place. Entre jets de bouteilles, de pavés et bris de vitres, l’ambiance est très tendue. Deux lignes se font face : CRS d’un côté, émeutiers de l’autre. Les projectiles volent dans notre direction. Face à nous, un homme et une femme sont particulièrement agités. Ils ne cessent de proférer des insultes, font des bras d’honneur, lancent divers objets – bouteilles, cendriers, chaises – qui leur tombent sous la main. Le Code de procédure pénale prévoit dans son article 73 que : « Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche. » S’en prendre aux représentants de la loi me semblant largement relever de ce cas de figure – ce sont en effet des violences volontaires sur des personnes dépositaires de l’autorité publique –, j’interviens alors pour appréhender le couple. J’ai effectué plus de deux cents jours de mission dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie et procédé à de nombreuses interpellations, et force est de constater que les délinquants tendent rarement les poignets sagement pour qu’on leur passe les menottes. Il faut user de la contrainte nécessaire. Jamais de la violence gratuite. C’est ce que je fais, mais les policiers présents et moi-même avons du mal à neutraliser la furie de deux individus. Il est 19 h 15 quand l’audition se termine. Je suis épuisé. Des heures à répéter encore et encore la même chose, les mêmes mots, la même scène. Je signe les douze pages du procès-verbal. J’aimerais juste rentrer chez moi, mais ce n’est pas fini. Le capitaine me demande si j’autorise une perquisition à mon domicile d’Issy-les-Moulineaux, ainsi qu’à l’appartement du quai Branly dans lequel je n’ai pas encore emménagé. Je ne vois pas le rapport avec les faits de « violence » qui me sont reprochés, mais je donne évidemment mon accord, sachant que ce n’était en aucun cas uploads/S4/ alexandre-benalla-ma-verite-plon.pdf
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- Publié le Nov 20, 2022
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