La notion de procès équitable devant la Cour européenne des droits de l’homme J

La notion de procès équitable devant la Cour européenne des droits de l’homme Julie MEUNIER Signée à Rome le 4 novembre 1950, et entrée en vigueur le 3 septembre 1953, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été à ce jour ratifiée par 43 Etats. Elle garantit le droit à un procès équitable dans son article 6395, et institue, par ses articles 19 à 51, un mécanisme juridictionnel permanent, composé à l’origine d’une Commission et d’une Cour, et, depuis l’entrée en vigueur du Protocole additionnel n°11, de la seule Cour, organisée différemment. Ces organes ont pour mission de veiller au respect des droits énoncés dans la Convention par les Etats signataires, à l’égard de leurs justiciables. A travers les décisions de ces organes, la Convention a eu sur les droits nationaux des Etats signataires une influence qui n’est aujourd’hui plus à démontrer. C’est notamment le cas en ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement des systèmes juridictionnels396 : l’article 6 est depuis plusieurs années la source d’une jurisprudence européenne quantitativement397 et qualitativement importante. La Cour a été amenée à préciser le champ d’application de cet article. Notamment, elle adopte sa propre définition des termes « caractère civil » et « matière pénale » : les notions européennes sont définies de manière autonome par rapport à la qualification donnée aux différents contentieux par les droits internes des Etats membres, et ne sont donc pas identiques à celle des concepts homonymes internes. Cette autonomie des notions est un aspect fondamental de la protection européenne du procès équitable : la nature civile ou 395 « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 3. Tout accusé à droit notamment à : (a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; (b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; (c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; (d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; (e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. ». 396 Le terme « juridictionnel » doit être entendu ici au sens, qui sera précisé plus loin, que lui donne la Cour européenne. 397 Les tableaux récapitulatifs des objets des affaires, établis chaque année depuis 1999 par les services de la Cour, montrent qu’au cours des 3 dernières années la grande majorité des arrêts prononcés par la Cour concernaient l’art. 6 : une violation des dispositions de cet article était alléguée dans 131 des 177 affaires tranchées en 1999, soit dans 74% des décisions rendues par la Cour cette année-là ; il était invoqué dans 81% des affaires tranchées en 2000 (565 décisions sur 695), et dans presque 70% en 2001 (615 décisions sur 888). pénale de la procédure conditionnant l’application de l’article 6, il n’est pas envisageable de laisser la qualification interne de la procédure définir cette nature, sous peine de voir l’article 6 donner naissance à un procès équitable « à géométrie variable » selon l’Etat concerné. Seule l’adoption de notions autonomes permet d’assurer une application uniforme du droit à un procès équitable, en soustrayant ainsi la définition du champ d’application aux droits internes. Dans sa définition du « caractère civil », la Cour attache une importance particulière aux conséquences de la procédure envisagée, et a fait entrer dans le champ d’application de l’article 6 § 1, en plus du droit privé « classique », une partie des contentieux considérés comme administratifs dans plusieurs droits internes (contentieux de la responsabilité administrative398, litiges sur les pensions399 ou les salaires400…). De même, en ce qui concerne la définition européenne de la « matière pénale », la Cour, selon une méthode proche du faisceau d’indices, utilise trois critères pour déterminer la nature pénale d’une accusation : la qualification interne de la sanction, la gravité du fait ou comportement, et le but et la sévérité de la sanction, ce qui l’a conduite à y englober certaines sanctions disciplinaires, notamment pénitentiaires401, militaires402 ou ordinales403. Soulignons que, si on a longtemps pu penser que l’autonomie était à sens unique, c’est- à-dire qu’elle n’était utilisée par la Cour que lorsqu’elle permettait d’étendre le champ d’application de l’article 6 par rapport au droit interne (la notion européenne recouvrant alors la qualification interne, plus des éléments ajoutés par la Cour), on peut aujourd’hui se demander si c’est toujours le cas. Un grand nombre de matières, non pénales au sens d’un droit interne, sont entrées dans le champ d’application de l’article 6 ; mais, également, la Cour européenne a pu considérer qu’une sanction qui était pénale en droit interne ne relevait pas de la matière pénale au sens de l’article 6404. Mais l’étude du droit à un procès équitable ne s’épuise pas dans l’examen de l’application de l’article 6 de la Convention faite par la Cour européenne ou dans l’identification de l’obligation imposée par la Cour aux Etats signataires à la Convention. En créant des organes chargés de veiller à la bonne application des droits garantis, la Convention a également créé un système juridictionnel autonome, obéissant lui-même à un certain nombre de règles de procédure, et donc susceptible d’être lui aussi soumis à l’exigence de procès équitable : parce qu’elle est l’organe assurant une bonne et uniforme application de la Convention, parce qu’elle est à l’origine de règles s’imposant aux Etats, il est évidemment nécessaire que la Cour respecte elle-même, dans son fonctionnement, les « standards » dont elle est l’auteur. C’est là sans doute une des principales originalités de la protection de ce droit dans l’ordre européen : le droit au procès équitable y acquiert une double dimension. La première réside dans la qualité de procédure que la Cour européenne impose aux Etats, la seconde, dans la qualité de la procédure européenne elle-même. Et si cet article sera essentiellement consacré à la première de ces dimensions, la plus riche en développements et en frictions des systèmes, mais également la plus propice à un éventuel voyage de norme, la seconde sera également évoquée, dans la partie consacrée à l’originalité de l’espace. 398 C.E.D.H., König c. Allemagne, 28 juin 1978, série A n°27. 399 C.E.D.H., Lombardo c. Italie, 26 novembre 1992, série A n°249-C. 400 C.E.D.H., Scuderi c. Italie, 24 août 1993, série A n°265-A. 401 C.E.D.H., Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, série A n°18. 402 C.E.D.H., Engel c. Pays-Bas, 8 juin 1976, série A n°22. 403 C.E.D.H., Albert et Le Compte c. Belgique, 10 février 1983, série A n°58. 404 C.E.D.H., Escoubet c. Belgique, 28 octobre 1999, Recueil des arrêts et décisions 1999-VII.² I. Concepts génériques du procès équitable dans l’espace normatif concerné Le concept générique présent dans l’ordre européen est bien sûr celui de « droit à un procès équitable », titre que porte l’article 6 dans le texte officiel de la Convention. L’analyse de la garantie concernée ne peut cependant s’arrêter là : le texte de l’article 6 est constitué de différents éléments, et la Cour a par ailleurs considérablement enrichi ce texte, soit en apportant une définition de ces éléments, soit aussi en en déduisant des garanties « implicites ». Ce texte a donc une construction de type « gigogne » : certains de ses termes ont donné naissance à plusieurs droits ou principes, définis et délimités par la Cour, et que les procédures internes doivent respecter. Partant, seule une observation un peu précise de ces éléments permet d’identifier quel est exactement le procès équitable que la Convention et la Cour européennes des droits de l’homme protègent. A. Identification La structure même de l’article 6 permet d’identifier deux séries d’éléments du droit à un procès équitable : le premier paragraphe énonce uploads/S4/ la-notion-de-proces-equitable-devant-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme-meunier-julie.pdf

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  • Publié le Mar 05, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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