Institut Louis Favoreu Groupe d'Études et de Recherches comparées sur la Justic
Institut Louis Favoreu Groupe d'Études et de Recherches comparées sur la Justice Constitutionnelle Équipe associée au CNRS (UMR7318) Aix-en-Provence Annuaire International de Justice Constitutionnelle XXXI 2015 (extraits) ECONOMICA PRESSES UNIVERSITAIRES 49, rue Héricart D'AIX-MARSEILLE 75015 Paris 3, Avenue R. Schuman 13628 Aix-en-Provence cedex 01 2016 ÉTUDES DE LA POSSIBILITÉ D’UN DISCOURS CONSTITUTIONNEL CRITIQUE Études rassemblées par Xavier Magnon Pour un moment épistémologique du droit – constitutionnel – par Xavier MAGNON, Professeur à l’université de Toulouse 1 Capitole, Institut Maurice Hauriou Il n’y a de science que critique par Bernard LAHIRE, Professeur de sociologie, École normale supérieure de Lyon, Membre senior de l’Institut universitaire de France La possibilité d’une analyse du droit (constitutionnel) scientifiquement et juridiquement critique Les moyens d’une analyse scientifiquement et juridiquement critique : l’exemple de l’étude des décisions du Conseil constitutionnel par Régis PONSARD, Maître de conférences en droit public, université de Champagne, Centre d’études des normes juridiques Yan Thomas, École des hautes études en sciences sociales POUR UN MOMENT ÉPISTÉMOLOGIQUE DU DROIT – CONSTITUTIONNEL – par Xavier MAGNON « La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. […] L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit. » G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Vrin, Bibliothèque des textes philosophiques, 2011, p. 16 « Si on sait ce que l’on fait, on le fait mieux : c’est le passage d’une pratique à une méthode. […] le métier est quelque chose qui existe à l’état pratique, on peut faire des choses magnifiques sans avoir de métadiscours sur sa pratique. […] Néanmoins, le métier est une condition nécessaire mais pas suffisante. On fait d’autant mieux son métier qu’on le maîtrise sur le plan conscient, qu’on est capable de porter à l’explication les principes pratiques qu’on met en œuvre dans sa pratique, qu’on a transformé en règles des schèmes, posé des règles qui peuvent devenir des règles collectives et être utilisées même par des adversaires comme un rappel à l’ordre. La codification a une importance considérable. L’épistémologie, c’est la codification d’un métier, ce qui lui fait subir une transmutation : on passe à un autre ordre quand on fait sciemment ce qu’on fait. » P. Bourdieu, Sur l’État. Cours du Collège de France 1989-1992, Seuil, Raisons d’agir, Cours et travaux, 2012, p. 152. Nul constitutionnaliste ne doute, à juste titre sans doute, de proposer une lecture critique de son objet d’étude. Il n’est cependant pas certain qu’une réflexion existe sur les conditions même d’un tel discours. Un discours critique sera entendu comme un discours sceptique vis-à-vis de son objet d’étude, qui met et remet constamment en question ce qu’il observe afin d’en avoir une meilleure connaissance 14 ÉTUDES dans ce qu’il a de visible mais, surtout, dans ce qu’il cache. Ainsi entendue, la dimension critique du discours du constitutionnaliste est déjà moins nette. Il n’en demeure pas moins, quelle que soit l’ambition critique du discours sur le droit constitutionnel, que la possibilité d’un discours critique présuppose l’existence d’un cadre conceptuel et méthodologique à partir duquel sera observé ce qui est étudié. Dans le sens usuel du terme, le juriste propose un discours critique ; dans le sens scientifique, à défaut d’avoir posé les conditions même de son discours critique, ce discours ne saurait l’être. Autrement dit, la démarche critique du constitutionnaliste ne saurait être retenue que dans une signification usuelle et non pas dans une signification scientifique pour reprendre la distinction établie par Bachelard à propos du « conflit des significations »1. Pour pouvoir tenir un discours critique, il est nécessaire de savoir ce que l’on fait. La position générale qui sera défendue consiste à soutenir qu’un discours critique n’est possible que pour autant que celui-ci repose sur un cadre conceptuel et méthodologique conscient et formalisé. En France, la réflexion épistémologique en droit n’est certes pas originale2, mais elle présente sans doute deux défauts au regard de la perspective que nous entendons adopter ici. En premier lieu, elle est une question laissée aux théoriciens du droit et n’est ainsi pas, peu ou mal diffusée à l’ensemble de la doctrine. À demeurer dans le cadre des seuls spécialistes, elle peine à montrer la portée pratique décisive que doit avoir la réflexion épistémologique. En second lieu, cette réflexion épistémologique se contente souvent de rendre compte des possibles, des conditions de la connaissance en général, selon les différents courants, ce qui est à l’évidence nécessaire, mais sans véritablement poser un programme épistémologique3. Elle ne prend pas position. Elle ne défend pas une épistémologie propre, c’est-à-dire les conditions minimales d’une connaissance scientifique spécifique du droit4. Telle est précisément l’ambition de ce dossier que de mettre en évidence les questions qu’impose le choix d’une épistémologie propre à la science juridique, accessible, et d’en montrer la portée pratique décisive pour l’ensemble de la discipline juridique. Comment faut-il connaître le droit ? Quelles règles le discours sur le droit doit-il s’imposer pour être scientifique ? Qu’est-ce que « faire du droit », à savoir tenir un discours scientifique sur cet objet ? L’opportunité d’une telle réflexion semble devoir s’imposer aujourd’hui de manière naturelle en droit constitutionnel. En France, il est possible de considérer de 1 G. BACHELARD, Le rationalisme appliqué, Puf, 1949, p. 148. 2 Voir en particulier les notes suivantes. 3 Tel est le cas en particulier des deux ouvrages de référence en français sur la question : C. ATIAS, Epistémologie juridique, Dalloz, Précis, 1re éd., 2002, 230 p. ; V. CHAMPEIL-DESPLATS, Méthodologies du droit et des sciences du droit, Dalloz, Méthodes du droit, 2014, 432 p. 4 Voir cependant et par exemple : A. VIALA qui propose de répondre à la question « comment connaître le droit ? » en écartant les deux obstacles épistémologiques que sont l’idéalisme et l’empirisme pour proposer une voie médiane : la construction d’une théorie du droit (Philosophie du droit, Ellipses, Cours magistral, 2010, 2e partie de l’ouvrage, p. 133 et s.). Voir également pour une défense du caractère décisif de disposer d’une épistémologie : A. GESLIN, « L’importance de l’épistémologie pour la recherche en droit », in La recherche juridique vue par ses propres acteurs, Actes de colloque IFR n° 23, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2016, pp. 79-130. Voir encore pour des ouvrages dont l’intitulé s’inscrit dans une démarche prescriptive : P. DUBOUCHET, Trois essais pour une théorie générale du droit. Science, épistémologie et philosophie du droit, L’Hermès, Philosophie du droit, 1998, 80 p. ; J.-F. PERRIN, Pour une théorie de la connaissance juridique, Librairie Droz, Genève, 1979, 1re éd., 177 p. Voir enfin et surtout, défendant une épistémologie du droit particulière, l’approche pluridimensionnelle du droit : R. PONSARD, Les catégories juridiques et le Conseil constitutionnel. Contribution à l’analyse du droit et du contentieux constitutionnel, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 8 décembre 2011, Thése dactyl., 606 p. La lecture proposée dans ses lignes doit beaucoup à ces travaux et aux discussions (sans fin) nourries avec Régis Ponsard. DE LA POSSIBILITÉ D’UN DISCOURS CONSTITUTIONNEL CRITIQUE 15 manière schématique que nous nous situons dans une troisième phase de la doctrine constitutionnaliste moderne. Le discours sur le droit constitutionnel s’est d’abord détaché de la « science politique » pour se centrer sur les normes juridiques plutôt que sur la pratique institutionnelle (de l’étude des régimes politiques à celle des Constitutions), avant de se tourner, par mimétisme et conservatisme juridique mais aussi pour des raisons historiques liées à la naissance de la justice constitutionnelle, vers l’interprétation de ces normes par le juge, pour embrasser aujourd’hui, et retrouver sans doute également5, des questionnements plus conceptuels. Telle est la marque contemporaine du discours constitutionnel tel qu’on le retrouve dans la production de nombreuses thèses en droit constitutionnel : une réflexion sur des concepts ou une conceptualisation assumée des notions juridiques étudiées, un usage de la théorie du droit et le recours à des disciplines auxiliaires, la philosophie en tout premier lieu, mais également la linguistique ou la logique6. Dans un tel contexte, qui ne concerne certes encore que la jeune, en âge, doctrine constitutionnelle française, il n’est peut-être pas inopportun de penser uploads/S4/ dossier-qu-x27-est-ce-qu-x27-e-tre-scientifiquement-critique.pdf
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- Publié le Fev 02, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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