LE PRÉAMBULE DE LA CONSTITUTION ET LE JUGE CONSTITUTIONNEL EN AFRIQUE Boubacar

LE PRÉAMBULE DE LA CONSTITUTION ET LE JUGE CONSTITUTIONNEL EN AFRIQUE Boubacar BA Docteur en Droit Public/UCAD. Plan. I- Un texte diversement invoqué par le juge. A- Une invocation explicite 1- Pour l’extension du bloc de constitutionnalité 2- Pour la sauvegarde de valeurs propres B- Une invocation implicite 1- L’allusion à un seul instrument 2- L’allusion à plusieurs instruments II- Un texte variablement appliqué par le juge. A- Une application téméraire 1- L’attrait du potentiel normatif 2- L’interprétation substantielle B- Une application précaire 1- Les justifications 2- Les manifestations Introduction : En concluant un de ses récents travaux, le Doyen B. KANTÉ, faisait observer : « Il semble en effet possible, et même indispensable dans des pays de transition démocratique (…), d’identifier un certain nombre de valeurs et de principes cardinaux, en rapport avec leur culture et leur contexte social, économique et culturel, de les protéger au plus haut niveau normatif et jurisprudentiel »1. Cette remarque fondamentale aborde en latence l’adaptation, voire la compatibilité des idéaux cueillis des textes occidentaux et instinctivement repris par les Constitutions africaines, à travers les préambules notamment. Telle une arlésienne, le préambule des Constitutions africaines ne semble pas particulièrement attirer l’attention de l’expertise constitutionnaliste2 pourtant si alerte et prolifique. Or, le terreau de laboratoire juridique3 auquel l’Afrique renvoie depuis ces dernières décennies, se contrarie du crédit encore modique voué aux vertueuses formulations enchâssées dans le préambule des Constitutions. Et pourtant, serait-on tenté de se demander à quelle « image » renverrait une Constitution africaine dépourvue de préambule ? Comment comprendre schématiquement un corps (corpus, texte) sans tête (préambule) ? Déjà, figurativement, cela passerait pour un manque d’esthétique, tant les modèles4 de référence nous ont habitués à sa présence5. Dérivé du mot latin « praeambulus », c'est-à-dire « précédant », « qui marche devant », le terme préambule est formé du radical « prae » qui signifie « avant », « devant » et de « ambulare », c'est-à- dire « se promener », « marcher », « avancer ». Le concept recoupe un « avant-propos explicatif » traduisant le contexte d’adoption de la Constitution, mais surtout les idéaux pour lesquels la société 1 KANTÉ (Babacar), « Les droits fondamentaux constituent-ils une nouvelle catégorie juridique en Afrique ? », L’homme et le droit, En hommage au Professeur Jean-François FLAUSS, Paris, Ed. Pedone, 2014, p. 462. 2 A la notable exception, à notre connaissance, d’une récente et non moins intéressante étude de Franc De Paul TETANG, « La normativité des préambules des constitutions des États africains d’expression française », RFDC 2015/4 (N° 104), pp. 953-978. 3 Jean-Marie BRETON écrit à ce propos : « Par leur diversité, les Constitutions des États d’Afrique noire “française“ offrent en effet un très vaste champ d’investigation scientifique, dans une perspective comparative ». In, « La construction du constitutionnalisme africain », Présences françaises outre-mer (XVI ème – XXI ème siècles), Tome I (Histoire : périodes et continents) (sous la dir. de Philippe BONNICHON, Pierre GENY et Jean NEMO), Paris, Karthala, 2012, p. 1007. Dans le même ordre d’idées, Jean DU BOIS DE GAUDUSSON reconnaît : « Les Constitution d’Afrique offrent au comparatiste un vaste et riche champ d’investigation ». In, Les Constitutions africaines publiées en langue française, Paris, La documentation française, Tome 1, 1997, p. 9. V. aussi LAVROFF (Dmitri-Georges), Les systèmes constitutionnels en Afrique noire. Les États francophones, Paris, Pedone, 1976, 438 pages. 4 Le préambule de la Constitution américaine de 1787 énonce : « Nous, Peuple des États-Unis, en vue de former une Union plus parfaite, d'établir la justice, de faire régner la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer le bien-être général et d 'assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous décrétons et établissons cette Constitution pour les États-Unis d'Amérique » ; celui de la Constitution française de 1958 proclame : «Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement de 2004. En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique ». 5 Néanmoins, il existe beaucoup d’autres États sans préambule. C’est le cas de l’Autriche (Constitution de 1920), de la Belgique (1831), Italie (1947), le Chili (1980)…Pour plus d’exhaustivité, V. TROPER (Michel) et CHAGNOLLAUD (Dominique) (sous la dir.), Traité international de droit constitutionnel, Tome 1, Paris, Dalloz, 2012, pp. 279 et s. 1 politique destinataire se détermine. Ce « texte introductif à la Constitution »6, qui fait office de « doctrine officielle du régime »7, reste ainsi chevillé au « corpus » constitutionnel donnant l’impression d’un wagon infailliblement accroché à la locomotive du texte. Berceau des éloquentes affirmations, de la rhétorique constituante, s’il devrait en exister, le préambule n’est pas pourtant le propre de la Constitution, bien d’autres textes juridiques le consacrent avec un contenu, bien sûr, articulé autour de l’objet du texte en question. Sans être exactement un Rapport de présentation ou un Exposé des motifs8, le positionnement privilégié du préambule vis-à-vis du corpus constitutionnel stricto sensu, conforte doublement sa primeur et son importance. L’hétérogénéité de son contenu l’érige en une source9 matricielle10 de la normativité, car est-il appelé à définir, engendrer et générer le tissu normatif qui structure et façonne le destin des peuples. En cela, c’est un document destiné à « guider le constituant, puis le législateur, dans son travail, à indiquer dans quelles perspectives s’inscrira la future production normative »11. Au crédit de la doctrine constitutionnelle africaniste, il faut reconnaître un effort soutenu dans l’analyse pointilleuse des dispositions constitutionnelles. Cependant, à l’heure du bilan d’étape, les mystères du préambule des Constitutions restent, somme toute, peu explorés. La question n’est en réalité abordée qu’en filigrane, que de manière incidente12. Sans doute faudrait-il y voir, le reflet d’un intérêt marginal, tant l’objet semble décisivement s’ajuster sur la mesure d’une “paillette“ à usage ornemental. En tout cas, l’apparent manque d’intérêt13 sur le sujet n’en efface pas pour autant la symbolique car les 6 WANDJI K (Jérôme Francis), « La déclaration française des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 Août 1789 et l’État en Afrique », RFDC, N° 99, 2014/3, p. e28. 7 MBODJ (El Hadj), Théorie constitutionnelle, Titre III, Cours Licence 1, inédit, p. 141. Dans le même ordre d’idées, Robert PELLOUX considère que le préambule revêt « une importance capitale pour déterminer la nature et l'inspiration du régime » parce qu'il serait « l'expression de la conscience collective de la Nation à un moment donné ». V. « Le Préambule de la Constitution du 27 octobre de 1946 », RDP, 1947, p. 347. 8 D’ailleurs, la Constitution du 18 février 2006 de la République Démocratique du Congo en fournit un bel exemple en insérant avant le préambule, un « Exposé des motifs ». Cf. DJOLI ESENG’EKELI (Jacques), Droit constitutionnel. L’expérience congolaise (RDC), Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 188-189. 9 V. CUBERTAFOND (Bernard), « Du droit enrichi par ses sources », RDP N° 2, 1992, pp. 353-387. 10 V. MATHIEU (Bertrand), « Pour une reconnaissance de “principes matriciels“ en matière de protection des droits fondamentaux », Dalloz, 1995, chr. pp. 211 et s. Dans le même sens, Michel TROPER et Dominique CHAGNOLLAUD décrivent le préambule comme « le point de départ du système juridique », en un mot « l’acte de naissance du système constitutionnel ». V. Traité international de droit constitutionnel, Tome 1, Paris, Dalloz, 2012, p. 280. 11 POIMEUR (Yves), « La réception du préambule de la Constitution de 1946 par la doctrine juridique », in Le préambule de la Constitution de 1946. Antinomies juridiques et contradictions politiques, Paris, Ed. CURRAP, 1996, p. 100. 12 Sur quelques références récentes, Cf. WANDJI K (Jérôme Francis), « La déclaration française des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 Août 1789 et l’État en Afrique », RFDC, N° 99, 2014/3, pp. e1-e29 ; DIALLO (Fatima), « Le juge constitutionnel et la construction de l’État de droit au Sénégal », Land, law and politics in Africa. Mediatory conflict and reshopping the state, in memory of Gerti HESSELING, edicted by Jan ABBINK, Mirjam de BRUIJN, 2011, pp. 258-284 ; ONDOUA (Alain), « La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 et les normes d’origine externe », Communication au Colloque international de Cotonou, 8, 9 et 10 Août 2012, 23 pages (inédit). 13 Il faudrait beaucoup relativiser cela, car dans l’Annuaire Béninois de Justice Constitutionnelle (1991-2012) I-2013, bien des communications ont (ré) suscité le débat et des analyses savantes autour du préambule. V. « La controverse doctrinale entre les Professeurs Adama KPODAR et Dodzi K. KOKOROKO, Annuaire Béninois de Justice Constitutionnelle, Dossier spécial, 21 ans de jurisprudence de la Cour constitutionnelle du uploads/S4/ boubacar-ba-preambule-et-juge-constitutionnel-en-afrique.pdf

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  • Publié le Aoû 07, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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