1 LA JUSTICE TRANSITIONNELLE : UN APERÇU DU DOMAINE Par Mark Freeman et Dorothé
1 LA JUSTICE TRANSITIONNELLE : UN APERÇU DU DOMAINE Par Mark Freeman et Dorothée Marotine 1, 19 November 2007 Introduction Section 1 : l’histoire et la théorie de la justice transitionnelle Section 2 : les poursuites pénales 2.1 L’obligation de poursuivre pénalement 2.2 Les caractéristiques des poursuites pénales 2.3 Poursuites nationales ou internationales ? 2.4 La Cour Pénale Internationale 2.5 Les amnisties Section 3 : les commissions vérité et autres mécanismes d’enquête 3.1 Les commissions de vérité 3.2 Les autres mécanisme d’enquête Section 4 : les réparations pour les victimes Section 5 : les réformes institutionnelles 5.1 Le recensement et identification 5.2 Le « vetting » Section 6 : la complémentarité et la corrélation des mécanismes de justice transitionnelle Conclusion : l’avenir de la justice transitionnelle Introduction Le thème de la justice transitionnelle est apparu ces dernières années comme une des disciplines en plein essor des champs plus vastes des droits de l’homme et de résolution de conflits. Généralement, la justice transitionnelle est axée sur la manière dont les sociétés en transition de la guerre à la paix ou d’un régime autoritaire à la démocratie peuvent et ont abordé le legs des exactions massives. En théorie comme en pratique, l’objectif de la justice transitionnelle est de faire face au lourd héritage des abus d’une manière large et holistique qui englobe la justice pénale, la justice restauratrice, la justice sociale et la justice économique. De surcroît, elle est basée sur l’idée qu’une politique de 1 Mark Freeman est le Directeur du bureau de Bruxelles de l’ICTJ et Dorothée Marotine est Chargée de Programmes dans ce bureau. Ce document prend appui sur d’autres articles et des documents rédigés par Mark Freeman et sur un certain nombre de documents de politique générale et de matériel de formation rédigés par différents membres du personnel de l’ICTJ. Le document a été rédigé dans un style journalistique plutôt qu’académique pour en faciliter la consultation. 2 justice responsable doit contenir des mesures qui cherchent à la fois à établir la responsabilité pour les crimes commis dans le passé et à dissuader la commission de nouveaux crimes, en tenant compte du caractère collectif de certaines formes de victimisation, ainsi que du caractère transnational de certaines autres. La justice transitionnelle est également basée sur la conviction que l’exigence de justice n’est pas un absolu mais qu’elle doit au contraire être équilibrée avec le besoin de paix, de démocratie, de développement économique et de l’Etat de droit. Elle reconnaît également que dans des contextes de transition, il est possible qu’il y ait des limitations concrètes particulières liées à l’aptitude de certains gouvernements à adopter des mesures de justice spécifiques. Ces restrictions peuvent comprendre des ressources humaines et matérielles limitées, un système judiciaire faible ou corrompu, une paix fragile ou une transition démocratique naissante, un manque de preuves à charge, un très grand nombre d’auteurs de crimes ou de victimes ainsi que des obstacles légaux ou constitutionnels divers tels que les lois d’amnistie. Toutefois, une structure de justice transitionnelle n’aborde pas ces limitations comme une excuse à l’inaction. Elle considère en revanche, que dans un pays dont le contexte s’améliore, le gouvernement est supposé chercher en bonne foi à remédier aux injustices passées occasionnées par les précédentes restrictions. En tant que discipline professionnelle, la justice transitionnelle est essentiellement axée autour de quatre mécanismes principaux : ¾ Les poursuites pénales (par des tribunaux nationaux, internationaux ou hybrides) ; ¾ Les enquêtes visant à établir la vérité sur les exactions passées (soit via les enquêtes nationales officielles telles que les commissions vérité, soit via les commissions d’enquête internationales, les mécanismes des Nations Unies ou les efforts des ONG) ; ¾ Les réparations (compensatoires, symboliques, sous forme de restitution ou de réhabilitation) ; ¾ Les réformes institutionnelles (comprenant les réformes du système de la sécurité et les réformes judiciaires, la révocation des auteurs d’exactions des postes de la fonction publique et la formation en droits de l’homme des fonctionnaires). La discipline englobe également plusieurs questions communes à ces mécanismes, dont en particulier les thèmes de la mémoire et de la réconciliation. Section 1 : l’histoire et la théorie de la justice transitionnelle Au cours des dernières décennies, un remarquable déploiement de mécanismes judiciaires et non judiciaires a été développé et invoqué par les gouvernements démocratiques sortant de périodes de guerre ou de régimes autoritaires, allant bien au- delà des poursuites pénales nationales. Cet essor a été reconnu par les Nations Unies dans 3 un rapport du Secrétaire Général de 2004 sur le Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit2. Un grand nombre de facteurs contribuent à expliquer cette expansion spectaculaire des mécanismes, notamment le développement de systèmes de protection des droits de l’homme par les Nations Unies, l’esprit inventif du mouvement international des ONG pour la défense des droits de l’homme, les vagues successives de transitions démocratiques et post-conflit auxquelles nous avons assistées à travers le monde aux cours des dernières décennies, ainsi que la fin de la guerre froide, qui a permis d’offrir des possibilités pour une coopération internationale jusqu’ici impensable. C’est pourquoi les sociétés qui sortent aujourd’hui de périodes d’exactions massives n’ont plus besoin de composer leurs stratégies de lutte contre l’impunité hors de tout contexte, mais peuvent au contraire s’inspirer des approches mises en place et des leçons apprises ailleurs. Elles sont également en mesure de bénéficier d’une quantité appréciable de travaux académiques, journalistiques et artistiques à présent disponibles sur le sujet, de l’expertise et de l’assistance technique de nombreux groupes de réflexion, d’organisations internationales et de donateurs étrangers devenus actifs dans la discipline. Bien que ces mécanismes représentent tous des développements encourageants, les obstacles éthiques, légaux et politiques auxquels les pays sortant de crise font face sont tels que dans bon nombre de cas, les gouvernements de transition sont forcés de prendre des décisions sans qu’un choix soit nécessairement meilleur qu’un autre. L’ampleur des exactions passées et les limitations inévitables en matière de ressources humaines et financières rendent invariablement la justice ordinaire impossible. Les systèmes judiciaires étant conçus pour traiter des crimes comme des exceptions, aucun d’entre eux ne serait assez fort pour faire face à un contexte dans lequel le crime serait la règle. Par conséquent, d’autres outils que les poursuites judiciaires s’avèreront nécessaires dans la plupart des contextes transitionnels. Il en découle trois caractéristiques importantes qui, dans une certaine mesure, distinguent la justice transitionnelle comme une discipline à part entière. L’accent mis sur une approche intégrale lorsqu’il s’agit d’aborder l’héritage des abus est le premier trait distinctif. Les objectifs et les outils de justice transitionnelle vont bien au-delà de l’établissement de la responsabilité officielle pour les violations des droits de l’homme au travers des procès. La justice transitionnelle tentera en effet d’enquêter sur les crimes, d’identifier les responsables, de prendre des sanctions à l’encontre de ceux-ci, d’accorder des réparations aux victimes, d’empêcher que de futures violations des droits de l’homme ne se produisent, de reconstruire les relations Etat/citoyens, de protéger et renforcer la paix et la démocratie et d’encourager la réconciliation entre individus et au niveau national. Un second trait distinctif de la justice transitionnelle, lié au précèdent, est l’importance donnée à l’équilibre des différents intérêts en jeu dans le pays en transition. La justice transitionnelle ne plaide pas en faveur d’une justice rétroactive à n’importe quel prix, ni d’un maintien de la paix au détriment du droit à la justice des victimes, mais insiste plus précisément sur une mise en balance des différents objectifs contradictoires conformément au droit international, aux avantages et contraintes locales et à la prise de décisions sensées et justes. La justice transitionnelle ne doit pas être conçue comme une 2 Voir rapport S/2004/616 du 23 août 2004, http://www.un.org/unowa/unowa/scdocs/screports.htm 4 justice au rabais ou un substitut de justice classique, mais plutôt comme une méthodologie appropriée aux difficultés spécifiques liées à la commission de violations massives de droits de l’homme. Cette méthodologie pourra être utilisée dans des contextes variés, y compris par des démocraties établies souhaitant gérer le legs de violations commises dans un passé parfois lointain. Le troisième et dernier trait distinctif de la justice transitionnelle est l’accent mis sur une approche centrée sur la victime lorsqu’il s’agit de prendre des mesures concernant un passé violent, à la fois en ce qui concerne le processus et les résultats. La légitimité des mécanismes de justice transitionnelle est en grande partie évaluée par la manière dont les victimes s’y opposent ou les soutiennent et la mesure dans laquelle ils sont capables d’y participer et d’en bénéficier. Section 2 : les poursuites pénales 2.1. L’obligation de poursuivre pénalement Les poursuites pénales représentent une première grande catégorie des mécanismes de justice transitionnelle. L’obligation des Etats d’enquêter sur les atteintes aux droits de l’homme et de prendre des sanctions contre les personnes responsables dérive du droit international des traités et conventions, telle que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ou les Conventions de uploads/S4/ la-justice-transitionnelle-un-apercu-du-domaine-par-mark-freeman-et-dorothee-marotine.pdf
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- Publié le Mar 23, 2021
- Catégorie Law / Droit
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