1 LA DÉJUDICIARISATION : LE POINT DE VUE DES PARQUETS FRANCOPHONES Isabelle Rav
1 LA DÉJUDICIARISATION : LE POINT DE VUE DES PARQUETS FRANCOPHONES Isabelle Ravier – Chercheure DO criminologie INCC Communication à la journée d’étude du 05.12.2013 organisée par la DO criminologie de l’INCC et le Centre de recherches criminologiques de l’ULB Cette présentation est largement issue du rapport de recherche disponible in extenso sur le web1. 1. Contexte de la recherche La recherche2 mentionnée porte sur la réforme du champ d’action des sections jeunesse des parquets examinée sous l’angle de la déjudiciarisation et au regard des standards internationaux en la matière. Elle fut menée par le Héloise Tracqui et Jean Vincent Couck pour le C.I.D.E.3 sous la promotion d’Isabelle Ravier. Pourquoi aborder la déjudiciarisation ? L’Observation générale n°10 (2007) qui complète la Convention internationale des droits de l’enfant met en avant deux principes autour desquels les Etats sont invités à construire leur système de justice juvénile : « la promotion de l’utilisation de mesures de substitution telles que la déjudiciarisation et la justice réparatrice ». Il s’agissait d’interroger la justice juvénile belge nouvellement réformée au regard des standards internationaux en matière d’alternative à l’enfermement (privation de liberté comme mesure de dernier ressort). En 2009, au démarrage de la recherche, l’équipe a fait le choix d’aborder la déjudiciarisation à travers l’intervention des parquets, le procureur du roi ayant le monopole de la saisine du tribunal de la jeunesse en matière protectionnelle. Déjudiciarisation ? L’on retient en général trois acceptions de la notion de déjudiciarisation : 1. Éviter l’entrée dans l’entonnoir pénal4 - agents de la déjudiciarisation dans le champ social 2. Eviter la progression dans l’entonnoir pénal 1 COUCK J.-V., TRACQUI H., RAVIER I. (dir.), A partir de l’Observation n° 10 : La réforme du champ d’action des sections jeunesse des parquets sous l’angle de la déjudiciarisation, Rapport intégral de recherche, UCL, CIDE & DEI, 2009, http://www.dei-belgique.be/admin/doc/Rapport_integral_recherche.C.I.D.E._12-09.pdf. 2 TRACQUI H., COUCK J.-V., RAVIER I., la déjudiciarisation : un mode de traitement de la délinquance juvénile en Belgique ?, Journal du droit des jeunes, n° 292, février 2010, pp. 4-12. 3 Centre Interdisciplinaire des Droits de l’Enfant, le centre est le fruit d’un partenariat entre l’Université Catholique de Louvain (U.C.L.) et la section belge de l’O.N.G. Défense des enfants international (D.E.I.), l’Université de Namur (F.U.N.D.P), l’Université libre de Bruxelles (U.L.B) et la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant (CODE) 4 Notion empruntée au sociologue Philippe Robert. ROBERT P., « Les statistiques criminelles et la recherche : réflexions conceptuelles », Déviance et société, I, 1, 1977, pp. 3-27. Il s’agit du parcours judiciaire qu’un auteur d’infraction peut connaître au sein de la sphère judiciaire : police, parquet, tribunal et système pénitentiaire. On parle d’un « entonnoir » en référence à la diminution progressive du flux d’affaires traitées au sein de la sphère judiciaire entre l’étape du signalement de la situation problématique auprès de la police et la dernière étape, la sortie de prison. 2 3. Eviter le recours aux juges et tribunaux ou réduire leur intervention, il s’agit de la soustraction de l’auteur d’une infraction à des poursuites judiciaires ; on parle également de « diversion ». En Belgique, l’application des peines relève de la compétence exclusive du Juge, déjudiciariser consiste alors à réduire ou supprimer l’intervention du juge. L’observation n° 10 et la loi réformée en 2006 renvoient à cette dernière acception. Les mesures de diversion sont des « mesures de substitution à la procédure judiciaire, des alternatives à la procédure judiciaire »5 ; la mesure de remplacement est une alternative à la mesure remplacée qui,elle, relève de l’échelon supérieur des réactions. Méthodologie de la recherche Les données recueillies sont principalement le discours d’acteurs judiciaires et sociaux provenant de cinq arrondissement judiciaires ciblés6: criminologues de parquets jeunesse, substituts du procureur du Roi et intervenants dans les Services de Prestation Educative et philanthropique chargés de l’encadrement des offres restauratrices (SPEP7). L’echantillonnage des arrondissements a été réalisé sur base de variables de diversification : la taille des arrondissements judiciaires ; des éléments socio- démographiques ; la charge de travail des Parquets ; l’expérience en matière de médiation ; l’intérêt des SPEP pour la médiation ; l’affiliation des services aux deux principales fédérations (FASE, FEMMO). L’analyse des discours a ensuite été mise en perspective avec les acteurs des arrondissements non retenus dans la cible autour des hypothèses dégagées par l’analyse (principalement concernant la médiation) lors de tables rondes. Et enfin, un séminaire de restitution des résultats a été organisé en fin de recherche. 2. Les résultats de recherche 2.1. La déjudiciarisation dans le cadre législatif en Belgique On trouve une pluralité de dispositifs ainsi qu’une grande diversité des usages de la notion de déjudiciarisation. Ainsi, par exemple, citons les mesures de diversion qui avaient déjà été mises en œuvre par certains parquets dans les années 1990, le traitement informel d’incivilités, les actions préventives de services de police qui se qualifient eux-mêmes de « déjudiciarisantes » en évoquant la présence dissuasive dans certains lieux, le Décret relatif à l’aide à la jeunesse qui se présente comme un dispositif de déjudiciarisation des situations de mineurs en danger… À travers la restructuration des champs d’action des sections jeunesse des parquets, la loi réformée de 2006 introduit un « dispositif » de déjudiciarisation, notamment via la présence des criminologues de parquet. Le terme n’apparait cependant pas dans le texte de loi, il est question de « mesures de substitution aux procédures judiciaires ». La loi précise les pouvoirs du parquet et consacre certaines pratiques prétoriennes à travers une description exhaustive des compétences du ministère public afin de replacer la présomption d’innocence au centre de la réaction. Disparaissent ainsi les « sanctions » au niveau des parquets qui ne peuvent plus proposer de projet éducatif, de thérapie ou d’activité d’intérêt général. Les objectifs poursuivis par la loi relative à la protection de la jeunesse réformée est triple : - la lutte contre le sentiment d’impunité que le système judiciaire semble générer : « Il résulte, [du fait que le mineur et ses parents ne soient pas avertis du classement sans suite du dossier], un manque d’information et de clarté pour le jeune, voire un sentiment de non 5 Comité des droits de l’enfant, Observation Générale n° 10, Les droits de l’enfant dans le système de justice pour mineurs, 2007, p.2. 6 Bruxelles, Charleroi, Liège, Nivelles et Mons. 7 Les SPEP sont devenus aujourd’hui des Services d’actions restauratrices et éducatives (SARE). 3 prise au sérieux de son comportement et de sa situation par les autorités judiciaires. C’est pour cette raison que le législateur a décidé de consacrer la pratique de l’envoi d’une lettre d’avertissement et celle du rappel à la loi »8 ; - la prévention de la récidive qui s’articule à la lutte contre le sentiment d’impunité et dont l’outil principal est la lettre d’avertissement ; - et enfin, la responsabilisation entendue comme prise de conscience: celle-ci sera assurée soit directement via la lettre d’avertissement ou le rappel à la loi, soit indirectement en orientant vers un service de médiation qui réalisera un travail éducatif à des fins de responsabilisation. Les mesures de diversion que peut proposer le parquet sont donc la lettre d’avertissement, le rappel à la loi, l’offre de médiation9. Le terme diversion est entendu comme une « tentative de limiter l’entrée de jeunes délinquants dans le circuit judiciaire en utilisant d’autres voies de traitement, des voies détournées, moins stigmatisantes. Le parquet renvoyant l’affaire vers des circuits sociaux, médicaux, de prévention, non judiciarisés »10. Les contours restent cependant très flous ; les mesures de diversion se présentent à la fois comme des instruments de déjudiciarisation (éviter la saisine du tribunal de la jeunesse) ET de lutte contre le sentiment d’impunité par une réponse judiciaire visible par le mineur et ses parents. La réactivité devient mode de traitement de la délinquance. « Dans la pratique, cela fait déjà plusieurs années que les mesures de diversion (mesures proposées au niveau du parquet) pour les mineurs sont encouragées en remplacement d’une intervention du Tribunal de la jeunesse. Cette approche a un double avantage pragmatique : une réaction rapide à un comportement constitutif d’un fait qualifié infraction qui ne nécessite cependant pas une intervention judiciaire et une limitation de la charge de travail du Tribunal de la jeunesse »11. Ainsi la lettre d’avertissement et le rappel à la loi seraient davantage envisagés comme des alternatives au classement sans suite ou des modalités de classement sans suite par une réactivité accrue, alors que la médiation serait considérée comme une réelle alternative aux poursuites. Derrière la diversification des réactions au niveau du parquet se profile également un objectif de gestion du flux des saisines par l’offre d’une possibilité de lutte contre le sentiment d’impunité (sentiment qui inciterait à saisir le juge pour des actes de moindre gravité). Ainsi, si au départ les mesures de diversion étaient des voies de réaction non judiciaires elles sont devenues alternatives au classement sans suite pour répondre au sentiment d’impunité. 2.2. Statut particulier de la médiation Le principe de subsidiarité par rapport au tribunal de la jeunesse est uploads/S4/ droit 27 .pdf
Documents similaires










-
34
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jan 14, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
- Taille du fichier 0.5939MB