1 L’enquête policière entre les impératifs de l’ordre public et de la sécurité

1 L’enquête policière entre les impératifs de l’ordre public et de la sécurité et les exigences des droits de l’Homme -Analyse du régime procédural en vigueur – Abdelaziz EL HILA* Introduction C’est un lieu commun de dire qu’une bonne procédure pénale est celle qui s’efforce de concilier au mieux sécurité et équité, intérêts de la société et droits de l’individu; celle qui parvient donc, à « tenir compte de la double nécessité d’assurer l’efficacité de la répression et de garantir les libertés des citoyens ». Cet axiome, déjà expressément énoncé dans la note de présentation du premier code de procédure pénale du Maroc indépendant(1), est aujourd’hui on ne peut plus clairement formulé dans le préambule du nouveau code entré en vigueur depuis le premier octobre 2003(2). Ainsi, la révision accomplie y est justifiée par le double souci « d’assurer les conditions d’un procès équitable et de respecter les liberté et les droits individuels conformément aux normes internationales, d’une part, et de préserver l’intérêt général et l’ordre public, d’entre part »(3). L’enjeu est de taille et le défi est considérable quand on sait que la question des droits de l’Homme- et particulièrement des droits de l’Homme aux prises avec la police et la justice- est plus que jamais à l’ordre du jour et que le Maroc s’est résolument inscrit dans une dynamique de promotion et de protection de ces droits ; mais aussi quand on sait que l’insécurité gagne du terrain au point de franchir la cote d’alarme sous le poids d’une criminalité galopante et protéiforme contre laquelle il est impératif de doubler de vigilance et de réagir efficacement. De là, à peine est-il besoin de dire qu’il ne s’agit pas de raisonner en termes de dilemme ou de priorité, mais d’équilibre et de juste mesure tant il est vrai que * Professeur à l’Université Mohamed V-Agdal- Rabat – Faculté des Sciences Juridiques , Economiques et Sociales. (1) Code du 10 février 1959 (2) Code de procédure pénale issu de la loi n° 22-01 promulguée par le dahir n° 1-02-255 du 3 octobre 2002 (BO n° 5078 du 30 janvier 2003 , p 315 et s). (3) Préambule- Trad libre. 2 le couple « sécurité-équité » ou « ordre public- droits de l’Homme » peut faire bon ménage. Equilibre et juste mesure qui sont tout l’art du législateur qui doit s’y employer au moyen d’un dispositif procédural judicieusement ajusté et aussi complet et minutieux que possible. En se limitant à la phase préjudiciaire du procès pénal ou phase de l’enquête policière (enquête préliminaire et enquête de flagrance), la présente étude se propose d’interpeller le régime procédural en vigueur à la lumière des normes internationales relatives aux droits de l’Homme mis en cause par la police judiciaire, étant étendu que cette phase « décisive »(4) et « souvent incontournable »(5)revêt une gravité particulière et doit, dès lors, être entourée « du maximum de garanties »(6). On sait, en effet, que l’enquête consiste dans l’ensemble des opérations mises en œuvre par la police judiciaire soit d’office, soit sur les instructions du ministère public(7), pour découvrir et constater les infractions à la loi pénale, en rassembler les preuves et en démasquer les auteurs. De là à souligner que les officiers de police judiciaire, en tant qu’auxiliaires de la justice, agissent avant tout comme des défenseurs de l’ordre public et de la sécurité c’est proférer une évidence. « La logique de la police, a-t-on écrit, est une logique de poursuite, de recherche de la culpabilité : elle a pour mission de trouver des coupables, pas des innocents »(8). Dès lors, il y a fort à craindre que la police judiciaire soit investie de pouvoirs fâcheusement renforcés pour lui permettre de trouver à tout prix les coupables, serait-ce au dépens de la protection de la vie privée, de la liberté individuelle et des garanties de la défense ; droits, entre autres, au nom desquels on n’a pas hésité à affirmer qu’« il vaut mieux laisser courir cent coupables que de condamner au seul innocent ». (4) Hassan Sadek EL Marsafaoui, la phase préparatoire du procès pénal en Droit Egyptien, in la protection des droits de l’Homme dans la procédure pénale en Egypte, France et aux Etats -Unies, Association Internationale de Droit pénal, ERES, 1986 p 159 et S. (5) Mohieddine Amzazi, Précis de Droit criminel, Publication A PREJ, 1994, p : 219. (6) Ibid, p 226. (7) Soit encore, lorsqu’une instruction est ouverte , sur la base d’une commission rogatoire délivrée par le juge d’instruction, hypothèse qui relève de la phase judiciaire du procès. (8 ) J. Luc Sauron, les vertus de l’inquisitoire ou l’Etat au service de ses droits, in Rev. Pouvoirs n°5 ,1990, p: 55. Dans le même sens, H.S. EL Marsafaoui, étude précitée, p 150 et S. 3 En fait, autant il est compréhensible que la police judiciaire se doive d’être dotée d’attributions appropriées, autant il est légitime d’exiger, au nom des droits de l’Homme, que ces pouvoirs soient minutieusement réglementés et assortis de garanties tellement suffisantes que le risque d’abus ou d’erreur soit des plus minimes. C’est dans cette optique qu’entend s’inscrire le régime procédural en vigueur : pour les besoins de l’enquête, mais aussi pour des considérations d’ordre public et de sécurité, les officiers de police judiciaire sont admis à s’immiscer dans la vie privé de tout individu mis en cause et à restreindre sa liberté, autrement dit à porter atteinte à deux valeurs humaines essentielles. Tout comme ils sont dotés, pour les mêmes considérations, de pouvoirs étendus à l’occasion de leurs investigations et d’une autorité déconcertante quant à leurs constatations et verbalisations à l’issue de l’enquête, et ce au mépris du principe de la présomption d’innocence, autre valeur humaine essentielle. Mais, en contrepartie, non seulement, ces pouvoirs relèvent du contrôle hiérarchique, mais aussi et surtout ils sont assortis d’un ensemble de précautions et de garanties au profit de la personne en cause. Il reste, alors, à savoir dans quelles conditions et sous quelles garanties, les officiers de police judiciaire exercent les pouvoirs qui leur sont conférés ; est-ce que le rempart édifié est suffisamment solide pour parer aux éventuels abus ? En somme, le dispositif en vigueur est-il de nature à assurer un juste équilibre entre les impératifs de l’ordre public et de la sécurité et les exigences des droits de l’Homme ? A vrai dire, un examen attentif et impartial dudit régime permet de mettre le doigt sur bien des brèches et des points de vulnérabilité qui laissent visiblement planer le risque d’abus et qui semblent, du reste, traduire le primat de la sécurité et de l’ordre public sur les exigences des droits de l’Homme. Cela peut se vérifier par rapport aux trois valeurs humaines considérées, c'est-à-dire la vie privée (I), la liberté individuelle (II) et la présomption d’innocence (III). I- Pouvoirs de la police et ingérences dans la vie privée 4 A l’échelle des droits de l’Homme, la protection de l’intimité et du secret de la vie privée découle essentiellement de l’article 12 de la déclaration universelle des droits de l’Homme(9), repris, presque mot pour mot, par l’article 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques(10). Aux termes de celui-ci « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». Cette protection internationale se double, au niveau interne, de garanties constitutionnelles et légales. Ainsi, la constitution proclame que « le domicile est inviolable » (Art 10) ; que « les perquisitions ou vérifications ne peuvent intervenir que dans les conditions et les formes prévues par la loi » (Art 10) et que « la correspondance est secrète » (Art 11). Ces garanties sont traduites légalement sous forme d’incrimination pénale de la violation illégale des valeurs protégées(11), et sous forme de réglementation des conditions et des modalités dans lesquelles des restrictions « exceptionnelles » peuvent être apportées à ladite protection notamment dans le cadre de l’enquête policière. Ces immixtions légalement autorisées dans la vie privée, peuvent, ainsi, se faire soit sous forme de perquisitions (A), soit au moyen de l’interception de communications et de courriers (B). A- La perquisition Consécutive à une visite domiciliaire ou à une visite de tout autre lieu suspect, elle consiste dans la recherche de preuves ou d’indices utiles à la manifestation de la vérité. Sa gravité tient évidemment en ce qu’elle porte atteinte à la vie privée de celui qui en est l’objet (et le cas échéant ses proches) c'est-à-dire son domicile, son intimité et sa tranquillité. Aussi, pour en limiter les effets, le dispositif procédural en vigueur s’efforce –t-il d’en organiser l’exercice. (9) Adoptée l’AG des Nations – Unies dans sa résolution 217 A (III) du 10 décembre 1948. (10) Adopté par l’AG des Nations- Unies dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966 (11) V notamment code pénal : uploads/S4/ l-x27-enquete-policiere 1 .pdf

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  • Publié le Jui 04, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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