327 & JUSTICE CASSATION 2017 1. À l’heure où la Cour de cassation française mèn

327 & JUSTICE CASSATION 2017 1. À l’heure où la Cour de cassation française mène une réflexion sur son avenir, il peut être intéressant d’étudier comment d’autres cours suprêmes envisagent leur rôle. Il est ici proposé d’examiner le fonctionnement d’une juridiction peu connue des juristes français, la Cour suprême du Bénin. 2. Le Dahomey a été une colonie française entre 1894 et 1958. À compter de 1958, il est devenu un État autonome au sein de la Communauté française. Le 1er août 1960, le Dahomey est devenu indépendant, sous le nom de République du Dahomey, avant d’être renommé République populaire du Bénin en 1975 puis, en 1990, République du Bénin. Après avoir longtemps relevé de la Cour de cassation française, les juridictions du fond béninoises 1 sont soumises au contrôle de la Cour suprême du Bénin 2 depuis sa création par la Constitution du 25 novembre 1960 – sous réserve du contrôle actuellement exercé par la Cour commune de justice et d’arbitrage qui, en matière commerciale, évince la Cour suprême 3. 3. Aujourd’hui, cette Cour suprême, située à Porto-Novo, est divisée en trois chambres : chambre administrative, chambre judiciaire (elle-même divisée en trois sections : section des affaires civiles, modernes et commerciales, section des affaires sociales, pénales et des procédures spéciales, section des affaires traditionnelles 4) et chambre des comptes 5. 4. Jusque très récemment, la chambre administrative de la Cour suprême était la seule juridiction administrative à compétence générale du Bénin. À certains égards, elle pouvait être comparée au Conseil d’État français, avant l’apparition des tribunaux administratifs. Du fait qu’elle était l’unique juridiction administrative à compétence générale, la chambre administrative de la Cour suprême n’exerçait pas de contrôle de cassation puisque ce contrôle suppose l’existence d’une décision rendue en der- nier ressort par une autre juridiction 6. Laurent Poulet Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation (1) Sur cette question, v. J. John-Nambo, Quelques héritages de la justice coloniale en Afrique noire, Dr. et société 2002. 325 s. ; J. Djogbenou, Entre « Cour » et « suprême » : Quel avenir pour les juridictions suprêmes africaines ?, introduction au colloque international sur « Les cours suprêmes africaines, des origines à nos jours : bilans et perspectives », Cotonou, nov. 2011, no 11. (2) J. Djogbenou, art. préc., no 12. (3) V. infra n° 78. (4) Les affaires traditionnelles correspondent à l’état des personnes et à la pro- priété foncière. Elles s’opposent au droit moderne. (5) Il est possible que cette chambre se détache de la Cour suprême et qu’une cour des comptes soit créée (J. Djogbenou, art. préc., nos 6 et 33). (6) On pourrait imaginer que la Cour suprême intervienne comme juge de cassa- tion d’une décision rendue par une juridiction administrative à compétence spé- ciale. Mais la chambre administrative de la Cour suprême connaît « comme juge d’appel, des décisions rendues en premier ressort par les organismes administratifs à caractère juridictionnel » (art. 36, al. 1, de la loi du 23 oct. 2007). L’alinéa 2 de ce même article ajoute que « ces mêmes décisions, rendues en dernier ressort, & JUSTICE CASSATION La cassation ici et ailleurs. L’exemple du Bénin 328 & JUSTICE CASSATION 2017 Sur ce point, la situation vient d’évoluer. En effet, les chambres administratives des tribu- naux et cours d’appel ont été créées par la loi no 2001-37 du 27 août 2002 et, pendant très longtemps, n’ont pas fait l’objet d’une mise en place effective 7. Depuis le début de l’année 2017, les chambres administratives fonctionnent devant les tribunaux de première instance. La chambre administrative du tribunal de première instance de Cotonou a rendu sa pre- mière décision au mois de février 2017. Cela signifie que, très prochainement, lorsque ces chambres fonctionneront tant en première instance qu’en appel, la chambre administrative de la Cour suprême devrait devenir, un peu à l’image du Conseil d’État lorsqu’ont été créées les cours administratives d’appel, juge de cassation des arrêts rendus par les chambres admi- nistratives des cours d’appel 8. 5. Le champ de compétence de la chambre judiciaire de la Cour suprême du Bénin cor- respond aux domaines dans lesquels interviennent les six chambres qui composent la Cour de cassation française 9. 6. Il n’existe pas un modèle unique de cassation. Si l’on prend l’exemple de la France, le contrôle effectué aujourd’hui par la Cour de cassation n’est pas celui qu’elle exerçait auparavant ni celui qu’elle exercera demain. Et le contrôle des chambres civiles est différent de celui de la chambre criminelle. Certains considèrent que la cassation en matière sociale présenterait également suffisamment de spécificités pour lui donner une identité qui lui serait propre 10. Enfin, la Cour de cassation n’est pas le seul juge de cassation et le contrôle exercé par le Conseil d’État présente un certain nombre de particula- rités. Même si la cassation est diverse, on peut penser qu’il existe une sorte de droit commun 11 lié au fait que, fondamenta- lement, la cassation est un contrôle de légalité exercé sur une décision juridiction- nelle 12. 7. Pour examiner la cassation au sein d’un pays donné, le premier réflexe est d’étudier ses normes écrites. En France, la cassation civile 13 est essentiellement 14 régie par le code de procédure civile 15, la cassation administrative par le code de justice administrative 16 et la cassation pénale par le code de procédure pénale 17. Au Bénin, la procédure de cassation relève notamment de la loi no 2004-20 du 17 août 2007 « portant règles de procédure appli- cables devant les formations juridiction- nelles de la Cour suprême » et de la loi no 2004-07 du 23 octobre 2007 « portant composition, organisation, fonctionnement sont susceptibles de cassation devant la Cour suprême, statuant en assemblée plénière ». Ainsi, soit la décision a été rendue en premier ressort et la chambre administrative de la Cour suprême l’examine comme juge d’appel. Soit la décision a été rendue en dernier ressort et c’est alors l’assemblée plénière de la Cour suprême qui l’examine comme juge de cassation (sur cette question, v. également l’art. 949 du code de procédure civile, commerciale, sociale, administrative et des comptes qui reprend la substance de l’art. 36 préc.). Cela signifie que, pour le moment, la chambre administrative de la Cour suprême n’a pas pu exercer de contrôle de cassation. (7) Observatoire de la justice au Bénin, Rapport 2013 sur l’état de la justice au Bénin et la perception des justiciables, CREDIJ, p. 146 : « force est de constater qu’aucune des chambres des tribunaux et cours d’appels n’est installée. Il n’y a à l’heure actuelle que la chambre administrative de la Cour suprême qui attire vers elle l’entièreté du contentieux administratif » ; v. également ce même Rapport, p. 24 et Observatoire de la justice au Bénin, Rapport 2014 sur l’état de la justice au Bénin et la perception des justiciables, CREDIJ, p. 65. Cela explique pourquoi un auteur observe que « l’ordre juridictionnel administra- tif béninois est plus présent sur papier que sur le terrain » (I. David Salami, Droit administratif, Éditions CeDAT, 2015, p. 357). (8) À l’image du Conseil d’Etat, la chambre administrative de la Cour suprême conservera une compétence comme juge de premier et dernier ressort « des déci- sions prises en conseil des ministres » (art. 34 de la loi du 23 oct. 2007). (9) Sous réserve de la compétence de la cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) de l’OHADA qui se substitue aux cours suprêmes africaines en certaines matières, notamment en droit commercial. V. infra no 78. (10) C. Puigelier, La pratique de la cassation en matière sociale, LexisNexis, 2e éd. (11) Sur cette question, v. notamment L. Poulet, Cassation pénale et droit commun de la cassation, in Code pénal et code d’instruction criminelle, Livre du bicentenaire, Dalloz, p. 365. (12) L’art. 604 c. pr. civ. dispose que « le pourvoi en cassation tend à faire cen- surer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu’il attaque aux règles de droit » (v. aussi E. Faye, ouvr. préc., no 56). En contentieux administratif, le président Odent notait que le Conseil d’État « ne juge pas le litige qui a été soumis aux juges du fond ; il se borne à juger la régu- larité et la légalité de la décision rendue par ces juges » (cité dans J.-Cl. Justice adm., fasc. 80-21, no 60. V. aussi R. Odent, Contentieux administratif, t. 2, p. 614). À cet égard, on peut s’interroger sur la nature du contrôle exercé par la CCJA. (13) Le terme « civil » doit ici être entendu dans un sens large. Il s’agit du contrôle exercé par les trois chambres civiles, par la chambre commerciale et par la chambre sociale de la Cour de cassation. (14) « Essentiellement » car il ne faut pas négliger le code de l’organisation judiciaire. (15) C. pr. civ., art. 604 s. et 973 s. (16) CJA, art. L. 821-1 s. et R. 821-1 s. (17) C. pr. pén., art. 567 s. 329 & JUSTICE CASSATION uploads/S4/ benin-cassation-article-laurent-poulet-2017.pdf

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  • Publié le Sep 03, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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