Numéro du rôle : 5737 Arrêt n° 164/2014 du 6 novembre 2014 A R R E T ________ E

Numéro du rôle : 5737 Arrêt n° 164/2014 du 6 novembre 2014 A R R E T ________ En cause : la question préjudicielle relative à l’article 2262bis, § 1er, alinéas 1er et 2, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Termonde. La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : * * * 2 I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 10 octobre 2013 en cause de Dirk Cobbaut contre Monique Meeremans, en présence de Katrien Cobbaut et de Frank Cobbaut en tant que parties en intervention volontaire, dont l’expédition est parvenue au greffe de la Cour le 28 octobre 2013, le Tribunal de première instance de Termonde a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 2262bis, § 1er, alinéa 1er, et 2262bis, § 1er, alinéa 2, du Code civil violent- ils les articles 10 et 11 de la Constitution belge, en ce qu’ils violent l’égalité entre les justiciables dans la mesure où le délai de prescription décennal inscrit à l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil est interprété en ce sens qu’il prend cours à compter de la naissance de l’action, indépendamment du fait d’avoir connaissance de cette action, alors que le délai de prescription d’une action fondée sur une faute, prévu par l’article 2262bis, § 1er, alinéa 2, du Code civil, ne prend cours qu’à partir du moment où la victime a connaissance de son dommage et de l’identité de la personne responsable ? ». Des mémoires ont été introduits par : - Dirk Cobbaut, assisté et représenté par Me C. Glas, avocat au barreau d’Audenarde; - Monique Meeremans, assistée et représentée par Me J. Van Heetvelde, avocat au barreau de Gand; - Katrien Cobbaut et Frank Cobbaut, assistés et représentés par Me S. De Bosschere, avocat au barreau de Gand; - le Conseil des ministres, assisté et représenté par Me S. Ronse et Me M. Gees, avocats au barreau de Courtrai. Le Conseil des ministres a également introduit un mémoire en réponse. Par ordonnance du 27 mai 2013, la Cour, après avoir entendu les juges-rapporteurs T. Merckx-Van Goey et F. Daoût, a décidé que l'affaire était en état, qu’aucune audience ne serait tenue, à moins qu’une partie n’ait demandé, dans le délai de sept jours suivant la réception de la notification de cette ordonnance, à être entendue, et qu’en l’absence d’une telle demande, les débats seraient clos le 18 juin 2014 et l’affaire mise en délibéré. Aucune demande d’audience n’ayant été introduite, l’affaire a été mise en délibéré le 18 juin 2014. Les dispositions de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle relatives à la procédure et à l’emploi des langues ont été appliquées. 3 II. Les faits et la procédure antérieure Dirk Cobbaut et Monique Meeremans ont divorcé par consentement mutuel le 14 juin 1996. Dans la convention notariée préalable, Dirk Cobbaut a renoncé à la moitié indivise de l’usufruit de l’habitation familiale au profit de Monique Meeremans. Il s’est également engagé à faire don de sa moitié indivise de la nue-propriété à ses deux enfants, Frank et Katrien Cobbaut, dans le mois suivant le prononcé définitif du divorce. Par citation du 23 avril 2012, Dirk Cobbaut a réclamé la sortie d’indivision en ce qui concerne la nue- propriété. A titre de demande reconventionnelle, les parties en intervention volontaire, Frank Cobbaut et Katrien Cobbaut, réclamaient qu’il soit dit pour droit que Dirk Cobbaut leur ferait don de sa moitié indivise de la nue-propriété, conformément à la stipulation pour autrui contenue dans l’acte de divorce. Le juge a quo constate que cette demande reconventionnelle est prescrite, étant donné qu’en vertu de l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, les actions personnelles sont prescrites par dix ans. Il estime que ce délai de prescription prend cours au moment où l’action devient exigible, même si le bénéficiaire n’a pas connaissance, à ce moment, de la stipulation pour autrui. Vu que le délai de prescription d’une action fondée sur la responsabilité extracontractuelle ne débute, en revanche, qu’au moment où la victime a connaissance du dommage et de l’identité de la personne responsable, conformément à l’article 2262bis, § 1er, alinéa 2, du Code civil, le juge a quo pose la question préjudicielle reproduite plus haut. III. En droit - A - Point de vue de Monique Meeremans A.1. Une partie à un contrat a toujours connaissance du droit d’action qu’elle puise dans ce contrat au moment où celui-ci est conclu. Tel ne serait pas le cas, en revanche, lorsque le droit d’action découle d’une stipulation pour autrui, étant donné que, par définition, le bénéficiaire n’est pas partie au contrat. La disposition en cause devrait dès lors recevoir une interprétation conforme à la Constitution, en ce sens que le délai de prescription applicable aux actions personnelles ne prend cours qu’à compter du jour où les personnes concernées ont connaissance de leur droit d’action. Point de vue de Katrien et Frank Cobbaut A.2. Dans l’interprétation selon laquelle une action personnelle se prescrit par dix ans à compter de sa naissance, la disposition en cause serait incompatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination, en ce qui concerne le statut des bénéficiaires d’une stipulation pour autrui, étant donné que le délai de prescription d’une action fondée sur la responsabilité extracontractuelle ne prend cours qu’à compter du jour où la victime a connaissance de son dommage et de l’identité de la personne responsable. Point de vue de Dirk Cobbaut A.3.1. La convention préalable rédigée dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel serait soumise aux règles du droit des obligations. Par conséquent, les droits personnels découlant de ce type de convention se prescrivent par dix ans à compter de la naissance du droit d’action. A.3.2. La disposition en cause ne violerait pas le principe d’égalité et de non-discrimination, étant donné que l’objet du délai de prescription visé à l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil diffère de celui du délai de prescription visé à l’article 2262bis, § 1er, alinéa 2, du même Code. Les délais de prescription à 4 proprement parler sont différents, le premier étant fixé à dix ans et le second à cinq ans seulement. La différence entre les points de départ des deux délais de prescription serait également justifiée. Point de vue du Conseil des ministres A.4.1. La question préjudicielle reposerait sur la prémisse erronée selon laquelle le délai de prescription des actions fondées sur la responsabilité extracontractuelle prend toujours cours au moment où la victime a connaissance de son dommage et de l’identité de la personne responsable. Il conviendrait toutefois de distinguer le délai de prescription absolu applicable aux actions fondées sur la responsabilité extracontractuelle, visé à l’article 2262bis, § 1er, alinéa 3, du Code civil, du délai d’acquiescement applicable à de telles actions, visé à l’article 2262bis, § 1er, alinéa 2, du Code civil. Le délai absolu de vingt ans applicable aux actions fondées sur la responsabilité extracontractuelle prendrait également cours à la date de l’acte qui est à l’origine du dommage, alors que seul le délai d’acquiescement de cinq ans prendrait cours au moment où la victime a connaissance du dommage et de l’identité de la personne responsable. A.4.2. Un droit d’action fondé sur la responsabilité contractuelle ne serait pas comparable à un droit d’action fondé sur la responsabilité extracontractuelle, étant donné que la nature du droit d’action et le statut juridique du titulaire de ce droit diffèrent. La responsabilité contractuelle implique en effet qu’on agisse en exécution d’une obligation ayant fait l’objet d’une promesse qui n’a pas été respectée, alors que la responsabilité extracontractuelle vise à la réparation par équivalent d’un dommage causé, en l’absence de tout lien contractuel. La stipulation pour autrui constituerait, en outre, une figure juridique sui generis, en ce qu’elle ne ferait naître aucun rapport juridique contractuel entre le promettant et le bénéficiaire, ni entre le stipulant et le bénéficiaire. La stipulation pour autrui ne saurait du reste être révoquée par le stipulant tant que le bénéficiaire n’a pas déclaré vouloir en faire usage. Le critère de la connaissance de la stipulation pour autrui par le bénéficiaire ne serait du reste pas un élément constitutif. A.4.3. La réforme des règles de prescription par la loi du 10 juin 1998, adoptée à la suite de l’arrêt n° 25/95 de la Cour, du 21 mars 1995, tendrait à un équilibre entre l’intérêt de la personne lésée à ne pas voir prescrire son action avant d’en avoir connaissance et celui de la personne responsable à ne pas pouvoir être inquiétée trop longtemps. A.4.4. Le fait de prévoir des règles de prescription différentes pour les actions contractuelles en réparation et pour les autres actions contractuelles ferait naître de nouvelles discriminations. uploads/S4/ exceptie-de-ne-stipulatie-pentru-altul-belgia-cc-164-din-2014-de-adm.pdf

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  • Publié le Oct 16, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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