Recueil Dalloz Recueil Dalloz 2020 p.611 L'incidence de l'épidémie de coronavir
Recueil Dalloz Recueil Dalloz 2020 p.611 L'incidence de l'épidémie de coronavirus sur les contrats d'affaires : de la force majeure à l'imprévision Julia Heinich, Agrégée des Facultés de droit, Professeur à l'Université de Bourgogne, Directrice du CID (EA 7531) L'essentiel La pandémie relative au Covid-19 constitue une crise sanitaire inédite. Les scientifiques et les médecins sont naturellement les premiers mobilisés pour la combattre. Mais ses effets concernent aussi les juristes en raison de son incidence majeure sur l'économie, les entreprises et les contrats. La maladie, les mesures de police administrative, les difficultés économiques qu'elle suscite peuvent-elles être qualifiées de force majeure ? D'imprévision ? Quelles clauses peuvent permettre aux contractants d'anticiper et de gérer les effets de tels événements ? Toutes ces questions méritent des précisions, pour informer les contractants et les aiguiller vers les outils juridiques les plus adaptés à leur situation. Depuis plusieurs semaines, une crise sanitaire mondiale est en cours avec des incidences majeures sur l'économie. Or le régime juridique applicable en matière contractuelle aux situations résultant de la crise du Coronavirus - ou plus précisément du Covid-19 - n'est pas toujours très clair. Les questions relatives à la qualification de force majeure (1), à la possibilité d'invoquer le récent article 1195 du code civil introduisant une forme de révision pour imprévision, les effets sur les contrats en cours ou encore la rédaction à adopter pour prévoir des clauses intégrant des risques similaires sont nombreuses. Avant toute chose, il faut rappeler qu'aucun événement n'est en lui-même constitutif d'un cas de force majeure, en particulier en matière contractuelle. Par exemple, pour un contrat conclu en mars 2020, il serait difficile d'invoquer l'imprévisibilité de l'épidémie de coronavirus et de ses effets. Cette seule circonstance exclurait la qualification de force majeure quand bien même elle rendrait impossible, dans quelques semaines, l'exécution dudit contrat. Ainsi, la réunion des conditions de la force majeure comme de l'imprévision dépend largement des circonstances de l'espèce, dans la mesure où ces notions font appel à des standards laissant une place importante à l'interprétation des juges. Néanmoins, certaines précisions peuvent être apportées sur la manière dont devraient s'appliquer en la matière les conditions et les effets de la force majeure (I), de l'imprévision (II), et les clauses qui pourraient concerner cette situation (III). I - Sur la force majeure La force majeure est régie en matière contractuelle par l'article 1218 du code civil, en vigueur depuis le 1er octobre 2016 (2), qui en donne à la fois la définition (A) et les effets (B). A - La définition Le premier alinéa de l'article 1218 définit la force majeure comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, [qui] empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ». 1 - Un événement échappant au contrôle du débiteur Dès lors que l'inexécution est directement liée à l'épidémie de Covid-19, la condition devrait être considérée comme remplie. Un virus à la propagation irrésistible, considérée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une urgence de santé publique de portée internationale, puis désormais comme une pandémie, contre laquelle les États cherchent à lutter sans parvenir à l'éradiquer, semble bien hors du contrôle de simples contractants (3). 2 - Un événement imprévisible au moment de la formation du contrat Cette condition devrait aussi être considérée comme remplie si le contrat a été conclu avant l'apparition de l'épidémie, ou à tout le moins avant l'information du public quant à l'ampleur qu'elle pouvait prendre (4). L'imprévisibilité de l'événement est, en effet, depuis longtemps appréciée par la jurisprudence de manière relative (5). Cette appréciation a été consacrée par l'ordonnance du 10 février 2016 : l'article 1218 évoque désormais explicitement un événement « qui ne pouvait être raisonnablement prévu ». Le fait que des crises sanitaires d'une ampleur ou d'une nature proche aient déjà existé dans le passé n'est sans doute pas de nature à exclure le caractère d'imprévisibilité. Plusieurs indices pourraient ici tendre à la qualification d'événement imprévisible : il s'agit d'une maladie nouvelle, inconnue chez l'homme et pour laquelle il n'existe aucun vaccin (6). Plus encore, la vitesse et l'ampleur de sa propagation au niveau mondial semblent tout à fait inédites (7). Attention : si le contrat a été conclu (ou renouvelé, ce qui juridiquement fait naître un nouveau contrat) après l'apparition de l'épidémie de coronavirus, la condition d'imprévisibilité ne sera sans doute pas considérée comme remplie (8). Les différentes conditions étant cumulatives, la force majeure ne pourra être invoquée. Il faut donc attirer l'attention des contractants sur la nécessité de prévoir des clauses claires et adaptées pour anticiper les évolutions de la situation liée à cette épidémie (V. infra). Pourront, en particulier, être envisagées l'hypothèse d'une aggravation de certaines mesures de police administrative ou d'une augmentation du coût d'exécution avec des possibilités de résilier le contrat de manière anticipée ou de le renégocier. Pourraient être utilisées, à cet égard, une clause de force majeure à la définition adaptée (excluant la condition d'imprévisibilité, par ex.), une clause de renégociation (sans oublier de prévoir les effets en cas d'échec de la renégociation), ou encore une clause « sur- mesure » liée à l'objet et au contexte du contrat (envisageant les effets d'une hausse des prix, d'une annulation ou d'un report pour un événement, une diffusion, d'une renégociation des conditions d'une cession, etc.). 3 - Effets ne pouvant être évités par des mesures appropriées Lorsque la maladie du débiteur est invoquée pour justifier son inexécution, cette condition devrait être remplie (9). Il en ira de même lorsqu'une décision émanant d'une autorité étatique empêche l'exécution de la prestation (arrêté ou décret annulant la tenue d'un événement, interdiction de voyager dans certains pays, mesures de confinement obligatoire de personnes ou de marchandises, etc.). Dans les autres situations, il faudra raisonner au cas par cas en fonction du contexte et de la réaction du débiteur face à la survenance de l'événement ou lorsque sa réalisation est devenue prévisible. Par exemple, l'annulation de l'événement aurait-elle pu être évitée par des mesures appropriées (si l'autorité administrative ouvrait une telle possibilité) ? Les marchandises qui n'ont pas pu être produites ou livrées au débiteur, qui n'a donc pas lui-même pu livrer son créancier, auraient-elles pu être facilement remplacées par celles d'un autre producteur si c'était matériellement possible ? Le juge pourrait cependant se montrer compréhensif en adoptant une appréciation relative, comme il l'a déjà fait par le passé pour les autres critères comme l'imprévisibilité ou l'impossibilité, au regard de l'importance de la crise et de ses répercussions. Il pourra aussi prendre en compte l'application du principe de précaution par certains contractants, en particulier dans le cadre de l'organisation d'événements. 4 - Impossibilité d'exécution C'est essentiellement cette condition qui distingue un cas de force majeure, rendant l'exécution impossible, d'un événement relevant de l'imprévision, la rendant « simplement » plus difficile ou onéreuse. C'est la raison pour laquelle la force majeure « financière » n'existe en principe pas pour le débiteur de l'obligation de payer une somme d'argent : comme l'énonce la Cour de cassation, « le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (10). Il n'est, en effet, jamais matériellement impossible de payer tant que la monnaie existe ! La seule exception pourrait résider dans des cas très particuliers d'impossibilité matérielle de procéder au règlement des sommes dues, comme une maladie empêchant le débiteur hospitalisé de procéder au règlement des sommes dues (11), ou un bug informatique empêchant d'effectuer le paiement à la date prévue (12). Dans l'hypothèse du coronavirus, seule la maladie empêchant de réaliser le paiement pourrait à la rigueur être invoquée, mais elle n'aurait alors qu'un effet suspensif et permettrait seulement au débiteur d'échapper au paiement d'éventuelles pénalités de retard. En revanche, une cession de droits sociaux, par exemple, ne pourrait être remise en cause après le signing par l'apparition de l'épidémie et ses conséquences négatives sur la valeur de la société, sauf si une clause spécifique - comme une MAC clause (V. infra) - a été prévue pour envisager ce type de situation ou encore si la cession était conditionnée à l'obtention d'un crédit, refusé en raison de la situation. Si l'épidémie de coronavirus et ses conséquences rendent l'exécution d'une obligation très difficile d'un point de vue financier ou matériel, ce n'est pas la force majeure qu'il faut mobiliser mais, selon les cas, les clauses contractuelles (V. infra), le droit des entreprises en difficulté (en particulier pour l'ouverture d'une conciliation ou d'un mandat ad hoc) ou l'imprévision (V. infra). En revanche la condition sera remplie dès lors que l'exécution de l'obligation est réellement rendue impossible. Ce peut être, par exemple, parce que le débiteur est lui-même touché par le coronavirus avec des symptômes invalidants, que ses salariés le sont, qu'il résulte de mesures de confinement ou autres une désorganisation de sa production le plaçant dans l'impossibilité de livrer tous uploads/S4/ corona-et-contrat-d-x27-affaires.pdf
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- Publié le Mar 01, 2022
- Catégorie Law / Droit
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