Procès équitable et enchevêtrement des espaces normatifs (Réflexions sur la pro

Procès équitable et enchevêtrement des espaces normatifs (Réflexions sur la problématique générale) Charlotte GIRARD Travailler sur la notion de procès équitable dans une perspective comparatiste implique deux angles d’attaque. Le comparatisme n’a été pendant longtemps qu’un instrument, une méthode pour la connaissance des droits. Il est devenu une méthode pour la connaissance du droit. Il permet aujourd’hui, dans le cadre de cette recherche sur le procès équitable, de révéler l’existence de normes juridiques. Il en indique enfin, dans une certaine mesure, les mouvements. De la méthode au fond, telle sera la trajectoire du voyage. A. Le procès équitable, objet de recherche en droit comparé : questions de méthode 1. Les objectifs complexes de la recherche Avant même d’entamer la recherche, encore a-t-il fallu s’accorder sur son objet. Nous avons choisi une notion qui devait être fédératrice. Et pourtant, « […] si l’on s’est accordé sur la nécessité de garantir le droit au procès équitable, aucun texte n’en donne une définition précise. Or, chaque système juridique pourrait refléter une conception du procès équitable, au regard de laquelle sont élaborées les règles de procédure, de sorte qu’il semble encore impossible d’unifier les modalités de mise en œuvre des garanties. Comme l’a écrit un auteur, « la procédure est une des matières les plus nationalistes du droit. […] ». »7 La tâche comparatiste et l’ambition d’un droit commun du procès équitable s’annoncent donc respectivement particulièrement difficiles et amples… En dépit de ces prévisions redoutables, nous avons convenu de l’existence d’une notion de procès équitable et de la possibilité d’une recherche sur les mouvements de la notion. Cette recherche s’inscrit dans le vaste programme de l’Unité Mixte de Recherche (UMR) qui examine l’articulation du droit comparé et du droit commun. Celle-ci s’oriente vers la recherche d’un droit commun. Dans le cadre plus resserré du thème du procès équitable, l’articulation droit commun – droit comparé s’illustre de façon privilégiée8 dans une réflexion de droit international privé. Le droit international privé, en ce qu’il assure la reconnaissance de jugements étrangers fait apparaître des distinctions quant aux conceptions de la justice. Il révèle le phénomène de récupération des normes internationales par les Etats. Ici le comparatiste est le juge. C’est en effet à la faveur d’un questionnement paradoxal sur les incidences de normes d’origine internationale sur des ordres internes – et notamment sur les solutions des juges 7 Laurence SINOPOLI, Le droit au procès équitable dans les rapports privés internationaux. Recherche sur le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme en droit international privé, Thèse dactyl., Paris I, 2000 ; citant, F. K. JUENGER, « La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et la courtoisie internationale, Réflexions d’un américain », Rev. crit. dr. int. pr., 1983, p. 37, spéc. p. 38. 8 Rappelons, à titre de précaution, une remarque de Rodolfo SACCO à propos de la fonction du droit comparé : « La comparaison est une science ; elle est une science pourvu qu’elle rassemble des données théoriques, indépendamment de toute utilisation pratique de ces données. En même temps, elle reste science lorsqu’on a recours à elle en vue d’une possible imitation de modèles. » R. SACCO, La comparaison juridique au service de la connaissance du droit, Economica, coll. Etudes juridiques comparatives, 1991, p. 8. nationaux – que se déploient certaines dimensions – mais sans doute pas toutes et pas toujours de façon limpide – d’une réflexion sur le procès équitable9. Afin de préciser l’objet de la recherche tenant aux mouvements du procès équitable, encore faut-il clarifier les « lieux » desquels et vers lesquels se déplace la notion. Nous avons qualifié ces « lieux » d’espaces normatifs. 2. La notion d’espace normatif La notion d’espace normatif ou espace juridique que nous utilisons doit ici être définie de façon à couper court à d’éventuels malentendus. Cette notion se veut la plus appropriée pour exprimer l’idée d’une sphère de déploiement de normes coordonnées entre elles. La notion d’espace normatif est moins rigide que celle d’ordre juridique ou de système juridique. Comme les notions d’ordre ou de système juridique, celle d’espace normatif mobilise le critère de la cohérence évoquant une certaine clôture. Pour autant l’espace normatif n’évoque pas une fermeture hermétique, puisqu’il inclut les ordres juridiques inachevés ou incomplets10. Le recours à l’espace normatif ainsi défini nous permettait d’anticiper l’ouverture et de poser l’hypothèse de communication entre les espaces ; alors que les notions connues d’ordre juridique, voire de système juridique, pouvaient apparaître antinomiques avec une telle hypothèse. L’ordre juridique interne est a fortiori un espace normatif. Mais sur le plan international, l’idée d’ordre juridique ne trouve pas à s’appliquer dans tous les cas. Le droit international constitue un système de normes, comprenant des sous-systèmes de normes, tel le droit de l’O.M.C. Ces sous-systèmes sont des espaces normatifs qu’on ne saurait réduire à des systèmes de normes. Les espaces normatifs comprennent également les institutions qui produisent et/ou appliquent les normes. Ainsi, la notion d’espace normatif permet de rendre compte d’une réalité normative et institutionnelle que les notions d’ordre ou de système juridiques risquaient d’occulter. Par ailleurs la notion d’espace normatif n’est pas un terme conventionnel – comme le sont l’ordre ou le système – renvoyant à une théorie qui limiterait peut-être le champ des possibles de cette recherche. L’espace normatif permet d’inviter dans le champ de la comparaison, le droit administratif français, la jurisprudence de la Cour internationale de Justice ou le droit anglais ; mais également les solutions du système de règlement des différends de l’O.M.C.11, des T.P.I. ou le droit russe. L’espace normatif ainsi défini n’est donc pas un système clos12. En définitive, la notion d’espace normatif permet l’ouverture, qualité recherchée en principe par les comparatistes. Il préfigure l’hypothèse de communication entre les espaces. Tout le problème étant de savoir ce qui fera l’objet de la comparaison et donc de savoir si cette communication, lorsqu’elle est constatée, est le fruit d’une coïncidence ou d’un processus volontaire. Autrement dit, lorsque l’on détecte un mouvement, à quelle logique répond-il ? 9 C’est l’objet de la thèse de Laurence SINOPOLI ainsi que de l’ouvrage de Serge GUINCHARD et al., Droit processuel. Droit commun du procès, Précis Dalloz, 2001. 10 La Convention européenne des droits de l’homme par exemple renvoie à un espace dans lequel les normes qu’elle contient se déploient de façon organisée et notamment par l’intermédiaire d’un juge : la Cour européenne des droits de l’homme. 11 Relevons à ce titre une proposition d’appellation des spécialistes de l’O.M.C., Payam SHAHRJERDI et Vincent TOMKIEWICZ : la notion d’espace juridictionnel. Il s’agit d’insister sur l’existence ou non d’un mécanisme juridictionnalisé de règlement des conflits. V. infra. 12 Une théorie du droit fournit dans cette perspective un appui appréciable : la théorie du jeu du droit, telle que développée par F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le droit ou les paradoxes du jeu, P.U.F., coll. Les voies du droit, 1992. 3. Les moyens complexes de la recherche Nous avons commencé par évoquer des objectifs de recherche complexes. C’est ce qui explique que les moyens mis en œuvre revêtent un caractère plutôt inhabituel. Ils allient l’effort continu de description fidèle d’un seul système avec celui d’un travail en commun. Ils réalisent donc une réflexion faite d’échanges permanents, permettant de réconcilier l’un et le multiple. Le principe de l’atelier correspond, dans cette optique, à la mise en relation de juristes, chacun spécialiste d’un espace normatif. 4. Une notion de départ commune Il y avait au départ un seul point commun : une notion, qui n’était même qu’une simple expression. Elle ne pouvait alors être qualifiée a priori, ni de norme, ni de standard. Les chercheurs ont pris en charge certains espaces normatifs nationaux : le droit public anglais13, la procédure pénale française14, le droit administratif français15, le droit international privé français16, le droit russe17 ; et certains espaces internationaux : la Cour internationale de Justice18, les Tribunaux pénaux internationaux19, l’Organisation mondiale du commerce et son système de règlement des différends20, la Convention européenne des droits de l’homme et ses organes de jugement21. 5. Une méthode nécessaire: le réseau Nous avons éprouvé la nécessité de nous en remettre régulièrement au groupe afin d’éviter l’enfermement dans un espace normatif. Nous risquions effectivement de ne plus pouvoir communiquer les données relatives à nos espaces respectifs. Il fallait inversement éviter de commettre des erreurs d’appréciation d’un espace étranger par déplacement de point de vue. La vigilance du groupe a donc servi de tour de contrôle permanente pour conserver la mesure d’un commentaire fidèle (sans préjugé) à propos de l’espace normatif choisi. Matériellement, l’atelier a fonctionné sous forme de réunions périodiques au centre Malher ; mais également sous la forme d’échanges de documents et de réflexions par courriers électroniques, conçus sous la forme d’une liste de discussion. Un réseau est donc né avec cet atelier. Il est caractérisé par sa polycentricité22 (plusieurs centres à la fois émetteurs et récepteurs), notion idoine utilisée également pour comprendre la circulation des modèles procéduraux. Car les échanges qui existent entre les espaces se uploads/S4/ proces-equitable-et-enchevetrement-des-espaces-normatifs-girard-charlotte.pdf

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  • Publié le Mar 09, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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