- VIII - LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DU DROIT ADMINISTRATIF : DE SA VERTUEU
- VIII - LES FONDEMENTS CONSTITUTIONNELS DU DROIT ADMINISTRATIF : DE SA VERTUEUSE ORIGINE FRANÇAISE A SA GRADUELLE TRANSPOSITION VICIEUSE DANS DES ETATS STABLE ET INSTABLE DE L’AFRIQUE FRANCOPHONE Par Jean-Calvin ABA’A OYONO* Chargé de Cours à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Yaoundé II-Soa (Cameroun) S’il est une production scientifique résonnant en écho dans la mémoire du juriste administrativiste, davantage à l’égard du lecteur aux vertus de la patience, de la prudence et du décryptage, confronté à une œuvre hyper volumineuse et suffisamment complexe que requiert l’art de l’épure, celle de Charles EISENMANN s’inscrit au registre1. Pour l’essentiel des considérations épistémologiques ou, si l’on veut, de méthodes qui y sont gravées, l’auteur affirme que « les notions ou expressions juridiques que l’on utilise couramment sont intuitivement perçues alors même qu’elles restent rebelles à la conceptualisation ». S’il y a par conséquent nécessité impérieuse de définir au préalable le vocable de « fondement(s) », à l’effet justement de guider judicieusement la pensée qui mène à la captation de la substance même de la connaissance, la difficulté sémantique apparaît a contrario très banale au sujet des termes Constitution, tiré ici de l’épithète « constitutionnel(s) », et droit administratif. 1 Il s’agit précisément de ses célèbres « Cours de Droit administratif », Tome 1, Paris, LGDJ, 1982 et Tome 2, Paris, LGDJ, 1983. Terme fondamentalement juridique, le concept « fondement(s) » n’est pas non plus, outre mesure, de nature à susciter de sérieux problèmes de compréhension. En combinant les réflexions de LALANDE, contenues dans son « vocabulaire technique et critique de la philosophie »2, ainsi que celles de Gérard CORNU, extraites du « vocabulaire juridique »3, les fondements correspondent à une idée assez claire pour ne point s’y éterniser : il s’agit de mettre en relief ce sur quoi repose un objet de connaissance et, en l’espèce, ces valeurs et références de base sur lesquelles est adossée la discipline juridique qu’est le droit administratif sous le prisme de la loi fondamentale, encore nommée Constitution. Mais en considération de ce que ce champ normatif, soumis à débat, n’est pas une création ex nihilo, ne relève pas de la génération spontanée, n’est pas une résultante de la contingence, il sied de faire observer que l’histoire est un déterminant incompressible dans la compréhension de l’actualité institutionnelle. Saisir les données acquises relatives aux fondements constitutionnels du droit administratif participe d’une analyse largement tributaire de la fidèle restitution des fils conducteurs des fondements événementiels du droit administratif français, à ce jour manifestement tropicalisé, précisément 2Lalande (A.),vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 2e éd., 2006, 1322 p. 3Cornu (G.), Vocabulaire juridique (Association Henri Captant), 7e édition, P.U.F., Paris, 2005, 970p. Mode de citation : Jean-Calvin ABA’A OYONO «Les fondements constitutionnels du droit administratif : de sa vertueuse origine française a sa graduelle transposition vicieuse dans des états stable et instable de l’Afrique francophone», Revue CAMES/SJP, n°001/ 2017, p. 11-31 - 12 - dans les Etats d’Afrique noire francophone. Par-delà ce qu’il est convenu d’appeler le feuilleton doctrinal, né de la controverse entre Thomas METIVIER qui, sous le Directoire4, utilise pour la première fois l’expression droit administratif dans son programme d’enseignement, sur le fondement de la participation croissante des citoyens au choix des administrateurs qui sont élus, et Achille MESTRE qui, sous la Restauration des années 1824/1830, relativement à la question de naissance du droit administratif avant, pendant ou après la période révolutionnaire, l’on ne peut autrement faire que de s’accorder sur une traçabilité duale du droit administratif hexagonal. La première est liée à certains vestiges de l’Ancien Régime qui étaient révélateurs de formes originales de règlement des conflits opposant les autorités publiques aux administrés. A l’époque médiévale, les agents du Roi, appelés les baillis et sénéchaux, nommés par lui, détiennent un pouvoir de police sur la circonscription ainsi qu’une fonction de juge. Avant 1789, le terme Parlement, ne désignait pas une assemblée législative, mais une cour souveraine de justice ayant une fonction juridictionnelle distincte du pouvoir législatif détenu par le Roi. Dès le XVe siècle, les Etats provinciaux de Bourgogne, Languedoc, Bretagne et Provence se réunissent sur convocation du Roi en vue d’exercer la fonction de collecte d’impôts. Les villes naissent au moyen d’un acte juridique appelé Charte Urbaine en vue de délimiter leurs compétences et celles relevant du Seigneur. L’action de police ainsi que celle d’édiction de la législation locale étaient confiées aux Conseils gérant lesdites villes. La conclusion que l’on tire de cette évocation de l’histoire institutionnelle est que l’histoire du droit administratif ne débute forcement pas avec l’interprétation des lois révolutionnaires. 48 Nivôse An 7 ; 28 Décembre 1798. La seconde est connectée à l’un des grands fils directeurs de l’histoire du droit administratif français, chose la mieux partagée : c’est la volonté de tenir en marge les tribunaux ordinaires existant, ceux de droit commun en l’occurrence, des litiges mettant en cause l’Administration. Henrion De PANSEY, dans son ouvrage intitulé « De l’autorité judiciaire en France », publié en 1827, finira par rallier l’opinion à cette cause, qu’en souvenir de l’opposition des parlements de l’Ancien Régime, que « juger l’Administration, c’est encore administrer ». Pareille déconnexion du juge de droit commun au contrôle de l’Administration conduisit, par conséquent, à ce que cette dernière juge elle-même les litiges nés de son action : c’est la théorie de l’administrateur/ministre-juge ou de la justice retenue – par le Chef de l’Etat -, par opposition au système de justice déléguée, rendue directement par le juge « au nom du peuple français ». La deuxième conséquence est l’apparition d’un véritable ordre judiciaire séparé de l’Administration bien qu’issu d’elle. Le troisième élément de la chronologie des incidences résume la formation de ce droit exorbitant du droit commun qu’est le droit administratif français ainsi que la mise en place progressive des juridictions administratives. Et c’est à cette séquence précise qu’il importe de marquer un temps d’arrêt pour mieux apprécier les manifestes fondements normatifs du droit administratif français : - 1790. Dans la logique de la séparation des pouvoirs, la loi des 16 et 24 Août définit le code des rapports du judiciaire et de l’administratif : l’article 13 interdit au juge ordinaire d’intervenir dans l’activité de l’Administration, sous peine de forfaiture. Et en complément normatif nécessaire, l’adoption d’un code pénal, revu en 1810, consacre un article 127 qui sanctionne les juges qui se prononceraient sur des opérations des corps administratifs. - 1799. Le 15 Décembre, la Constitution de l’An VIII crée le Conseil - 13 - d’Etat à la suite de la volonté de Napoléon BONAPARTE. - 1800. La loi du 28 Pluviôse An VIII (17 Février) crée les Conseils de préfecture, qui deviennent, en 1953, les tribunaux administratifs chargés du contentieux administratif à l’échelle locale. - 1872. Le 24 Mai, une loi reconnaît au Conseil d’Etat le pouvoir de rendre des décisions souveraines dans les litiges opposant les particuliers à l’Administration. A cette indépendance convient-il de relever, à la même date, la création du Tribunal des Conflits, formé des magistrats de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat au titre d’arbitre des compétences lorsque la nature judiciaire ou administrative de l’affaire n’est pas claire. - 1873. Le 08 Février, le Tribunal rend l’Arrêt BLANCO, qualifié de « pierre angulaire » du droit administratif français par Léon DUGUIT, qui consacre l’autonomie du droit de la responsabilité administrative par rapport aux règles civilistes. - 1936. Le 6 Novembre, le Conseil d’Etat affirme son incompétence en matière de contrôle de constitutionalité des lois en rendant l’Arrêt ARRIGHI. Avec l’avènement de la Ve République en 1958, le Conseil Constitutionnel se verra expressément attribuer ce rôle. - 1973. Le 19 Janvier, l’Arrêt Société d’Exploitation Electrique de la rivière du Sant dira que les contrats soumis à un régime exorbitant du droit commun présentent le caractère de contrats administratifs. - 1978. Le 6 Janvier, le Parlement édicte une loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Le 17 Juillet, une loi sur les relations entre l’Administration et le public institue, notamment, le droit d’accès aux documents administratifs pour les personnes que ces documents concernent. - 1979. Le 11 Juillet est émis une loi sur la motivation des décisions administratives individuelles défavorables. - 1980. Le 22 Juillet, le Conseil Constitutionnel, dans la décision dite validation d’actes administratifs, fixe en jurisprudence que l’existence et l’indépendance des juridictions administratives sont garanties par la Constitution. - 1987. Le 23 Janvier, le même Conseil Constitutionnel, dans la décision dite Conseil de la concurrence, dira que « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (P.F.R.L.R)… la compétence de la juridiction administrative à connaître en dernier ressort de l’annulation ou de la réformation des décisions administratives ». - Le 31 Décembre, une réforme du contentieux administratif crée des Cours Administratives d’Appel, dans cinq (05) villes, dont la mise en place est progressive les années suivantes : contentieux de plein droit à partir de 1989, contentieux de l’excès de uploads/S4/ fondements-constitutionnele.pdf
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- Publié le Aoû 06, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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