Y a-t-il un droit au secret ? La torture apparaît comme une atteinte extrêmemen

Y a-t-il un droit au secret ? La torture apparaît comme une atteinte extrêmement grave au droit que tout homme a à ce qu’il ne subisse pas violence dans son corps. Or si un particulier ou une institution torture quelqu’un, c’est pour lui extorquer un secret. Si la torture est une atteinte à l’intégrité du corps, elle est aussi une atteinte au droit au secret. En revanche, lorsque Gorbatchev annonçait au peuple russe que la situation était maîtrisée lors de l’explosion de Tchernobyl en 1986, il lui mentait, ce qui constitue un usage coupable du secret, dont les conséquences étaient dramatiques pour les populations soumises aux radiations. Ainsi, y a-t-il un droit au secret ? Qu’est-ce qui, dans la nature d’un sujet humain, justifie que certaines informations le concernant ne soient pas divulguées ? Dire un secret à autrui lui impose-t-il le silence ? Est-ce que la société doit protéger ce droit au secret ? L’État lui-même a-t-il droit au secret ? Cependant, n’y a-t-il pas des abus de « secrets bien gardés » ? Par ailleurs, le devoir de transparence fait partie aussi de la vie humaine, personnelle et sociale. Le droit au secret est-il compatible avec le devoir de transparence ? Nous verrons dans un premier temps que si le secret relève d’un droit, il existe aussi des dérives concernant le secret et qu’il faut le modérer par un devoir de transparence, lui-même modéré par le droit au secret. 1. Le droit au secret La personnalité est réservée à l’homme et apparaît comme un privilège de l’esprit. Or l’esprit est capable de faire retour sur lui-même, ce que l’on appelle la conscience. Cette conscience livre une connaissance de soi qui est personnelle. Personne ne peut voir en moi comme je me vois moi-même. Le secret est donc une caractéristique de la personnalité et un fait. A ce stade on ne voit pas qu’il y ait un droit au secret, car le secret de la personnalité est de toute manière impénétrable. Cependant, le secret de la vie intérieure n’est pas sans manifestations extérieures. Par exemple, la façon dont on décore l’intérieur de sa maison dit quelque chose de la vie intérieure. Il suffit qu’un voisin surveille l’intérieur de sa maison pour qu’on se sente atteint dans son droit, voire dans son intimité. Ce qu’on appelle la «vie privée» concerne toutes ces manifestations extérieures dont la révélation publique porterait atteinte au secret de la personne. Le droit à la vie privée relève du droit au secret que possède la personne. Ce droit au secret se double d’un droit à pouvoir dire un secret. Car, si la personne humaine est porteuse de secret, elle est aussi porteuse de relations avec les autres. Selon la célèbre formule d’Aristote, « l’homme est un animal politique», et quand Aristote démontre cette affirmation, il convoque le langage comme faculté naturelle de communiquer. Le secret n’échappe pas à la règle : l’homme doit pouvoir communiquer ses secrets à d’autres. Il n’y a pas de droit au secret sans droit de dire son secret. Il est bien évident que la personne doit pouvoir dire son secret dans la plus grande liberté, c’est-à-dire choisir à qui dire son secret et pouvoir être assuré que le secret sera gardé. Ainsi, pouvoir dire son secret fait partie d’une vie sociale humaine. C’est pourquoi une personne est amenée à confier ses secrets à autrui – une assistante sociale, un médecin, un psychologue, un confident, un confesseur. Cette communication du secret se fait à la condition expresse que le destinataire reste lui-même dans le secret. Car il est évident que si les secrets devaient être divulgués, plus personne ne confierait ses secrets. On constate d’ailleurs que personne ne confie un secret à autrui s’il sait que celui-ci va le trahir. Par conséquent, le destinataire a le devoir de garder le secret. Mais ce devoir lui- même est fondé sur le droit qu’a le locuteur à ce que le secret soit gardé. Autrement dit, la personne qui confie un secret à quelqu’un a droit à ce que ce secret ne soit pas divulgué. Le secret est transmissible, ce qui ne veut pas dire qu’il est propre à la divulgation. Dans une démocratie, le droit naturel au secret est reconnu au niveau législatif et devient droit positif. Selon les articles 226 – 13 et 226 – 14 du Code pénal de 1992, « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 1500 euros d’amende». Le numéro 226 – 14 précise que la loi ne s’applique pas lorsqu’il s’agit de révéler notamment des sévices sur personne mineure ou vulnérable. L’article 223 – 6 du Code pénal oblige quiconque à porter assistance à personne en danger. On peut citer l’affaire Pierre Pican, évêque de Bayeux (en précisant que l’évêque ne confesse pas ses prêtres, donc on n’est pas dans le cas du secret de la confession). Il est mis en examen en 2000 pour non-dénonciation d’atteintes sexuelles sur mineur de moins de 15 ans. En effet un de ses prêtres était coupable d’actes pédophiles. L’évêque avait été mis au courant. Il avait continué de nommer le prêtre en paroisse en le plaçant sous surveillance. En 2001 l’évêque est condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis. Le tribunal a estimé que l’évêque n’était pas dans un cas de secret professionnel. La jurisprudence évolue donc vers l’obligation pour un ministre du culte non pas de dénoncer mais de signaler une agression de cette nature. Le médecin, le psychologue et le prêtre sont tenus de respecter le secret. Toute situation de thérapie justifie le droit au secret, car le patient est par définition dans une situation de vulnérabilité. S’il est malade dans son corps, cela concerne son esprit aussi : il a droit à ce que sa situation ne soit pas divulguée car le corps propre fait partie de l’intimité de la personne. A fortiori s’il est malade dans son esprit : l’esprit est par définition intime à lui-même. Le patient a droit à ce que le thérapeute garde secret ce qu’il lui confie. Enfin, dans le cadre de la confession, le patient qui est ici un pécheur vient chercher le remède à ses fautes, à savoir le pardon de Dieu. C’est sans doute la situation la plus profonde du secret, car, comme l’explique Kierkegaard, la personne a à se choisir elle-même par rapport à l’ordre moral et, au-delà même du moral, par rapport à Dieu comme fin dernière de la vie humaine. La personne humaine engage, à travers la religion, sa destinée éternelle. Or « le péché de désespérer sur la rémission des péchés est le scandale», selon Kierkegaard. C’est un scandale en ce sens que désespérer sur la rémission des péchés, c’est désespérer d’être aimé de Dieu, c’est désespérer de sa miséricorde. Dans la perspective sacramentelle qui est celle de saint Thomas, le pécheur avoue le secret de sa culpabilité, demande pardon à Dieu, et reçoit ce pardon par le ministère du prêtre. C’est pourquoi le prêtre a un devoir absolu de garder le secret. Ce qui lui est dit par le pénitent est dit à Dieu à travers lui. Le prêtre ne dispose donc pas de la parole du pénitent. En grec, pénitence se dit metanoia (meta-noeo : changer ce qu’on a dans l’esprit), c’est-à-dire changement d’opinion, retournement intérieur. Le pénitent revoit sa conduite et la regrette. Il y a aussi le verbe epistrephein qui connote le retour à Dieu. Par ailleurs, l’Eglise distingue le for interne et le for externe. L’étymologie du mot « for » est éclairante. Il vient du latin for qui signifie parler, dire. Ça a donné le mot forum qui désigne la place publique où se font les transactions et où se décident les conventions. C’est l’équivalent de l’Agora. Il est aussi important qu’il y ait un for interne que la démocratie est fondée sur l’Agora. Une société qui ne respecte pas le for interne est une société qui ne respecte pas le for externe, c’est une société qui sape les bases mêmes de la démocratie. L’État a-t-il droit au secret ? La fonction de l’Etat est d’avoir charge du bien commun. Si certaines informations sont de nature à mettre en danger le bien commun, l’État a non seulement le droit mais aussi le devoir de tenir secrètes ces informations. Il en va de la survie de la société. Encore faut-il concevoir cette survie de la société comme quelque chose de durable. Car il peut se faire que certaines informations secrètes permettent à la société qui les cache de ne pas être inquiétée dans le présent, mais à long terme c’est un mauvais calcul. Par exemple, le meurtre de l'avocat indépendantiste Ali Boumendjel en 1957 pendant la guerre d’Algérie a été tenu caché jusqu’à l’ouverture récente des archives. Il n’est pas bon de vivre avec une mémoire partielle, car à ignorer son passé, uploads/S4/ droit-au-secret.pdf

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  • Publié le Jan 09, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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