1 « L’AUTORITE DE LA CHOSE JUGEE » Bref aperçu sur un principe de droit process
1 « L’AUTORITE DE LA CHOSE JUGEE » Bref aperçu sur un principe de droit processuel Attribuée à l’acte juridictionnel, l’autorité de la chose jugée est un principe qui consacre l’imperium du juge à travers la force de sa décision. Exprimée dans la maxime latine « Res judicata pro veritate habetur », elle désigne l’ensemble des effets affectés à la décision juridictionnelle1. Concrètement, il s’agit de « l’autorité attachée à un acte juridictionnel, qui en interdit la remise en cause en dehors des voies de recours légalement ouvertes »2. Lorsqu’elle est accordée à une décision, celle-ci doit être respectée, exécutée et tenue pour l’expression de la vérité3. Au demeurant, il s’agit certes d’un principe précis (I), mais qui, comme tout principe, est limité (II). I-Un principe précis Il sied d’examiner le principe de l’autorité de la chose juge a un double point de vue. D’une part, celui de son ancrage pluriel (A) et, d’autre part, celui de son expression duale (B). A- L’ancrage pluriel Au niveau national, le principe de l’autorité de la chose jugée trouve son ancrage tant dans le texte constitutionnel que dans les textes juridiques infraconstitutionnels. 1/Au plan constitutionnel, le texte camerounais procède à une consécration implicite du principe. Il dispose en effet que, « les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives, militaires et juridictionnelles, ainsi qu’à toute personne physique ou morale. Une décision déclarée inconstitutionnelle ne peut être ni promulguée ni mise en application »4. La Constitution gabonaise a pris une option différente, en consacrant de manière explicite le principe. Ses articles 73 et 75a disposent, en effet, que les arrêts des Cours judiciaire et administrative « sont revêtus de l’autorité absolue de la chose jugée ». 2/Au plan infra constitutionnel, le Code civil de 1804, qui apparait comme la toute première consécration normative du principe, dispose, en son article 1351, que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondé sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ». La loi n°2006/016 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême du Cameroun, à la suite de la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996, l’a implicitement consacré. Son article 88 (2) prévoit, notamment, que les décisions de la Chambre administrative statuant en appel ne sont susceptibles d’aucun recours. La loi n°2005/007 du 27 Juillet 2005 portant Code de Procédure Pénale le reconnait également en 1 G. Cornu Ass. H. Capitant, Vocabulaire juridique, 11e éd. mise à jour, Paris, PUF, 2016, p. 108. 2 S. Guinchard et Th. Debard, Lexique des termes juridiques, 25e éd., Paris, Dalloz, 2017-2018, p. 213. 3 M. Touzel – Divina, Dictionnaire de droit public interne, Paris, LexisNexis, 2017, p. 44. 4 Art. 50 al. 1 et 2 de la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. 2 son article 62(1) e) qui dispose que : « L’action publique s’éteint par : (...) La chose jugée (…) ». Au-delà de cet ancrage pluriel, le principe de l’autorité de la chose jugée connait une expression duale. B- L’expression duale L’autorité de la chose jugée a une double expression : relative et absolue. 1/Par autorité relative, il faut entendre que la décision a un effet « inter partes ». A titre d’exemple, le juge administratif conditionne l’autorité relative de la chose jugée à une triple identité : il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité5. En clair, cela signifie qu’il faut une triple identité d’objet, de cause et des parties6. Il faut aussi entendre par là que la décision rendue peut faire l’objet de recours en rétractation (révision, opposition, tierce-opposition et recours en rectification d’erreur matérielle) ou en réformation (appel et pourvoi en cassation). A défaut, elle acquiert donc autorité absolue de la chose jugée. 2/Par autorité absolue, il faut entendre par-là que la décision a un effet « erga omnes », c’est-à-dire qu’elle ne s’impose plus uniquement aux seules parties en litige. Elle s’impose même si les parties ne sont plus identiques7. En matière administrative, Carré de Malberg fait en effet savoir que, « si ces décisions s'imposent d'une façon absolue aux administrateurs, c’est précisément parce qu’elles sont tout autre chose que des actes de volonté de la part du Conseil d’État : ce qui fait leur force obligatoire, c’est qu’elles ont le caractère, non de chose voulue, mais de chose jugée. Plus exactement, les administrateurs sont tenus de les respecter et d’y conformer leurs actes, parce qu’elles émanent de l’autorité qui, d’après l’ordre juridique établi dans l’État, se trouve investie du pouvoir de trancher souverainement les difficultés que soulèvent les questions d’application et d’interprétation des lois régissant l’activité administrative, lorsque ces questions se posent sous forme contentieuse et provoquent de ce chef l’intervention d’une décision juridictionnelle »8. Cela signifie aussi que la décision n’est plus attaquable, soit parce que les voies de recours n’existent pas, soit parce qu’elles ne peuvent plus être exercées pour forclusion. Les effets de l’autorité de la chose jugée, qu’elle soit relative ou absolue, peuvent être appréhendés sur une triple dimension, à savoir la consolidation de la décision, sa force exécutoire et l’interdiction des actions en justice. 5 Arrêt n° 42-CFJ-CAY du 30 avril 1968, EKWALA EDOUBE EYANGO Stéphane c/ Etat du Cameroun Oriental ; arrêt n° 104-CFJ-CAY du 27 janvier 1970, TCHOUMBA NGOUANKEU Isaac/Etat Fédéré du Cameroun Oriental. 6 H. le Berre, Les revirements de jurisprudence en droit administratif de l’an VIII à 1998 (Conseil d’État et Tribunal des Conflits), Paris, LGDJ, 1999, p. 31. 7 R. Rouquette, Petit traité du procès administratif, 4e éd., Paris, Dalloz, Coll. « Praxis Dalloz », 2010, Paris, p. 598. 8 R. C. de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, t. 1, Paris, Rec. Sirey, 1920, p. 724. 3 En ce qui concerne la consolidation de la décision, la chose jugée fait obstacle à ce que les droits constatés par une décision de justice devenue définitive puissent être de nouveau soumis au juge9. Cela permet en effet de renforcer le crédit de la justice en prévenant contre la contrariété des décisions de justice10. L’article 184 du CPC ivoirien admet, à ce propos, la possibilité d’interprétation d’un jugement dont les termes sont obscurs ou ambigus, mais à condition que l’interprétation ne porte pas atteinte à l’autorité de la chose jugée. La force exécutoire, quant à elle, signifie que les personnes ou organes légalement habilités peuvent lui faire produire tous ses effets de droit. Enfin, l’interdiction des actions en justice signifie que plus aucun recours n’est possible, en interne en tout cas, sauf si le litige rebondit au plan international (régional ou universel). Séduisant à certains égards, et efficace à d’autres égards, le principe de la chose jugée n’est cependant pas absolu. II-Un principe limité Le principe de l’autorité de la chose jugée est intrinsèquement et extrinsèquement limité. A-La limitation intrinsèque La limitation intrinsèque du principe de l’autorité de la chose jugée consiste en une atteinte portée à la décision qui en est revêtue, soit par son inexécution, soit par son annulation. 1/La première catégorie de mesures (l’inexécution) affecte la décision dans son exécution. Ces mesures permettent à l’autorité exécutive de décider de manière souveraine11 de mettre fin à l’exécution d’une décision de justice passée en force de chose jugée. Au rang de celles-ci, on classe le droit de grâce présidentiel12, défini comme le « pouvoir de remettre ou de commuer la peine qu’un criminel doit subir en vertu d’un jugement définitif qui l’y condamne »13. Il a pour objectif de libérer le condamner de l’exécution de sa peine en lui faisant bénéficier d’une clémence présidentielle discrétionnaire. Considéré, à tort ou à raison, comme portant atteinte aux principes constitutionnels de l’autonomie du pouvoir judiciaire ainsi qu’au principe d’égalité de tous devant la loi14, il tend de plus à plus à être rejeté par les partisans de l’Etat de droit et de la démocratie15. 9 Ibid., p. 30. 10 L. Hounbara Kaossiri, « Le régime procédural de l’autorité de la chose jugée en procédure civile camerounaise : Réflexions sur une évolution jurisprudentielle de la cour suprême à partir d’un arrêt de la CCJA », ERSUMA, n°6, 11 P. Türk, « Le droit de grâce présidentiel à l’issue de la révision du 23 juillet 2008 », RFDC, Vol. 3, n° 79, 2009, p. 518. 12 Art. 8 al. 7 de la Loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. 13 Dompierre, cité par M.-S. Dupont-Bouchat, « Le crime pardonnée : la justice réparatrice sous l’Ancien Régime (XVIe-XVIIIe siècles) », Criminologie, Vol. 1, n° 32, 1999, p. 48. 14 F. Edimo, « Le droit de grâce du Président de uploads/S4/ pr-guimdo-l-x27-autorite-de-la-chose-jugee-24-mars-21.pdf
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- Publié le Apv 18, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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