Méthodologie du commentaire d’arrêt en droit Auteur : Boris Barraud (Université

Méthodologie du commentaire d’arrêt en droit Auteur : Boris Barraud (Université d’Aix-Marseille) Certainement le commentaire d’arrêt compte-t-il parmi les exercices les plus difficiles des Facultés de droit, spécialement en droit public. En effet, il est commandé par une méthodologie excessivement rigoureuse, ne laissant que peu de place — à l’inverse de la dissertation — à la « liberté d’expression ». Cependant, la contrepartie à cette dictature de la méthode est qu’une bonne maîtrise de cette dernière, sa minutieuse application, est le gage certain de réussir un « bon » commentaire d’arrêt, i.e. un commentaire qui tout à la fois présente, explique et discute le raisonnement et le choix du juge. La difficulté réside tout d’abord dans le fait que le texte à analyser est un texte bien particulier. Son auteur — quoique d’aucuns le contesteraient — ne raconte pas d’histoires ni n’exprime une théorie ou une opinion. Par son écrit, il explique comment il tranche un litige et, en particulier, il détaille les règles qu’il applique pour aboutir à la solution qu’il retient, des règles qui peuvent préexister mais aussi, plus ou moins explicitement, être créées pour l’occasion. Le texte est donc la traduction littéraire du syllogisme retenu dans l’esprit des magistrats, la majeure étant une ou plusieurs règle(s) de droit générale(s) en théorie préexistante(s) parmi le droit positif, la mineure correspondant aux faits sources du litige, qualifiés juridiquement, et la conclusion étant la solution induite logiquement par la confrontation de la majeure à la mineure. En outre, la méthode du commentaire d’arrêt enseignée — il faudrait dire « imposée » — en droit administratif n’est pas identique à celle enseignée en droit civil ou en droit pénal, ce qui ne manque pas d’ajouter au caractère périlleux de l’exercice. Par rapport au droit civil et au droit privé en général, l’exercice présente un intérêt fort en droit public en raison du caractère intensément jurisprudentiel de ses matières et spécialement du droit administratif. Là où la Cour de cassation est la gardienne du droit, le Conseil d’État est davantage le gardien de son droit. La capacité d’interprétation et de création étant plus grande, les éléments sujets à discussion et à critique ne manquent pas. Mais, avant de discuter et critiquer l’arrêt à commenter, dans le cœur des propos et à travers le plan et ses intitulés (IV), il convient évidemment de prendre activement connaissance dudit arrêt (I) et de l’analyser (II). Peut alors être élaborée l’introduction, suivant des règles ne laissant aucune place à l’improvisation (III). Le « bon » commentaire d’arrêt (VI), idéalement, se terminera par une conclusion — mais pas par un résumé — (V). I. — La lecture de l’arrêt Il convient, bien entendu, d’entamer cet ouvrage délicat qu’est le commentaire d’arrêt par une lecture attentive, complète, active et méthodique de celui-ci. L’enjeu est décisif puisque, sans comprendre, il est, par suite, impossible d’expliquer et de discuter. Aussi faut-il prendre tout le temps nécessaire à l’appropriation du contenu, à sa déconstruction, i.e. à l’identification (par exemple au moyen de jeux de couleur) de toutes les informations pertinentes et à l’élimination des éléments inutiles au commentateur. Génériquement, une décision de justice est un développement en trois temps : - les visas, tout d’abord, sont les textes (Constitution, loi, décret…) à partir desquels le juge subsume la solution dans le cas d’espèce ; - la motivation (avec les considérants), ensuite, est le détail des justifications ou arguments de fait et — surtout — de droit que la juridiction retient ; - le dispositif, enfin, correspond à la solution donnée au litige, à partir des éléments précédemment développées. Si, du point de vue des parties, le dispositif est la partie du jugement la plus intéressante, puisque contenant la réponse apportée par la justice à leur conflit, du point de vue du commentateur, c’est la motivation qui attire toute l’attention. Durant cette phase d’analyse minutieuse et plusieurs fois recommencée (la première lecture n’étant toujours qu’un premier contact nécessaire mais peu productif), l’attention doit notamment se concentrer sur la construction des phrases et sur les liens logiques qui les relient : - liens de cause à effet (ainsi, donc, en conséquent…) ; - liens d’opposition (toutefois, cependant, néanmoins…) ; - liens d’addition (de plus, d’une part… d’autre part…) Ces mots sont l’expression littérale du cheminement intellectuel du juge et, s’ils peuvent sembler anodins, ils sont en réalité l’huile sans laquelle la mécanique du jugement ne pourrait pas fonctionner. Ils permettent d’identifier avec précision les différentes étapes du raisonnement. * * * En outre, la lecture devant être toujours active (mis à part le premier contact avec l’arrêt), c’est-à-dire jalonnée de prises de notes, il est certainement pertinent d’user de plusieurs brouillons (ou en tout cas d’un brouillon organisé) durant cette phase d’exploration. Par exemple, peuvent être prévues : - une partie « introduction » (comportant les cinq éléments « impératifs et suffisants » qui seront présentés plus bas) ; - une partie « plan » (contenant les réflexions et ébauches relatives aux parties et à leurs formulations) ; - une partie « définitions » (où figurent tous les termes qu’il conviendra de définir) ; - une partie « textes et jurisprudences » (recensant les références susceptibles d’être incorporées dans le commentaire) ; - ou encore une partie « critique » (destinée à accueillir les positions, par rapport à l’arrêt, recueillies parmi les commentaires préexistants, mais aussi celles propres au commentateur). Mais, avant toute autre chose, il convient d’identifier la juridiction (Conseil d’État, cour administrative d’appel, tribunal administratif, Tribunal des conflits ou encore autorité administrative ou juridiction spécialisée) et, si nécessaire, la formation contentieuse (assemblée ou section du contentieux pour le Conseil d’État). Il faut également débuter par l’observation de la nature juridique de la décision offerte au commentaire. Celle-ci peut être de fond (premier ressort, appel ou premier et dernier ressort), de cassation (accueillant ou rejetant la demande), mais aussi — quoique rarement — une ordonnance de référé ou un avis. Encore, il faut s’intéresser rapidement et soigneusement aux visas, ces derniers indiquant dès le départ les bases juridiques sur lesquelles le juge s’est reposé. Qu’il s’agisse d’articles de la Constitution ou tous autres, il est pertinent d’aller les consulter sur le champ. Enfin, seront sans trop tarder identifiés tous les éléments renseignant quant aux faits à l’origine du litige et quant à la procédure juridictionnelle ayant précédé la saisine de la juridiction ayant rendu la décision à commenter. Mais le principal enjeu de ce travail d’appréhension de l’arrêt consiste à repérer le ou les considérant(s) (ou attendu(s)) de principe — s’il(s) existe(nt) —, car le commentaire d’arrêt est essentiellement un commentaire du ou des considérant(s) (ou attendu(s)) de principe, réponse(s) à la ou aux question(s) de droit soulevée(s). II. — La réflexion à partir de l’arrêt Une fois l’arrêt passé au peigne fin, le commentateur se trouve devant une somme de notes et d’informations qu’il s’agit d’organiser, de trier, de rassembler. En particulier, l’enchaînement des faits doit être reconstitué tout en précisant les qualifications juridiques retenues pour ces évènements et leurs protagonistes. Le déroulement de la procédure doit être lui-aussi retracé ; et le sens de la décision ainsi que les motifs juridiques employés par le juge pour expliquer son choix doivent désormais être clairement compris. Surtout, il est à présent permis de formuler — dans un langage propre mais juridique — la ou les question(s) de droit essentielle(s) à laquelle ou auxquelles les magistrats ont dû répondre et qui commande(nt), dans une large mesure, la construction du plan à suivre. Par définition, cette question se formule en la forme interrogative. Tout autant par définition, la question de droit ne peut revêtir la forme d’une question de fait ou d’opportunité. Ensuite, la recherche de matière nécessaire à l’alimentation du commentaire (textes, jurisprudences, commentaires en lien avec l’arrêt, mais encore et surtout analyse et critiques propres au commentateur) peut se faire en se posant plusieurs questions : - Quels éléments ont, directement ou indirectement, influencé les juges ? Ces éléments seront principalement juridiques et identifiables parmi les visas, mais ils pourront également être d’un autre ordre (politique, social, psychologique…). Dans ce dernier cas, si nulle partie des développements ne devra leur être entièrement dédiée, ils ne devront pas être pour autant passés sous silence. - Quelles sont les conséquences de la présente décision, spécialement sur l’état du droit positif ? En répondant à cette question, se voit réglée la question de la portée ou de l’importance de l’arrêt. - Dans quelle mesure les orientations adoptées par les magistrats peuvent-elles être qualifiées de justifiées et pertinente ou injustifiées et impertinentes ? C’est ici le moment de s’interroger quant à la critique — la critique pouvant être positive comme négative — de la solution et surtout de la manière dont le juge a mené son raisonnement. Les réflexions jaillissant à cet instant seront très utiles au moment d’élaborer le plan et les intitulés. Avant de passer à la rédaction du commentaire, laquelle débute obligatoirement par celle de l’introduction, il est encore opportun de préparer quelques uploads/S4/ boris-barraud-methodologie-du-commentaire-d-x27-arret-en-droit 1 .pdf

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  • Publié le Sep 15, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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