COURS Xavier Bioy collection COURS Droits fondamentaux et libertés publiques •
COURS Xavier Bioy collection COURS Droits fondamentaux et libertés publiques • Cours • Thèmes de travaux dirigés 5e édition Préface de Jean-Paul Costa Collection dirigée par Bernard Beignier LMD SÉANCE 3 De la garantie des droits aux droits garanties Commentaire d’arrêt Cass., ch. crim., 28 février 2018, 17-81929 France Daumarie, Doctorante contractuelle en droit public, Université Toulouse 1 Capitole LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l’arrêt suivant : Vu l’article 593 du code de procédure pénale, ensemble l’article 224-1 du Code pénal ; Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; [...] Attendu que M. C... a déposé plainte pour séquestration et violences volontaires contre le personnel de direction le 4 octobre 2013 en exposant que ces faits avaient provoqué chez lui un choc émotionnel important ; que MM. Y... et D... ont été poursuivis, sur le fondement de l’article 224-1 du Code pénal, pour avoir arrêté, enlevé, détenu ou séquestré M. C... ; que par jugement en date du 19 novembre 2015, les prévenus ont été condamnés de ce chef ; que ceux-ci et le ministère public ont interjeté appel ; Attendu que pour caractériser la détention de M. C..., l’arrêt énonce qu’en plaçant celui-ci dans un bureau et en lui demandant d’y rester jusqu’à nouvel ordre, l’employeur lui a fait subir une contrainte morale irrésistible, l’exposant à un licenciement pour faute s’il avait voulu en partir ; que cette demande ne pouvait se rattacher aux prérogatives de l’employeur ; que M. Y... a usurpé la qualité d’officier de police judiciaire, en prenant à l’encontre de M. C... l’équivalent d’une mesure de garde à vue et en s’autorisant à procéder à une enquête, quand les faits de vol ne pouvaient la 829 justifier en l’absence d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise ou de danger grave et imminent ; Mais attendu qu’en prononçant ainsi, sans préciser les actes matériels dirigés contre la personne de M. C... qui l’auraient privé de sa liberté d’aller et de venir et alors que l’employeur, qui a connais- sance de faits répréhensibles, susceptibles d’être disciplinairement sanctionnés, peut procéder à une enquête interne et recueillir les explications de ses salariés, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ; D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ; Par ces motifs, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de cassation proposés : CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Lyon, en date du 9 mars 2017, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ; RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil DAR ; Proposition de corrigé Introduction Accroche. « La motivation des décisions de justice est fondamentalement la mémoire de la prudence » par laquelle le juge délibère, démêle le juste et l’injuste et trouve la solution du litige »1. C’est ainsi que le professeur Zenati-Castaing explique que la motivation soit devenue une obligation et, suivant, un instrument de contrôle du respect de la loi par les juges. C’est précisément ce contrôle que la chambre criminelle de la Cour de cassation a exercé le 28 février 2018 en vertu de l’article 593 du Code de procédure pénale. Ce contrôle lui permet d’apprécier la motivation des juges du fond et de censurer le manque de précision, l’insuffisance ou encore la contradiction des motifs. Faits. En l’espèce, le 24 janvier 2013, un technicien de surface est surpris par son employeur en flagrant délit de vol. Il est immédiatement convoqué, avec son équipe, dans les bureaux de la direction. Ils sont installés séparément et interrogés. À cette occasion, le voleur désigne un de ses collèges comme étant l’instigateur de ce vol et informe la direction qu’un autre individu doit venir récupérer la viande dérobée. Ces informations expliquent que la direction ait d’abord plongé l’instigateur présumé seul dans le noir, malgré sa demande de rallumer la lumière, tout en lui ordonnant de « ne pas bouger jusqu’à nouvel ordre ». L’enquête ne menant à rien, la direction décide de confronter le voleur et le salarié désigné comme instigateur. Le premier reconnaît alors être le seul responsable tandis que le second est mis hors de cause après que des excuses lui aient été présentées. Le salarié accusé à tort conteste les conditions dans lesquelles il a été interrogé par sa direction. Il dépose plainte pour séquestration et violences volontaires. Il met notamment en avant le fait qu’il a subi un « choc émotionnel important » après avoir été retenu trois heures durant dans les locaux de l’entreprise, parfois plongé dans le noir, avec pour ordre de ne pas en sortir. Procédure. Par un jugement du 19 novembre 2015, la direction de l’entreprise est condamnée sur le fondement de l’article 224-1 du Code pénal pour avoir détenu arbitrairement le demandeur. Les prévenus et le ministère public interjettent appel de cette décision. 1. F. ZENATI-CASTAING, « La motivation des décisions de justice et les sources du droit », D., 2007, p. 1553. DROITS FONDAMENTAUX ET LIBERTÉS PUBLIQUES 830 Le 9 mars 2017, la Cour d’appel de Lyon rend un arrêt confirmatif et déclare les employeurs coupables des faits de détention arbitraire suivie d’une libération volontaire avant le septième jour. Elle considère que le salarié était effectivement détenu puisqu’il subissait une contrainte morale irrésistible pour lui. Enfin, la direction forme un pourvoi en cassation. Elle invoque le moyen tiré de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, 224-1 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, à savoir, du défaut et de la contradiction de motifs. Les demandeurs font notamment valoir qu’en affirmant simultanément que l’employé avait fait l’objet d’une mesure de garde à vue et qu’il n’était pas enfermé dans un local, la Cour d’appel s’est contredite. De plus, les demandeurs considèrent que le simple fait de demander à son salarié de ne pas bouger ne peut pas caractériser une privation de liberté de quitter les lieux et qu’ils n’ont fait que mettre en œuvre leur pouvoir de direction. Solution. Le 28 février 2018, la Cour de cassation juge que la Cour d’appel n’a pas suffisamment motivé sa décision pour retenir le délit de détention provisoire étant donné que la direction de l’entreprise ne faisait que procéder à une enquête interne, un pouvoir de direction dont elle dispose. Elle casse l’arrêt du 9 mars 2017 et renvoie l’affaire à la Cour d’appel de Grenoble. Problème de droit. Par cet arrêt, la chambre criminelle est venue préciser l’étendue du « pouvoir d’enquête » des employeurs auprès de leurs salariés lorsque ceux-ci encourent le prononcé d’une sanction impactant leur présence dans l’entreprise, leur fonction, leur carrière ou leur rémunération2. Ces procédures internes se sont particulièrement développées depuis quelques années, parfois aux dépens des employeurs puisque, selon les circonstances, il peut leur être reproché de ne pas y avoir procédé. Or, du fait de l’absence de réglementations relatives à ces enquêtes, la direc- tion trop zélée s’expose, à l’inverse, à des plaintes de salariés qui penseraient avoir été malmenés. De fait, les employeurs se trouvent enserrés dans un étau juridique aux contours bien flous. C’est pourquoi, dans le cadre de la mise en œuvre de ces procédures, cet arrêt vient les protéger du délit de détention arbitraire en exigeant, pour qu’il soit retenu, une motivation accrue des juges du fond. La question posée à la Cour de cassation est donc double. D’une part, il s’agit de savoir si la seule menace implicite d’un possible licenciement suffit à caractériser une privation de liberté d’aller et venir et donc, le délit de détention provisoire. D’autre part, il est question d’interroger l’étendue du pouvoir d’enquête de l’employeur et de déterminer jusqu’où il peut aller pour recueillir les expli- cations de ses salariés. Annonce du plan. La solution apportée par la Cour de cassation sera développée en deux temps. Dans un premier temps, il sera question d’étudier la nécessité d’une motivation accrue pour retenir le délit de détention provisoire, tout en montrant qu’il s’agit d’une exigence portant unique- ment sur l’existence de l’acte restrictif de liberté (I). Puis, dans un second temps, il sera démontré que l’exigence d’une motivation accrue est circonscrite au seul pouvoir d’enquête de l’employeur, un pouvoir de direction dont la chambre criminelle va encadrer la mise en œuvre (II). 2. Code du travail, article L. 1332-2. De la garantie des droits aux droits garanties 831 I. La nécessité d’une motivation accrue pour retenir le délit de détention provisoire, une exigence portant sur l’existence de l’acte restrictif de liberté D’abord il sera question de développer l’obligation de motivation qui pèse sur les juges uploads/S4/ l3-libertes-fondamentales-corrige 1 .pdf
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- Publié le Nov 28, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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