DROIT DES SUCCESSIONS ET DES LIBÉRALITÉS CHAPITRE I : LES REGLES COMMUNES AUX L

DROIT DES SUCCESSIONS ET DES LIBÉRALITÉS CHAPITRE I : LES REGLES COMMUNES AUX LIBERALITES Une fois la notion de libéralité mieux cernée, nous pourrons voir les règles communes qui concernent aussi bien les donations que les legs. Section I : La notion de libéralité Définir la libéralité revient à déterminer ce qui distingue l’acte à titre gratuit de l’acte à titre onéreux. L’article 893 C. Civ. commence par définir ce qu’est une libéralité : « La libéralité est l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne. Il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament. » La libéralité implique toujours un appauvrissement de son auteur qui peut porter sur des biens meubles ou immeubles, mais également sur des droits comme par exemple un droit de créance ou un droit personnel (droit à la réserve). La libéralité peut donc toujours se définir par un ensemble de critères, mais certains actes qui répondent aux critères échapperont encore au régime ordinaire des libéralités. § 1 : Les critères de la libéralité Pour définir une libéralité, il faut réunir deux éléments : un élément matériel et un élément intentionnel. I. L’élément matériel Selon l’article 1105 C. Civ., ce qui caractérise un acte libéral c’est que l’une des parties procure à l’autre un avantage purement gratuit, ce qui suppose que l’un des patrimoines s’appauvrit alors que corrélativement l’autre patrimoine s’enrichit. L ’enrichissement et l’appauvrissement doivent être patrimoniaux, il n’y a pas de libéralité qui porte sur un droit extrapatrimonial (le don du sang ou d’organes ne sont pas de véritables libéralités, pas plus que le legs de la cornée par exemple). De plus, l’enrichissement et l’appauvrissement corrélatif résultent de la transmission sans contrepartie d’un droit, qui passe du patrimoine du disposant dans celui du gratifié. Il peut s’agir d’un droit réel (droit de propriété ou un de ses démembrements) comme d’un droit de créance. Mais parfois, il n’y a pas à proprement parler de transfert d’un droit, par exemple en cas de remise de dette, l’appauvrissement du disposant provient de l’extinction de sa créance, et l’enrichissement du gratifié de l’extinction de sa dette. C’est pourquoi certains auteurs préfèrent définir l’élément matériel non pas comme la transmission d’un droit mais comme un mouvement de valeur. La Cour d’appel de Dijon a été confrontée à cette question1. Après avoir acheté un immeuble, une personne avait apporté un an plus tard sa nue-propriété à une SCI préalablement constituée avec ses enfants, puis donné à ses enfants en pleine propriété la quasi-totalité des parts reçues en échange de son apport. Il s’agit d’une donation-cession couramment utilisée en gestion de patrimoine. Deux années après la donation, le donateur, qui s'était réservé l'usufruit de l'immeuble, renonce à ce dernier par acte notarié. L'administration fiscale se manifeste alors, notifiant à la SCI un redressement fiscal fondé sur la requalification de l'abandon de l'usufruit en donation indirecte au profit de la SCI. Le redressement est réalisé au titre des droits de donation au taux de 60 %. La Cour d’appel de Dijon considère que l'abandon d'usufruit, réalisé sans contrepartie au profit de la société, lui permet de devenir sans bourse délier plein propriétaire de l'immeuble. Selon la cour d'appel, il y a bien eu en l'espèce donation à la SCI. Selon Renaud MORTIER la solution de la Cour d’appel de Dijon mérite la cassation car si la donation indirecte existe bien, l’élément matériel étant caractérisé par l’appauvrissement du donateur et l’enrichissement corrélatif du donataire, l’élément intentionnel n’est pas ici caractérisé, car le donateur n’a pas eu l’intention de donner l’usufruit à la société mais bien plutôt à ses enfants. Si le raisonnement peut être suivi d’un point de vue patrimonial, il sera difficile à admettre d’un point de vue juridique, sauf au donateur de pouvoir apporter la preuve de ce que son intention était d’allotir ses descendants dans l’acte qui a été consenti. Car la jurisprudence de la Cour de cassation s’est « durcie » des derniers mois sur cet aspect2 ! La preuve du transfert patrimonial sans contrepartie pèse sur celui qui invoque l’existence d’une libéralité. Mais la loi présume l’existence d’une libéralité en cas de vente avec réserve d’usufruit consentie à un successible en ligne directe (art. 918 C. Civ. = présomption irréfragable). Mais l’élément matériel n’est pas en lui-même et à lui seul suffisant, un achat heureux à un prix avantageux ne représente pas une libéralité si le vendeur n’a pas eu l’intention de procurer cet avantage, il faut donc en plus de l’élément matériel un élément intentionnel. II. L’élément intentionnel C’est l’intention libérale (ou animus donandi ou animus testandi) qui sert à qualifier les actes douteux. Ce qui importe de la part du disposant, c’est l’intention de gratifier le bénéficiaire de la libéralité. L ’élément intentionnel, c’est la conscience et la volonté de ne pas recevoir de contrepartie, encore une fois, si le sacrifice économique est inconscient et non voulu, il n’y a pas de libéralité. 1 CA Dijon, 1ere ch. civ., 5 mai 2011 N° 10/009730 Droit des sociétés janvier 2012, comm. « du risque de l’interposition sociétaire dans une donation » Renaud MORTIER 2 Voir les développements concernant l’élément intentionnel de la libéralité et les derniers arrêts de la Cour de cassation relatifs à la caractérisation obligatoire de l’intention libérale 3 Cass. Com. 19 décembre 2006 – N° de pourvoi 05-17086 et Cass. Civ. 1ere, 30 septembre 2009 N° de pourvoi 08-17919 Droit de la famille novembre 2009 comm. 144 note Bernard BEIGNIER Une dame a remis deux chèques à son expert comptable pour la somme de 1 050 000 F . L’administration fiscale veut requalifier cet acte en donation. La cour de cassation ne reçoit pas la demande car les juges du fond ont démontré que les chèques avaient été remis en contrepartie d’un travail fourni. Il n’y a donc pas d’intention libérale Depuis le début 2012, la Cour de cassation regarde de manière très stricte cet élément intentionnel dans les libéralités. Par quatre arrêts du 18 janvier 2012, la première chambre civile de la Cour de cassation insiste sur l’obligation pour les magistrats du fond d’établir l’existence et la réalité de l’intention libérale pour que la qualification de donation puisse être retenue. Puis elle rappelle cette nécessité dans deux décisions du 1er février et une autre du 15 février 2012. Ces solutions ont été rappelées dans deux nouveaux arrêts, le premier du 4 juillet 2012 et le seconde du 26 septembre 20125. Cette solution s’inscrit dans la durée puisque par plusieurs arrêts de 2013 et 2014, la Cour de cassation a confirmé sa position concernant la preuve de l’intention libérale. Comme le précise Jérôme Casey, « la jurisprudence de la Cour de cassation fluctue entre sévérité maintenue et souplesse retrouvée, donnant une impression générale de flou, voire de contradiction ». Pour preuve deux décisions des 19 mars 2014 et 25 janvier 2014 peuvent être citées. Ces décisions sont confortées par deux décisions du 21 octobre 2015 Cette exigence de la Cour de cassation est liée aux conséquences encourues lorsque l’acte sera qualifié de donation. Cette dernière est alors susceptible d’être rapportée à la succession pour rétablir l’égalité entre les héritiers. Cette conséquence conduit la Cour de cassation à plus de vigilance. Pourtant, refuser de considérer certains actes effectués par les parents à l’égard de certains de leurs enfants comme des donations conduit à une rupture évidente d’égalité entre les différents héritiers. Dans une décision du 11 septembre 2013, la Cour de cassation est venue préciser que le fait de ne pas considérer l’acte comme une donation, puisqu’il n’y a pas d’intention libérale de prouvée, ne conduit pas automatiquement et nécessairement à l’obligation de restituer les sommes versées par le bénéficiaire. La preuve de l’intention libérale doit être rapportée distinctement de celle de l’élément matériel. Elle incombe à celui qui l’invoque et peut être prouvée par tout moyen (en effet, il s’agit de prouver un fait et non un acte juridique). T outefois il existe des indices privilégiés : - la qualification retenue par le disposant, surtout lorsque le formalisme légal a été respecté, - Dans une décision de la chambre mixte de la cour de cassation en date du 21 décembre 2007, les magistrats ont décidé que « un contrat d'assurance-vie peut être requalifié en donation si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné révèlent la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable ». En l'espèce, le souscripteur qui, depuis 1993, se savait atteint d'un cancer, avait souscrit en 1994 et 1995 des contrats d'assurance-vie dont les primes correspondaient à 82 % de son patrimoine. T rois jours avant son décès, il avait désigné comme seule bénéficiaire la personne qui était depuis peu sa légataire universelle. La cour de cassation en a déduit que « en l'absence d'aléa dans les dispositions prises compte tenu du caractère illusoire de la faculté de rachat et de l'existence chez l'intéressé d'une uploads/S4/ droit-des-successions-et-des-liberalites.pdf

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  • Publié le Jul 30, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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