Cahiers de civilisation médiévale Le mariage dans la théologie et le droit de l

Cahiers de civilisation médiévale Le mariage dans la théologie et le droit de l'Église du XIe au XIIIe siècle Gabriel Le Bras Citer ce document / Cite this document : Le Bras Gabriel. Le mariage dans la théologie et le droit de l'Église du XIe au XIIIe siècle. In: Cahiers de civilisation médiévale, 11e année (n°42), Avril-juin 1968. pp. 191-202; doi : 10.3406/ccmed.1968.1444 http://www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1968_num_11_42_1444 Document généré le 01/06/2016 Gabriel LE BRAS Le mariage dans la théologie et le droit de l'Église du XIe au XIIIe siècle La structure et la vie de la société médiévale sont réglées par le droit de l'Église, qu'inspire la théologie. Une connaissance, au moins élémentaire, de ces deux sciences est indispensable à tout médiéviste. Vérité trop souvent méconnue et que le Centre de Poitiers vient de proclamer en instituant un cours d'histoire des droits savants du moyen âge (le droit romain ayant fourni au droit canon son vocabulaire, sa technique et beaucoup de ses lois). En aucun chapitre les affirmations radicales, résolues, que je ne cesse de répandre dans un monde qui semble les avoir oubliées, ne sont vérifiées avec autant d'éclat que dans le droit de la famille, cellule de toute société. Peut-on comprendre la civilisation du moyen âge sans savoir comment se formaient les maisons des vivants, les liens élémentaires qui unissaient les personnes, les conséquences de la parenté ? Il ne s'agit point seulement de l'organisation juridique et de ses implications morales. Le mariage tient grande place dans l'histoire politique (particulièrement dans la vie des souverains)1, dans la littérature, dans le folklore ; il pose aux philologues et aux linguistes plusieurs questions de vocabulaire2, aux historiens de l'art eux-mêmes des exercices d'interprétation3. En somme, un médiéviste, quel que soit son domaine, rencontre un jour ou l'autre ces problèmes de droit et de théologie du mariage dont je dois vous donner un simple aperçu, cantonné presque exclusivement dans les xie et xne siècles. * * * Pourquoi l'Église s'est tant préoccupée du mariage ? D'abord parce qu'il crée la condition de la plupart des fidèles adultes et de la petite société qu'ils fondent. A cette raison sociale et morale, pratique et juridique s'ajoutait cette raison proprement religieuse et théologique : les Écritures contiennent des préceptes et des exemples divins qu'interprètent les exégètes4. Il n'est point de chapitre qui échappe à la législation, à la doctrine et à la jurisprudence de l'Église entre le xie 1. I^es mariages des Grands se concluaient dans un cercle restreint de parents et d'alliés, dont on découvrait tard — au cours de discordes — tel empêchement, et ces discordes étaient d'autant plus fréquentes qu'elles mettaient en jeu des passions, des fortunes et souvent des royaumes. Nos rois de France peuvent servir d'exemples (non de modèles) : Philippe Ier, Philippe Auguste. 2. I,e seul mot desponsatio appellerait un long article ; il a été très diversement traduit, au péril du droit. 3. l,a porte du mariage devant laquelle a lieu la célébration est parfois décorée de sculptures qui évoquent des scènes bibliques. Des vitraux et même des manuscrits contiennent des représentations qui fournissent des éléments pour l'iconographie du mariage (cf. par ex. « Dict. théol. cathol. », 2169). 4. Nous alléguerons ces textes qui, de la Genèse aux Épitres de Paul ont offert aux commentateurs (dont on trouverait une liste dans l'ouvrage du R.P. Spicq, Esquisse d'une histoire de l'exégèse latine au moyen âge, Paris, 1944) tant de sujets d'explications morales ou juridiques. GABRIEL LE BRAS et le xine s. Dès les temps apostoliques, les germes étaient formés : ils se sont développés pendant un millénaire dont il convient que je résume l'apport5. L'Ancien Testament révélait l'institution divine et le caractère d'unité, les Évangiles formulaient l'indissolubilité, les Épîtres de Paul, les devoirs des époux6. Sur ces textes fondamentaux, les Papes et les évêques, les Pères et surtout Augustin édifièrent une forte doctrine7. A la fin de l'antiquité, en dépit (ou à cause) de la résistance des institutions traditionnelles et des hérésies survenantes, un véritable corpus juridique et théologique s'achevait, que les temps dits barbares n'ébranlèrent — sauf des divergences sur l'indissolubilité absolue — ni n'enrichirent — sauf des extensions de l'empêchement de parenté8. Trois événements concoururent à préparer, au xie s., le magnifique épanouissement du droit classique : l'acquisition par l'Église de la compétence exclusive en tout ce qui concerne le lien matrimonial9 ; la Réforme grégorienne, qui inaugure la puissance, pour la Papauté, de tout réglementer10 ; la Renaissance intellectuelle qui va fournir l'appoint de Justinien et d'Aristote11. Ainsi, jurisprudence, législation, doctrine sont successivement renforcées avec un éclat quasiment prodigieux. Le couronnement de l'édifice sera, pour le droit, la riche série de décrétales, entre Alexandre III et Innocent III (1159-1216) et la composition de collections canoniques, entre Ive de Chartres (vers 1095) et le code publié, en 1233, par Grégoire IX12 ; la plus importante, et de beaucoup, étant (vers 1140) le Décret de Gratien, première assise du Corpus qu'allaient gloser et commenter tant d'illustres : Huguccio et Jean le Teuton sur le Décret, Hostiensis et Innocent IV sur les Décrétales13. Pour les théologiens, ce furent les œuvres magistrales d'Anselme de Laon (f 11 17), de Guillaume de Champeaux (f 1122), d'Hugues de Saint-Victor (1141), de Pierre Lombard et de ses commentateurs14, puis des grands classiques, Thomas d'Aquin et Duns Scot. Telles sont les sources d'où nous pouvons tirer tous les éléments d'une brève synthèse, que nous décomposerons en trois parts : nature et caractère du mariage ; aptitude des parties et formation du lien ; régime domestique et troubles du ménage. 5. On trouvera, pour le droit, toute l'histoire dans l'excellent ouvrage d'A. Esmein, Le mariage en droit canonique, t. I, Librairie Sirey, 2e éd. mise à jour p. R. Génestal, 1929 ; t. II, 1935, revu p. R. Génestal et J. Dauvillier. L'âge classique est profondément étudié par J. Dauvillier, Le mariage dans le droit classique de V Église (1180-1314), Paris, 1933. Bonnes dissertations dans G. H. Joyce, Christian Marriage, 2e éd., Londres, 1948. Pour l'histoire de la théologie, mon esquisse, dans le « Dict. théol. cathol. » (1927), dont le présent article est à la fois un résumé et un premier supplément, très modeste, que j'espère compléter dans une réédition rendue nécessaire par les études parues depuis quarante ans. Vue d'ensemble avec quelques pages (69-90) sur les conceptions médiévales dans H. Rondet, Introduction à l'étude de la théologie du mariage, Paris, i960. Nous renvoyons, mes maîtres Esmein et Génestal, mon collègue Dauvillier et moi-même, à de savants ouvrages, parmi lesquels Freisen, Fahrner, Sohm et von Schwerin méritent d'être au moins cités en ce lieu. Sur chaque point, on pourra consulter les Dictionnaires, notamment le « Dictionnaire de droit canonique ». 6. Les textes le plus souvent invoqués sont : Genèse, I, 27-28 ; Matthieu, V, 31-32 ; Paul, Ire Cor. ; Ép. Ephés. 7. Augustin fut le grand maître (« Dict. théol. cathol. », v° Mariage, 2093. Voyez surtout le De bono conjugali et le De nuptiis et concupiscentia) . 8. Par exemple les pénitentiels théodoriens admirent plusieurs cas de divorce et certains textes étendent l'empêchement de parenté usque ad infinitum. 9. P. Daudet, Études sur l'histoire de la juridiction matrimoniale, Paris, 1933 ; L'établissement de la compétence de l'Église en matière de divorce et de consanguinité, Paris, 1941. 10. Le Bras, Institutions ecclésiastiques de la Chrétienté médiévale, dans « Histoire de l'Église », t. XII, Bloud et Gay, 1964, p. 300-19. 1 1 . Le Corpus juris civilis (Code et Novelles ; Pandectes et Institutes) va fournir abondance de textes sur le mariage ; Aristote, des théories du droit naturel, des cadres (hylémorphisme) et des modes de pensée. 12. Nous citerons ce code publié en 1233 : Extra 1,1,1 = Décrétales de Grégoire IX, livre premier, titre premier, chapitre premier. Le livre IV est consacré au mariage comme dans les cinq compilations antérieures que nous citerons de même. 13. Citations du Décret de Gratien : Dist. 1, ci = Distinction 1, c. 1 ; C. 1, q. 1 c. 1 = Cause I, question I, canon 1. Notices sur les décrétistes dans F. Schulte, Quellen und Literatur des Kanonischen Rechts, 1. 1, 1875. Sur les sources du droit classique, cf. Le Bras et surtout J. Rambaud et Mgr Ch. Lefebvre, L'âge classique. Sources et théorie du droit, t. VII de l'Histoire du droit et des institutions de l'Église en Occident, Paris, 1965. 14. « Dict. théol. cathol. », 2140 et ss. Le plus important de ces auteurs est Pierre Lombard, dont le Livre IV des Sentences (c. 1152), consacré au mariage, sera le manuel des professeurs, pendant des siècles. 192 I,E MARIAGE DU XIe AU XIIIe SIÈCLE Le mariage, aux temps classiques, est un contrat-sacrement qui engendre un état : chacun des trois termes a son histoire. Chez les Romains, il n'était qu'un état et les premières contestations chez les chrétiens portaient sur la valeur de cet état. L'acte de chair ne constitue-t-il pas une certaine défaillance ? Ceux qui le condamnaient furent déclarés uploads/S4/ le-bras-gabriel-le-mariage-dans-la-theologie-et-le-droit-de-l-x27-eglise-du-xie-au-xiiie-siecle-1968 1 .pdf

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  • Publié le Mai 26, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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