Boris Barraud, « La méthodologie juridique », in La recherche juridique (les br

Boris Barraud, « La méthodologie juridique », in La recherche juridique (les branches de la recherche juridique), L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2016, p. 167 s. manuscrit de l’auteur (droits cédés aux éditions L’Harmattan) 2 Boris Barraud, « La méthodologie juridique » (manuscrit de l’auteur) Méthode et méthodologie Le droit est animé par des méthodes spécifiques qui le particularisent au sein de l’ensemble des activités sociales. Cela justifie l’existence d’une méthodologie juridique, science dont l’objet est d’étudier ces méthodes originales. La méthodologie ne doit pas être confondue avec la méthode et les dictionnaires de la langue française définissent cette première en tant qu’ « étude systématique, par observation de la pratique, des principes qui la fondent et des méthodes utilisées »1, tandis qu’ils voient dans la méthode un « ensemble ordonné de principes, de règles, d’étapes, qui constitue un moyen pour parvenir à un résultat »2, ou encore un « ensemble de règles qui permettent l’apprentissage d’une technique, d’une science »3. La méthodologie est littéralement la « science de la méthode » ou le « discours sur la méthode », le grec ancien « logos » signifiant « discours ». Comme la sociologie n’est pas la société mais le discours sur la société, la science de la société, la méthodologie n’est pas la méthode mais le discours sur la méthode, la science de la méthode. Le développement relatif de la méthodologie juridique En France, la méthodologie juridique a, jusqu’à présent, été principalement abordée, de façon ad hoc, dans le cadre du laboratoire de théorie du droit de la faculté de droit d’Aix-en-Provence, où un atelier de méthodologie juridique a été fondé en 19864. Son directeur, le professeur Jean-Yves Chérot, est également l’actuel président de l’Association internationale de méthodologie juridique, tandis que le professeur Jean-Louis Bergel, ancien président de cette association, a publié, en 2001, un ouvrage décisif pour le déploiement de la matière5 et que ces professeurs, avec d’autres, éditent annuellement des Cahiers de méthodologie juridique, numéros spéciaux de la Revue de la recherche juridique des Presses universitaires d’Aix-Marseille6. Au-delà de ce cercle restreint d’initiés, la méthodologie juridique reste, pour l’heure, plutôt méconnue. Il est remarquable que 1 V° « Méthodologie », in Le petit Larousse illustré 2011, Larousse, 2010. 2 V° « Méthode », in Le petit Larousse illustré 2011, Larousse, 2010. 3 Ibid. Et une méthode est aussi un « ouvrage qui les contient, les applique » (ibid.). 4 Cf. J.-L. BERGEL, « Un “atelier de méthodologie juridique” : pourquoi ? », RRJ 1986, n° 4, p. 11 s. 5 J.-L. BERGEL, Méthodologie juridique, Puf, coll. Thémis droit privé, 2001. Néanmoins, cf. déjà H. MOTULSKI, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, Dalloz, 1991 ; X. DIJON, Méthodologie juridique – L’application de la norme, Story-Scientia (Bruxelles), coll. À la rencontre du droit, 1990 ; P.-A. COTÉ, Interprétation des lois, Yvon Blais (Montréal), 1990 ; F. OST, M. VAN DE KERCHOVE, Entre la lettre et l’esprit – Les directives d’interprétation en droit, Bruylant (Bruxelles), 1989 ; M.-L. MATHIEU-IZORCHE, Le raisonnement juridique, Puf, coll. Thémis droit privé, 2001 ; F. MÜLLER, Discours de la méthode juridique, trad. O. Jouanjan, Puf, coll. Léviathan, 1996. 6 Les premiers numéros de ces Cahiers de méthodologie juridique ont porté sur « Les définitions dans la loi et les textes règlementaires », « Les standards dans les divers systèmes juridiques », « Les formulations d’objectifs dans les textes législatifs » ou encore « Les modes de réalisation du droit ». 3 Boris Barraud, « La méthodologie juridique » (manuscrit de l’auteur) nombre d’auteurs font de la méthodologie juridique, étant donnés les objets qu’ils étudient, sans le savoir. Et il n’est pas rare qu’on confonde méthode et méthodologie, méthode et science de la méthode, et qu’on intitule des ouvrages qui sont en réalité des méthodes du droit « méthodologie juridique »1. Si la méthodologie juridique a connu de grands précurseurs tels que Ihering ou Portalis, elle n’a été approfondie par des professeurs tels que François Gény ou René Demogue qu’indirectement et partiellement. Des pans importants de la méthodologie juridique, comme l’interprétation des règles par les organes chargés de les appliquer, ont certainement été largement étudiés, mais d’autres sont longtemps restés ignorés. Il importe néanmoins de faire de la méthodologie juridique une branche à part entière de la recherche juridique, spécialement dès lors qu’elle s’attache à un objet d’étude précisément identifié : les savoir-faire des juristes. Et doit être souligné que, en Belgique, les étudiants des facultés de droit se voient désormais proposer, aux côtés des cours d’introduction au droit, des enseignements explicitement intitulés « cours de méthodologie juridique ». Des manuels de méthodologie juridique accompagnent ces enseignements2. Cela témoigne du développement, bien que relatif, de cette discipline particulière. Il faut se réjouir de pareille « découverte » de la méthodologie juridique tant, ainsi que l’écrivait déjà François Gény, « toute élaboration juridique est dominée par des opérations intellectuelles et par une méthode »3. La science des méthodes des juristes La méthodologie juridique part du constat selon lequel la connaissance du droit ne se réduit pas à la connaissance des textes de loi et des jurisprudences et suppose la maîtrise de méthodes et techniques spécifiques, impliquant des logiques, des raisonnements, des instruments, des classifications, des qualifications ou encore des modes d’expression adéquats4. La méthodologie juridique a pour objet d’étudier ces moyens qu’utilisent les juristes afin de faire vivre concrètement et quotidiennement le droit. Elle est donc « la science des méthodes du droit »5 ou « l’étude des savoir- 1 Par exemple, R. ROMI, Méthodologie de la recherche en droit, 2e éd., Litec, coll. Objectif droit, 2011 ; D. BONNET, L’essentiel de la méthodologie juridique – Dissertation, fiche de jurisprudence, commentaire d’arrêt, commentaire d’article, cas pratique, Ellipses, coll. Méthodologie et exercices juridiques, 2012 ; G. MARAIN, Méthodologie et aspects formels de la recherche – Petit manuel à l’usage des juristes, L’Harmattan, 2015 ; É. GEERKENS, C. NISSEN, A.-L. SIBONY, A. ZIANS, Méthodologie juridique – Méthodologie de la recherche documentaire juridique, 5e éd., Larcier (Bruxelles), 2014. 2 Par exemple, P. DELNOY, Éléments de méthodologie juridique – Méthodologie de l’interprétation juridique, méthodologie de l’application du droit, 3e éd., Larcier (Bruxelles), 2008. 3 F. GÉNY, Science et technique en droit privé positif, Librairie du Recueil Sirey, 1913 (cité par J.- L. BERGEL, « Méthodologie juridique », in D. ALLAND, S. RIALS, dir., Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-Puf, coll. Quadrige-dicos poche, 2003, p. 1021). 4 J.-L. BERGEL, Méthodologie juridique, Puf, coll. Thémis droit privé, 2001. 5 J.-L. BERGEL, « Méthodologie juridique », in D. ALLAND, S. RIALS, dir., Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-Puf, coll. Quadrige-dicos poche, 2003, p. 1021. 4 Boris Barraud, « La méthodologie juridique » (manuscrit de l’auteur) faire des juristes »1 ; et elle n’est possible qu’à la condition que le droit ne soit pas irrationnel ni improvisé, ce qu’il n’est pas2. En outre, la méthodologie juridique est purement formelle et n’a aucun égard pour le fond du droit. Sa fonction est d’observer et d’expliquer la « mécanique du droit », quels que soient les résultats que celle-ci produit. Ce qui importe d’un point de vue méthodologique n’est pas le contenu de la norme mais les modes d’édiction, d’application et de sanction de la norme. Le professeur Jean-Louis Bergel fait remarquer que « jamais plus qu’à cette époque de surrèglementation complexe, éphémère et souvent contradictoire, de bouleversements techniques et sociaux et d’interpénétration d’ordres juridiques divers, internes et internationaux, la connaissance et l’application des méthodes du droit ne semblent s’être à ce point imposées. Elles sont indispensables à la détermination et à l’expression des règles de droit par le législateur, à leur interprétation, à la solution des litiges, à l’argumentation des parties au procès, à la négociation et à l’établissement des contrats par les praticiens »3. Cela implique que jamais autant qu’aujourd’hui la méthodologie juridique n’aurait été digne d’intérêt. De plus en plus, s’impose l’étude des procédés « en vigueur » dans le droit, des démarches intellectuelles des juristes et des moyens techniques auxquels ils recourent. La méthodologie juridique se consacre aussi bien aux méthodes mises en œuvre dans les assemblées qu’à celles propres aux juridictions et qu’à celles propres aux administrations4. Ce qui l’intéresse tout particulièrement, ce sont les moyens utiles à la classification et à la qualification juridiques des faits, au raisonnement juridique, à la coordination des règles juridiques, ainsi qu’à leur interprétation5. De façon générale, elle se consacre à tout ce qui est utile à la solution des problèmes juridiques. Ne la concernent pas les problèmes et les solutions mais les moyens d’identifier les problèmes et les moyens de trouver les solutions. Entre matière et manière, elle opte pour la manière, étant entendu que la matière n’est souvent que la conséquence directe de la manière. Entre politique et technique, elle n’a d’égards que pour la technique. Son champ d’investigation n’en est pas moins fort large, comprenant tous les modes de formation, d’application et de sanction du droit. Un exemple parmi une foultitude est le recours aux fictions en droit. Celui-ci constitue un objet d’étude particulièrement uploads/S4/ boris-barraud-la-methodologie-juridique 2 .pdf

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  • Publié le Jul 07, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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