Version pré-éditoriale – Ne pas citer 1 Marie HOULLEMARE (Université de Picardi

Version pré-éditoriale – Ne pas citer 1 Marie HOULLEMARE (Université de Picardie Jules Verne - Amiens) L'art du plaidoyer, entre libre parole et autorité de l'avocat (France, XVIe siècle) L’Etat est-il capable, au XVIe siècle, d’entendre et d’intégrer les critiques à son fonctionnement ? C’est le propre du conseiller du prince de pouvoir légitimement le critiquer, c’est le fondement, notamment, des remontrances parlementaires, les magistrats se présentant comme la voix de Raisoni. La liberté de parole est limitée à un groupe averti et compétent, afin d’éviter les débordements de la licence populaire. Dans ce cadre général, le Parlement de Paris, institution judiciaire et politique à la fois est un lieu de délibération, d’exploration des options contraires, dans le but d’adopter une décision juste. Mais il n’existe pas alors de texte donnant de définition précise de ce que peut dire ou non le défenseur d’un intérêt particulier : l’avocat. Sa liberté de parole est une simple pratique, qui se heurte parfois à une réaction violente du pouvoir royal. Cette tension existant pour l’avocat entre le respect du monarque et la défense de son client peut être étudiée à partir de quelques situations dans lesquelles des avocats critiquent la décision politique, à l’occasion de procès, qu’il s’agisse de l’enregistrement du concordat de Bologne ou de certains impôts, et s’exposent ainsi à des représailles du roi. De tels conflits permettent de rendre explicites les tensions autour de la légitimité implicite de la parole de l’avocat. En 1581, l’avocat parisien Simon Marion plaide devant le Conseil du roi, contre l’italien Ruscellai, fermier de la gabelle. Il est l’avocat du duc de Nevers et de plusieurs communautés d’habitants du Nivernais s’opposant à l’obligation d’acheter dans les greniers à sel du roi un minimum annuel défini par les agents du roi. Le procès porte donc sur la perception des impôts indirects, par un Italien dans une période d’anti- italianisme et à un moment où les finances royales sont désastreuses. On connaît ce procès par le récit de Pierre de L’Estoile, qui rapporte que, devant le roi Henri III, Simon Marion critique ouvertement les expédients financiers du monarque : il est « blâmé d’avoir trop hautement et librement parlé en la présence du Roy contre les nouvelles daces et impôts »ii. La réaction d’Henri III est immédiate : le Roi, « trouvant ses propos fort piquans, le chassa en colere, et voulut même l’envoyer à la Bastille ». De son point de vue, il n’est pas légitime qu’un particulier critique publiquement sa politique. Cependant, sa réaction oblige les membres du conseil royal à expliciter pour lui les fondements de la liberté de parole des avocats : fait unique, on éclaire alors le roi sur le fonctionnement de l’institution parlementaire : quelques seingneurs du Conseil remonstrèrent à Sa Majesté quelle estoit la liberté des advocats plaidans au barreau du Parlement de Paris, ausquels on permettoit dire souvent des propos qui, hors de là, eussent semblé trop hardis, voire punissables, mais qu’on avoit accoustumé de tolérer, pource qu’ils servoient à esclaircir et soustenir le droit de la cause qu’ils plaidoient.iii Même le souverain doit accepter cet usage, reconnu comme nécessaire pour éclaircir le droit de chacun devant la justice. Malgré cela, le roi fait suspendre Marion pendant un an, mais, dès le lendemain, il revient sur sa décision sans qu’on connaisse précisément la raison qui l’emporte dans sa décision. La reconnaissance de ce droit de parole est une grande victoire personnelle de Simon Marion dont on notera le fait qu’il acquiert de son vivant la réputation de « Cicéron français ». Pierre de L’Estoile conclue son récit en remarquant que le fermier en resta « rudement baffoué et injurié en la présence du Roy par Marion, qui l’avoit accoustré de toutes ses façons »iv. L’important n’est pas que le Version pré-éditoriale – Ne pas citer 2 fermier ait gagné son procès, mais que son adversaire ait pu le critiquer publiquement, l’injure étant alors un crime grave. Surtout, cette situation est révélatrice d’une caractéristique occasionnelle du plaidoyer de l’avocat : cette pratique fondamentalement juridique peut devenir une prise de parole véritablement politique. La raison en est double : d’une part est politique ce qui est dit devant le roi ; d’autre part ce qui touche à sa décision. L’épisode est donc révélateur des tensions autour de la liberté de parole de l’avocat. Sa légitimité, par définition rattachée à l’institution parlementaire, s’appuie sur différents principes définis essentiellement par les magistrats. A partir du XIIIe siècle, l‘avocat est chargé de faire passer l’affrontement armé (le duel judiciaire) à une confrontation pacifique, verbale ou écrite, dans un cadre ritualisé et organisé par la procédure judiciaire. Sa fonction est de « conseiller les parties aux différens qui naissent naturellement entre les hommes, et [...] les assister de leur parole ou de leur plume en la poursuite ou défense de leurs droicts »v. La liberté de parole est donc nécessaire à sa mission. Elle est communément admise au parlement à la fin du XVe siècle. Ainsi, il est rappelé en 1535 par l’avocat du roi qu’« on n’a jamais acoustumé intimider les advocats pour les empescher dire ce qu’ilz voyoient servir à leur cause, ymo ils ont tousjours eu ceste liberté, dont parle Quintilian, en traictant de l’office de l’Avocat, c’est assavoir de dire quicquid pertinere ad firmamentum cause vident »vi. Cependant il arrive qu’un plaidoyer mécontente les plaideurs, et il n’est pas rare au XIVe siècle encore qu’un avocat soit l’objet d’injures ou de menaces, sanctionnées par les autorités judiciaires. Il doit être attentif à ne pas diffamer son adversaire, sous peine d’amende. Cependant, la limite principale de sa liberté réside dans la mise en cause de l’autorité du roi, qui constitue un sacrilège en même temps qu’un crime de lèse-majesté. Affirme ainsi le procureur du roi Lemaistre en 1490 : « n’appartient à aucun de le contredire, ymo, quand l’on fait le contraire, c’est incidere in sacrilegium et in crimen lese majestatis »vii. Cette libre parole est aussi réglée par le temps de la procédure : ce n’est que dans le cadre d’un procès précis que l’avocat peut s’exprimer librement. Rappelons qu’il intervient dans les procès civils, et non criminels, à l’issue de l’administration des preuves. Les avocats des deux parties interviennent chacun leur tour et ont un droit de réponse (réplique et duplique, les tripliques disparaissant progressivement dans la première moitié du siècle), avant que l’avocat du roi ne prononce son réquisitoire. L’avocat des parties doit donc adapter son discours à son auditoire : une chambre du parlement. Il plaide habituellement devant des magistrats, réunis pour juger son procès, et éventuellement un public secondaire, composé de badauds, à moins que l’affaire ne soit plaidée à huis-clos. Sa parole n’est donc, effectivement, légitime que dans le cadre précis de l’audience parlementaire : ainsi Jean Bochard, avocat spécialisé dans les affaires religieuses, parle très librement pendant une assemblée de l’hôtel de ville en 1526, pendant laquelle il s’élève contre tout paiement de tribut aux Anglais. Envoyé en prison, il est suspendu pendant un an et exclu définitivement de l’Hôtel de villeviii. La licence avec laquelle il a critiqué le roi rejaillit sur son activité professionnelle, qui lui est momentanément interdite. De même en 1581, lorsque ses conseillers lui expliquent qu’il doit accepter les critiques de Simon Marion, le roi lui reconnaît le droit d’être critique, mais uniquement lorsqu’il plaide au parlement, pas devant le conseil du roi : « Dont toutefois le Roy ne se pouvoit contenter, disant que le lieu de son conseil, où il étoit, n’étoit le barreau des avocats du Palais ; et qu’on le devoit autrement respecter »ix. Henri III dénie ainsi toute légitimité à la liberté de parole politique de l’avocat, qu’il veut faire interdire de plaider pour un an. Le discours doit répondre à un souci de convenance, c’est à dire d’adaptation à la dignité Version pré-éditoriale – Ne pas citer 3 de l’auditoire : la liberté de ton adoptée devant le Parlement n’est pas de mise au Conseil du roi. Dans cette perspective, la libre parole de l’avocat apparaît ainsi comme uniquement réservée au cadre parlementaire et non susceptible d’être diffusée hors de l’institution. Il en va de même pour les magistrats, qui disposent de la même liberté dans leurs délibérations politiques, lors des débats autour de l’enregistrement des édits royaux. Chacun leur tour, les magistrats expriment alors oralement et librement, en théorie du moins, leur opinion, avant que la décision finale ne les engage tous. La liberté de parole est légitime dans la mesure où elle participe d’un processus délibératif. En dehors du cadre juridique, la parole critique est diffamatoire. Dernier élément caractéristique de cette liberté parlementaire, la parole de l’avocat s’inscrit dans un cadre éthique et rhétorique. Elle est fortement encadrée par des règles explicites, édictées dans les ordonnances royales et rappelées régulièrement par les magistrats, lors des séances de rentrée ou lors des séances de discipline appelées mercuriales. Définies une première fois dans une ordonnance de 1345, elles sont reprises dans nombre de textes uploads/S4/ l-x27-art-du-plaidoyer-entre-libre-parloe-et-autorite-de-l-x27-avocat 1 .pdf

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  • Publié le Mar 08, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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