RTD Civ. RTD Civ. 1995 p.931 Droit de rétention. Nature juridique. Qualificatio
RTD Civ. RTD Civ. 1995 p.931 Droit de rétention. Nature juridique. Qualification de sûreté ou de garantie Pierre Crocq, Professeur agrégé à la Faculté de droit de l'Université d'Angers L'intérêt de distinguer sûretés et garanties a parfois été contesté en faisant valoir l'absence d'utilité pratique de cette distinction. Les arrêts rendus à propos du droit de rétention par la deuxième chambre de la cour d'appel de Pau, le 13 octobre 1994 (SA Carrosserie Lahitte c/ Guérin es qual., JCP 1995.éd.G.IV .1567), et la huitième chambre A de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 2 mars 1995 ( Cie du Crédit Universel c/ Nespoulous es qual., JCP 1995.éd.G.IV .1977), montrent, cependant, que cet intérêt est bien réel, notamment, lorsque le créancier est en présence d'un débiteur mis en redressement ou en liquidation judiciaire. La première espèce mettait en présence un carrossier ayant effectué des travaux sur un camion appartenant à une société en liquidation judiciaire et le liquidateur de cette société qui en exigeait la restitution. Le créancier avait bien déclaré en temps voulu sa créance mais il n'avait pas fait état de son droit de rétention dans sa déclaration. La cour d'appel de Pau a considéré, cependant, que ce défaut de mention du droit de rétention était sans incidence. En effet, l'article 51 de la loi du 25 janvier 1985 exige seulement que la déclaration « précise la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie ». Or, selon la cour, « le droit de rétention, droit personnel, ne peut être assimilé aux « privilèges et sûretés » prévus par l'article 51 de la loi du 25 janvier 1985 » et son omission ne peut donc pas être sanctionnée. La cour en a conclu que le créancier, bien qu'admis seulement à titre chirographaire, pouvait néanmoins s'opposer à la demande de restitution du bien formée par le liquidateur tant qu'il n'était pas payé. Dans la seconde espèce, la question était également de savoir si un créancier titulaire d'un droit de rétention, mais n'ayant pas fait état de ce droit dans sa déclaration de créance, pouvait par la suite opposer ce droit aux organes de la procédure collective. Il s'agissait, cette fois, d'un établissement de crédit ayant financé l'achat de son stock de véhicules par un garagiste. Ce créancier avait pris la précaution de conserver les cartes grises et certificats de vente de ces véhicules et lorsque son débiteur fut mis en redressement judiciaire, il opposa son droit de rétention sur ces documents administratifs à l'administrateur judiciaire qui en avait besoin pour poursuivre l'exploitation de l'entreprise du débiteur. A la différence des magistrats palois, ceux de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ont affirmé que « ce droit de rétention ... constitue une sûreté mobilière » ainsi qu'ils l'avaient déjà fait dans un arrêt antérieur (Aix-en-Provence, 4 juill. 1978, D. 1979.IR.34, obs. A. Honorat). Faisant, alors, application d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation (V ., en dernier lieu, Com. 4 févr. 1992, Bull. civ. IV , n° 56) selon laquelle le créancier qui n'a pas fait état de sa sûreté dans sa déclaration perd par la suite le droit de s'en prévaloir, ils en ont déduit que le créancier devait restituer les documents administratifs qu'il retenait sans pouvoir exiger, en contrepartie, le remboursement du crédit qu'il avait consenti. Cette divergence quant à l'application de l'article 51 de la loi du 25 janvier 1985 montre la nécessité de choisir entre les deux qualifications possibles du droit de rétention, véritable sûreté ou simple garantie, sans qu'il soit possible de se contenter comme l'avait fait, autrefois, la cour d'appel de Toulouse, dans un arrêt rendu le 11 février 1977 (D. 1978.206, note J. Mestre), de la qualification ambiguë de « sûreté de fait ». L'arrêt rendu par la cour d'appel de Pau donne à cet égard une précieuse indication en précisant, dans son dernier attendu, que « la nature juridique du droit de rétention repose sur la liberté laissée au débiteur de payer pour récupérer son bien ou de laisser le créancier se payer par la réalisation, par saisie sur lui-même, du bien retenu ». Ce faisant, l'arrêt montre bien que le droit de rétention ne peut pas être qualifié de sûreté. En effet, une sûreté a, entre autres, pour caractéristique de conférer au créancier un pouvoir d'agir qui constitue pour lui un avantage spécifique, s'ajoutant à ceux qu'il retire habituellement de son droit de gage général et n'appartenant donc pas également aux autres créanciers. Or tel n'est pas le cas s'agissant du droit de rétention : il ne confère pas de droit d'agir au rétenteur qui est placé dans une attitude purement passive et le seul droit d'agir que celui aie, pratiquer une saisie sur lui-même, est un droit qui ne lui est pas spécifique (la saisie peut être pratiquée par tout créancier), qui ne naît donc pas de la rétention du bien, et qui a, en outre, pour effet de lui faire perdre avec la détention du bien, placé sous main de justice, le bénéfice de la rétention. Cette analyse du droit de rétention en une simple garantie semble la plus conforme à celle retenue implicitement dans la loi du 25 janvier 1985 car si l'on considérait le droit de rétention comme une sûreté réelle, il faudrait logiquement soumettre le créancier rétenteur à la primauté des créanciers de l'article 40 en cas de mise en redressement judiciaire du débiteur ce qui serait difficilement conciliable avec l'application de l'article 33, alinéa 3, de cette même loi qui permet de payer intégralement le créancier rétenteur lorsque le bien retenu est nécessaire à la poursuite de l'activité de l'entreprise. En affirmant, d'autre part, que le droit de rétention est un droit personnel, la cour d'appel de Pau se range au côté d'une fraction de la doctrine qui le considère comme étant une modalité affectant l'obligation de restitution ou de délivrance du rétenteur (V . notamment N. Catala, De la nature juridique du droit de rétention, cette Revue 1967.9 et s. spéc. n° 29). Au contraire, la Cour de cassation, reprenant l'opinion exprimée naguère par Rodière (note sous Civ. 1re, 22 mai 1962, D. 1965.59 et s.), qualifie le droit de rétention de droit réel afin de justifier son opposabilité erga omnes et, notamment, au propriétaire du bien qui n'est pas débiteur de la dette dont le rétenteur exige le paiement : « le droit de rétention d'une chose, conséquence de sa détention, est un droit réel, opposable à tous, et même aux tiers non tenus de la dette » (Civ. 1re, 7 janv. 1992, Bull. civ. I, n° 4 ; JCP 1992.éd.G.I.3583, n° 16, obs. crit. Ph. Delebecque ; cette Revue 1992.586 , obs. appr. sur ce point P.-Y. Gautier). L'absence de véritable prérogative du rétenteur sur le bien fait douter de la pertinence de cette dernière analyse : le droit de rétention ne donne aucun droit sur la chose au rétenteur ; il ne lui confère, ce qui est très différent, que le pouvoir de dire non à celui qui en demanderait la restitution. Il serait certes tentant d'affirmer, comme certains auteurs, que le droit de rétention est un droit réel parce qu'il se traduit par un pouvoir exercé directement par le créancier sur la chose retenue (V . en dernier lieu, J. François, L'exercice du privilège et du droit de rétention du commissionnaire de transport sur des marchandises n'appartenant pas au débiteur, RJ com. 1995.129 et s. spéc. n° 49). Mais il semble que ce serait commettre là une confusion : le pouvoir du rétenteur sur la chose préexiste à l'exercice du droit de rétention. Il ne procède pas de ce dernier mais de la situation juridique qui a donné naissance à la créance du rétenteur. Il ne faut donc pas confondre le pouvoir sur la chose, c'est-à-dire sa détention qui est la condition d'existence du droit de rétention, et le pouvoir d'en refuser à autrui sa restitution, qui constitue l'effet du droit de rétention. De plus, on peut douter de la nécessité de cette analyse pour justifier l'opposabilité du droit de rétention à un propriétaire non débiteur de la dette. Le contrat liant le créancier et son débiteur, en tant que fait juridique, et la situation de fait créée par ce contrat sont opposables aux tiers. Dès lors, le propriétaire du bien, non débiteur de la dette, est tenu de respecter le droit de rétention du créancier parce qu'il doit tenir compte de l'existence du contrat et de la situation de fait créée par celui-ci même si, parce qu'il n'est pas partie au contrat ayant donné naissance à la dette, il n'est pas débiteur de cette dernière. Il n'y a pas là une exception au principe de l'effet relatif du contrat : par l'effet du droit de rétention, le propriétaire ne devient pas, de jure, débiteur de la dette même si, en raison de la situation de fait créée par le contrat, il sera, souvent, de facto, contraint de la payer à la place du véritable débiteur pour obtenir uploads/S4/ droit-de-retention.pdf
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- Publié le Mai 22, 2022
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