Référence : Demeuse, M., Baye, A. (2005). Pourquoi parler d’équité ? In M. Deme
Référence : Demeuse, M., Baye, A. (2005). Pourquoi parler d’équité ? In M. Demeuse, A. Baye, M.H. Straeten, J. Nicaise, A. Matoul (eds). (2005). Vers une école juste et efficace. 26 contributions sur les systèmes d’enseignement et de formation. Bruxelles: De Boeck Université, collection “Economie, Société, Région” (pp. 150-170). Chapitre 10 - Pourquoi parler d’équité ? Marc Demeuse Service de Pédagogie expérimentale de l’Université de Liège IREDU, Université de Bourgogne / CNRS Ariane Baye Service de Pédagogie expérimentale de l’Université de Liège Introduction Comme nous l’avons vu dans la première partie, parler d’efficacité, en matière d’éducation et de formation, ne constitue pas une incongruité ou une attaque en règle contre un service publique déjà malmené ou un art bien décrié. La volonté des auteurs n’est pas de mettre à mal l’éducation, de « marchandiser » l’école ou les instances de formations, mais bien de s’interroger, et donc de les interroger, d’une part, sur leur capacité à répondre aux attentes, au contrat social, aux missions qui leur sont confiées, et d’autre part, sur l’utilisation qui est faites des moyens disponibles, non dans l’espoir de les amoindrir, mais de s’assurer de leur utilisation optimale, au service de tous. C’est en cela que l’efficacité et l’efficience, conduisent naturellement à une interrogation sur la justice des systèmes d’enseignement et de formation. Malheureusement, la définition du juste, et donc de ce qui est équitable, peut varier d’une époque ou d’un lieu à l’autre. Par exemple, battre un esclave à Athènes pouvait être juste et l’équité commandait alors seulement que la peine infligée, aussi cruelle soit-elle, ne puisse varier selon le bon vouloir du maître, mais respecte un code particulier de manière à traiter de même les auteurs de fautes identiques. « Dans la société esclavagiste, les esclaves sont « égaux » entre eux – en tant qu’esclaves » comme le fait remarquer Cornélius Castoriadis (1986, p. 316, cité par Vogel, 1997, p. 70). L’esclavage – selon le principe contemporain que tous les hommes sont égaux – nous est à présent insupportable et nous ne parlerions certainement pas de justice et d’équité en cette matière1. L’examen de l’équité des systèmes d’éducation et de formation n’échappe donc pas à un regard rétrospectif rendant compte de différentes conceptions du juste. À travers les différents épisodes historiques où se manifestent des revendications, l’égalité – au sens d’une aspiration à plus d’égalité – sert à la fois de régulateur et de moteur (Vogel, 1997, p. 69). Elle fixe l’objectif et fournit les raisons de la mobilisation. Pour Montesquieu, c’est cet « amour de l’égalité » qui sert de ciment à la démocratie. Mais encore faut-il qu’une inégalité soit perçue comme « illégitime » ou « inique » pour qu’elle suscite revendications et actions. Meuret (2000) précise la notion d’iniquité : « On est ainsi conduit à penser que pour qu’une inégalité soit illégitime, il faut pouvoir imaginer qu’elle puisse être supprimée par une 1 Pour prendre un exemple plus actuel, lorsqu’en 1991 le législateur fédéral place sur un même pied, dans l’ordre de succession au trône, les filles et les fils du Roi des Belges, il peut nous sembler que la monarchie devient plus équitable – les filles et les garçons sont à présent traités de la même manière – alors même que ce système politique reste très inégalitaire si on veut bien considérer que la fonction royale est réservée à une infime partie de la Nation, l’appartenance à l’un ou l’autre sexe ne modifiant en rien la situation de la majorité de nos concitoyens : ils n'appartiennent pas à « la bonne famille » et sont donc jugés indignes d'exercer la direction de l'exécutif fédéral. Peu de voix s’élèvent pourtant jusqu’ici en Belgique pour revendiquer plus de justice en cette matière. Chapitre 10 – Pourquoi parler d’équité ? 2 action collective. Il faut donc imaginer que l’on puisse persuader une majorité que cette inégalité n’est ni nécessaire, ni juste, ou, plus précisément : qu’elle est assez injuste pour qu’il vaille la peine de la supprimer ». Si l’égalité formelle – c’est-à-dire l’égalité juridique, soit l’égalité de traitement des égaux – peut être examinée de manière relativement simple en théorie2, le passage au concept d’équité qui suppose que des inégalités d’un point de vue strictement formel et aveugle3 puissent être justes et acceptées, voire mises en œuvre sciemment, pose un grand nombre de problèmes complexes. Ainsi, précise le Conseil d’État (1997, p. 63) « l’égalité devant le sort – notamment lorsque le sort engage la vie ou la mort d’un être humain [lorsqu’il s’agit, par exemple, de tirer au sort qui bénéficiera d’un traitement médical qu’il n’est pas encore possible de généraliser, pour des raisons de moyens] – n’est pas perçue comme une égalité juste. Le rejet très fort par la conscience collective de cette procédure du choix aléatoire renvoie aux débats fondateurs de la philosophie du droit occidentale. La position d’Aristote selon laquelle, dans certaines circonstances, l’équité traduit mieux l’exigence de justice que l’égalité est ici revendiquée par la conscience moderne. L’équité consiste en l’occurrence à définir des critères de choix objectifs, de nature scientifiques ou personnels, permettant d’affiner et, en quelque sorte d’humaniser, l’universalisme de l’égalité ». Comment peut-on, dès lors, définir ce qui serait juste, notamment en matière d’éducation et de formation, dans une situation où les moyens sont nécessairement limités ? Comment apprécier l’effet de mesures nouvelles visant à assurer plus d’équité, y compris à travers des traitements différenciés ? Nous allons tenter de répondre à ces questions en nous donnant un référentiel. Ce référentiel est synthétisé dans un tableau (tableau 2) que nous avons en grande partie repris à Grisay (1984) et qui a déjà été présenté et commenté par Crahay (2000). Mais auparavant, il nous semble utile de préciser le cheminement qui a pu conduire d’une société stable, construite sur un ordre immuable et un système de droits et de devoirs donnés par la naissance, à un système qui tente d’assurer à chacun des chances égales d’émancipation sociale, notamment à travers des différences de traitement. C’est à travers ce cheminement que nous reconstruirons notre référentiel. 2 Comme le souligne le Conseil d’État français, dans son rapport annuel (1997, p. 51) : « L’égalité est, en théorie, une idée simple. On souhaiterait la mettre en œuvre avec la limpidité des dix mots de l’article premier de la Déclaration de 1789 [Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits]. Mais une société développée présente une grande diversité de situations et d’intérêts. Le législateur est conduit à multiplier les dispositions pour tenter de tenir compte des unes et des autres, ce qui a pour effet de rendre le droit complexe sans toujours le rendre complet. » 3 Lorsque tous ne peuvent être traités de manière identique, soit en raison d’une limitation des moyens disponibles, soit parce qu’il est nécessaire de choisir un petit nombre seulement d’individus pour accomplir certaines missions, le recours au tirage au sort peut permettre de sortir de l’impasse en permettant de rétablir la justice. « Du point de vue juridique – et c’est le principe d’égalité qui est essentiellement en cause – la question du tirage au sort, non seulement n’est pas nouvelle, mais est l’une des plus anciennes de l’histoire du droit. En effet, la Grèce classique invente la démocratie en s’appuyant sur la procédure du tirage au sort pour mettre un terme à la dévolution aristocratique du pouvoir. Les institutions mises en place par Clisthène, notamment l’assemblée politique (le conseil des cinq cents), son président, et le comité restreint qui gère les affaires quotidiennes sont sélectionnés par tirage au sort. Cette procédure est la seule, selon les théoriciens grecs de la démocratie, à assurer une égalité parfaite entre les citoyens. Depuis lors, le tirage au sort a été abandonné au profit de l’élection, lors du choix des représentants politiques ; mais il a longtemps été conservé dans d’autres domaines de la vie civique, par exemple pour la conscription. Il demeure aujourd’hui encore utilisé dans un petit nombre d’occasions telles que le choix des jurés d’assises. Il est incontestable que cette procédure satisfait strictement les critères du principe d’égalité. » (Conseil d’État, 1997, p. 62) Chapitre 10 – Pourquoi parler d’équité ? 3 1. La société comme lieu de redistribution : le plus « utile » n’est pas toujours le meilleur Nous ne nous étendrons pas ici sur la plus longue partie de l’Histoire, celle où la Justice constitue principalement le moyen d’assurer la stabilité du système politique, économique et social, et la punition des crimes et délits à travers un système différencié de droits et de devoirs selon la position sociale et la naissance. L’école y est d’ailleurs peu présente. Nous allons commencer notre réflexion à partir du moment, difficile à préciser dans le temps, où l’idée que la société constitue un lieu de redistribution s’installe dans les esprits. Cette idée ne s’installe pas alors dans tous les esprits et les raisons qui y poussent certains peuvent être fort différentes de celles qui en motivent d’autres. Ces raisons sont uploads/S4/ chap-8-parler-equite.pdf
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- Publié le Apv 13, 2021
- Catégorie Law / Droit
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