1 L’évolution du droit de propriété au Maroc* Résumé : L’évolution considérée s
1 L’évolution du droit de propriété au Maroc* Résumé : L’évolution considérée se caractérise par une montée continue du droit de propriété privée dit « melk ». Inconnu avant la pénétration de l’Islam dans le pays précité, en raison de la non appropriation individuelle des terres de tribus et à peine perceptible après cette pénétration, vu le peu d’intérêt pour l’appropriation de la terre à laquelle il s’applique, compte tenu de l’importance des profits tirés plutôt du commerce, le droit « melk » est appelé à connaître un grand essor à l’époque coloniale, permettant à une minorité privilégiée de Marocains de s’approprier une partie importante des terres collectives des tribus, parallèlement aux ponctions opérées sur celles- ci en faveur des colons. Considérant le « melk » comme le mode d’appropriation qui répond le mieux aux impératifs du développement, le Maroc décolonisé en fera un objectif prioritaire, tout en s’efforçant de l’étendre à l’ensemble des terres appartenant aux possesseurs collectifs (guich, habous, makhzen). Mots clés : propriété collective; propriété éminente ; usufruit ;melk ; guich ; habous ; makhzen. Introduction L’étude de l’évolution du droit de propriété au Maroc est indispensable. On ne peut s’en désintéresser, sauf à vouloir s’enfermer dans une perception statique dudit droit. Elle est seule, en effet, à même de permettre d’en saisir l’essence, de connaître les apports successifs dont il a bénéficié à travers les âges, pour se présenter, finalement, avec le visage qui est le sien aujourd’hui. N’est-ce pas à travers la distance qui sépare le présent du passé qu’on lit les réalités du moment. Avant de se pencher sur l’évolution en cause, il importe de préciser le sens attribué actuellement au droit de propriété. L’on observe, à ce sujet, qu’il s’agit d’un droit réel, droit qui donne à la personne un pouvoir direct et immédiat sur une chose, et dont l’exercice intervient sans intermédiaire d’un tiers. Il est le plus important de tous les autres droits réels. Cette importance est telle qu’il se trouve placé au cœur du Code consacré par le législateur marocain à ces derniers, suite à l’adoption de la loi n°39-08, promulguée par le Dahir n°1-11-178 du 22 novembre 20111. Toutes les questions qui y sont traitées convergent vers lui et reçoivent un éclairage à partir de son contenu. Rien de plus normal, puisque ce qui caractérise le droit de propriété est qu’il sert de modèle aux autres droits réels, en ce que ceux-ci se constituent à son image. C’est par rapport à lui que les juristes ont tendance à raisonner, dans la mesure où il rend compte de toutes les notions essentielles du droit, qu’il s’agisse des biens ou des personnes, dans la perspective des techniques d’appropriation, évidemment. Les textes qui le concernent ne se limitent pas aux articles 14 à 36 du Code des droits réels (CDR) précité, ils englobent aussi ceux à caractère épars, comme les dispositions relatives à l’acquisition de la propriété prévues dans les contrats ou celles ayant trait à sa protection insérées dans le Code du droit pénal (art.570). Toutefois, ces textes ne révèlent guère de règles générales. En fait, un seul, mais d’importance capitale, il est vrai, exprime et fonde, désormais, une théorie générale du droit de propriété au Maroc. C’est l’article 14 du CDR, ainsi rédigé : « le droit de propriété est le droit qui confère au titulaire de celui-ci, à l’exclusion de toute autre personne, le pouvoir de jouir d’un immeuble, d’en user et d’en disposer, sous réserve des restrictions imposées par des dispositions légales ou réglementaires ou par des conventions. » Il est bien évident que cette définition reprend celle donnée par l’article 9 du Dahir du 2 juin 1915 fixant la législation applicable aux immeubles immatriculés, qui, à son tour, reprend, pour l’essentiel, l’article 544 du code * Par SalmaEl MelloukiRiffi, PA à l’Université Hassan II- Casablanca-Mohammedia, FSJES Mohammedia 1 Voir BO n°5998, du 24 nov. 2011 p.5587 Le numéro du BO susvisé n’a pu, jusque-là ,être édité en langue française. La transcription en cette langue du contenu des articles du Code des droits réels (CDR) cités au cours de la présente étude est le fait de notre propre traduction. 2 civil français de 1804, avant d’être abrogé par la loi n°39-08 susmentionnée2. Cependant, ses rédacteurs l’ont assortie de modifications qui sont loin d’être négligeables. Ils l’ont, d’abord, complétée, en ajoutant aux droits qui y sont consacrés, en l’occurrence le droit de jouissance et le droit de disposition, celui d’user, qui est aussi important que les deux premiers, compte tenu du fait qu’il permet au propriétaire d’user de l’immeuble pour son usage personnel. Par ailleurs, et étant donné la tendance à l’augmentation croissante des limitations apportées au caractère souverain de la propriété immobilière, afin de prendre en considération des intérêts autres que l’intérêt individuel du propriétaire, ils l’ont dotée de nouvelles restrictions. Aux prohibitions à caractère législatif et réglementaire, reprises à la définition datant de 1915, viennent s’additionner celles pouvant être prévues par le contrat, qui constitue la loi des parties. Enfin, ils l’ont délestée de la formule selon laquelle les droits qui échouent au propriétaire, en vertu du droit de propriété, peuvent être exercés « de manière la plus absolue ». En effet, comme le fait remarquer Paul Decroux, « on ne peut concevoir que quelqu’un vivant en société, puisse jouir d’un droit de propriété de la manière la plus absolue, même si on respecte, à la lettre, les lois et règlements »3 Force est d’observer que la définition dont il vient d’être fait état ne doit pas être perçue comme l’aboutissement uniquement de la période allant de 1915 à 2011 mais aussi du temps écoulé avant sa date de départ et qui se traduit par des siècles. Cela revient à dire que l’évolution en examen procède de ce que l’on appelle les tendances séculaires. Il en résulte qu’elle est vouée, d’une part, à être lente et progressive et, d’autre part, à voir les mutations de peu d’importance l’affectant s’estomper, pour faire place à une tendance générale vers tel ou tel type de changements. Ce dernier point suggère que l’on doit non seulement se demander comment s’effectue le changement du droit de propriété et quels sont les acteurs qui le provoquent, l’appuient, le favorisent ou s’y opposent, mais aussi, et par- dessus tout, repérer les aspects du droit susvisé où s’opère le changement. Plus précisément, on se demandera si c’est dans la nature de ses titulaires ou dans celle des biens destinés à être possédés, ou dans les règles devant lui être appliquées, ou encore dans les modes d’appropriation, et à l’intérieur de ceux –ci, dans l‘appropriation collective, non-individuelle et non-familiale, ou dans celle dite privée, notamment lorsqu’elle a pour nom « melk », ou dans tous ces éléments à la fois. On ne peut se livrer à une explication de ce qui a changé, sans l’avoir suffisamment localisée, souscrit et situé dans son contexte. En fait, tous les aspects, dont le chapelet vient d’être égrené, connaîtront un changement plus ou moins profond. Mais ce changement interviendra dans le sillage des deux modes d’appropriation susmentionnés, et conformément à leurs exigences, et plus exactement dans le sillage des rapports entretenus entre eux, rapports qui se distinguent par le recul constant du premier au profit du second, au point de se voir évincé totalement ou presque au terme de l’évolution objet de nos investigations. Telle est la problématique qui sous-tend la présente étude. Il appartient aux développements qui vont suivre de lui apporter plus de lumière et de preuves. Avant de s’y atteler, indiquons que l’analyse de l’évolution du droit de propriété au Maroc implique que l’on doit chercher à comprendre et à expliquer les phénomènes y relatifs en les reportant à leur contexte global. Dans le cas d’espèce, comme dans beaucoup d’autres, le « juridisme » ne fournit pas un cadre qui se suffit à lui-même. Seule une approche tenant compte, également, de ceux à caractère historique et sociologique est apte à permettre d’en fournir une vision plus proche de la réalité. On ne peut, en effet, en poursuivre l’examen sans se référer sans cesse aux évènements réels, singuliers ou particuliers, et aux constantes ou répétions sociales d’où émerge un certain ordre social naturel. Cela dit, on s’efforcera de regrouper les manifestations de l’évolution en cours d’étude en trois parties, la première couvrant l’espace de temps précédant la domination européenne, dont le Maroc est appelé à faire l’objet, la deuxième celui durant lequel cette domination aura effectivement lieu, la troisième celui où elle prendra fin. 2 Voir à propos du Dahir du 2 Juin 1915, BO, n°137 du 7 juin 1915 3 Voir Decroux (P.), « Droit foncier marocain », Editions La Porte , 1977, p.277 3 S’agissant du deuxième espace de temps, il importe de relever qu’une entente entre puissances européennes allait se réaliser pour considérer que leur domination sur le Maroc devait s’effectuer au nord par l’Espagne et au sud par la France, qui toutes deux s’engagèrent, en vertu de la convention de Madrid du 3 Juillet uploads/S4/ article-sur-l-x27-e-volution-de-proprie-te.pdf
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- Publié le Mar 12, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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