1 Le droit des accidents du travail au XIXe siècle F. Hordern * Aux alentours d
1 Le droit des accidents du travail au XIXe siècle F. Hordern * Aux alentours de 1880, la concentration industrielle, le machinisme et le développement du travail au rendement augmentent le nombre d’accidents du travail. Un débat très large est alors engagé à la chambre des députés et, pendant dix huit ans on va présenter, discuter, voter des projets qui seront toujours modifiés et rejetés par le Sénat pour enfin aboutir à une loi en 1898 (1). Mais dans tout le cours du XIXe siècle, les accidents du travail posent aux juristes de difficiles problèmes, car il s’agit d’événements involontaires et imprévisibles, se confondant avec le cas fortuit ou la force majeure, mais qui résultent de l’activité humaine et se produisent dans un milieu créé par l’homme et qu’il peut modifier. Ils apparaissent donc comme son fait et appellent réparation (2). La jurisprudence des tribunaux civils est obligée de trouver des solutions aux problèmes posés. Elle doit se prononcer sur ce qu’est un accident, sa nature, ses causes, son caractère fatal ou condamnable, irrésistible ou délictuel et sur la nature des relations et des obligations qui liaient patrons et ouvriers avant son apparition. La théorie contractuelle La jurisprudence va évoluer dans des sens contradictoires au cours du XIXe siècle. Entre 1836 et 1839 des cours d’appel refusent réparation lors d’accidents du travail au motif que le contrat de louage de services se résume dans le seul échange d’un salaire contre un service. Il n’y a pas d’autre obligation juridique entre patron et salarié et l’existence du contrat suspend l’applicabilité des règles de la responsabilité civile de droit commun dans leurs rapports (3). Cela prive l’ouvrier victime d’un accident de tout recours juridique contre son patron, mais c’est dans la ligne des grands principes juridiques du code civil. Le contrat de louage de services comme tout contrat engage deux personnes également libres qui sont supposées avoir contracté librement. S’étant engagées en connaissance de cause, elles sont censées assumer les risques de leurs engagements. Par le contrat l’ouvrier a « accepté les chances de danger que le travail peut comporter (4) et le « maître s’est affranchi par le salaire promis des chances de travail » que les salariés ont acceptées (5). Cette interprétation du contrat de louage de services réduit au seul échange d’un salaire contre un service, restera celle des tribunaux jusqu’à la fin du XIXe siècle. « Entre les hommes libres, égaux en droit, le contrat de louage d’ouvrage et d’industrie porte exclusivement sur la quantité, la qualité, la rémunération, à effectuer »(6). On ne peut pas fonder un droit d’indemnisation des ouvriers victimes d’accidents du travail sur le contrat de louage. De plus, cette interprétation fonde une doctrine de l’accident qu’on peut appeler du « risque contractuel », première version de la théorie du risque individuel qui sera soutenue tout au long du XIXe siècle par les économistes et publicistes libéraux. Ils l’opposent à ceux qui, dans les années 1880, voudront inscrire dans le contrat de louage de services une clause selon laquelle le patron s’engagerait à garantir ses ouvriers contre les accidents pouvant leur survenir à l’occasion du travail. Le risque qu'il court est un élément même du service qu'il va rendre écrit Desjardin en 1888, tandis qu'Hubert Valleroux en 1895 écrit : "le patron doit à l'ouvrier l'équivalent de son travail et non autre chose (7). Aussi en cas d'accident, l'ouvrier n'a pas de recours contre son propre patron. L'indemnisation de l'ouvrier accidenté doit alors se faire selon le droit positif et il n'y a pas de problème spécifique des accidents du travail * texte extrait, avec l’autorisation de l’auteur, des cahiers n° 3 de l’Institut régional du travail de l’Université d’Aix-Marseille II, 1991, Aix-en-Provence. 2 La théorie de la faute Le 21 juin 1841, la cour de cassation change de jurisprudence et décide que l’ouvrier, en cas d’accident du travail, a bien un recours juridique contre son patron, non pas en raison du contrat, mais par application de l’article 1382 du code civil. La jurisprudence est alors fixée jusqu’à la loi du 9 avril 1898 (8). L’employeur a une obligation de sécurité à l’égard des salariés qui est d’ordre public. Il n’y a donc pas seulement un rapport salarial dans le contrat de louage de services. Le patron doit à l’ouvrier plus que son salaire. C’est cette obligation supplémentaire qui va fonder le droit du travail par l’instauration d’un nouveau contrat qu’on appellera contrat de travail à la fin du siècle. L’ouvrier a un recours juridique contre son patron et les tribunaux reçoivent donc un certain droit de regard sur l’usine qui va ainsi rentrer dans le droit commun de la sécurité. Cette obligation découle des articles 1382 et 1383 du code civil, qui sont d’ordre public. Mais la théorie de la faute de l’article 1382 laisse sans réparation tout ce qui est le fait du hasard : la force majeure, le cas fortuit, la cause inconnue (9). La jurisprudence de la Cour de cassation déclare que la responsabilité du patron est purement délictuelle, c’est-à-dire qu’elle a pour base, non pas le contrat de louage de services, mais uniquement le délit ou le quasi-délit, imputable au patron selon l’article 1382 (10). Dans ce système le fardeau de la preuve appartient à l’ouvrier demandeur en indemnité. Celui-ci doit être débouté de son action s’il ne parvient pas à fournir la preuve complète et directe de la faute alléguée. Or dans le plus grand nombre d’accidents on ne trouve pas de faute comme cause directe ou perceptible. Le rapport présenté à la Chambre par Duché le 28 décembre 1887 adopte 68 % de cas sans faute et celui de Maruejouls en 1898, 55 % des cas. D’après P.J. Hesse, sur 662 cas répertories à la Préfecture de Nantes de 1880 à 1894, plus des trois quarts sont qualifiés « accidentels », c’est-à-dire sans responsable désigné (11). Aussi dans la plupart des cas l’ouvrier blessé, invalide ou sa famille lorsqu’il meurt, se retrouve sans ressource parce qu’on n’a pas trouvé de faute à l’origine du dommage. Si on y ajoute les cas où la victime était en faute, même légère et les cas où la famille n’ose pas entamer une procédure par peur du tribunal, il y a probablement quatre vingt dix pour cent des accidentés qui ne touchent aucune réparation. C’est pourquoi la jurisprudence doit beaucoup composer avec la notion de faute si elle veut assurer une certaine couverture des dommages dont les ouvriers sont victimes (12). Nous manquons d’études précises sur l’évolution de la jurisprudence. Il y a des différences selon les régions et les degrés de juridiction, mais il semble que les juges cherchent à qualifier largement les fautes pour pouvoir indemniser les victimes. Cela ne donne satisfaction ni aux employeurs ni aux salariés et permet trop d’interprétations contradictoires. Si la preuve de la faute patronale est faite, il y a réparation intégrale, mais appréciée souverainement par les tribunaux et les décisions sont variables et contradictoires. Il faut aussi que le patron soit solvable. Heureusement beaucoup de patrons sont assurés, mais alors la compagnie d’assurance prend la place du patron. Elle traite l’accident comme une affaire et cherche le plus possible la transaction. La réparation est donc très incomplète. Retour à la théorie contractuelle Contre cette thèse de la responsabilité délictuelle se développe à nouveau celle de la responsabilité contractuelle. Le patron est débiteur contractuel de sécurité et il doit pouvoir « restituer l’ouvrier, le rendre à lui-même valide comme il l’a reçu ». Si le patron ne rend pas l’ouvrier sain et sauf, il manque à ses obligations, à moins qu’il ne prouve qu’aucune faute ne lui est imputable (13). Mais ce système n’est pas satisfaisant non plus car la responsabilité contractuelle laisse l’ouvrier sans indemnité toutes les fois que l’accident est dû à un cas fortuit ou à une imprudence de sa part. La réforme est alors illusoire si elle consiste à déplacer seulement le fardeau de la preuve. C’est l’exemple belge et suisse. Le système allemand lui, tend à substituer à la responsabilité un principe nouveau, celui du risque professionnel. C’est le seul qui permette de garantir efficacement l’ouvrier contre le risque d’accident. 3 La thèse de l’obligation contractuelle ne peut être tirée ni du code civil, ni de l’intention exprimée des parties (l4). En effet ou bien on fait du contrat de louage un contrat spécial qui échappe au droit commun de l’article 1134 du code civil et il faut alors qu’il contienne en lui-même des dispositions impératives telle que l’obligation de sécurité : ou bien on fait de l’ouvrier une chose privée de volonté et on assimile le louage de services au louage de choses ou au transport de marchandise, mais de cela on ne veut pas. Responsabilité pénale de l’employeur De 1890 à 1899 le nombre d’affaires pénales traitées par les tribunaux et liées aux accidents du travail augmente fortement par suite de poursuites engagées pour homicides ou coups et blessures volontaires (15). Le code pénal sanctionne celui qui uploads/S4/ fwo-xlc-8-ejhf-eyb-7-g-193.pdf
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- Publié le Sep 05, 2022
- Catégorie Law / Droit
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