1 Le contrat sans loi en droit international privé* Léna Gannagé1 Readers are r
1 Le contrat sans loi en droit international privé* Léna Gannagé1 Readers are reminded that this work is protected by copyright. While they are free to use the ideas expressed in it, they may not copy, distribute or publish the work or part of it, in any form, printed, electronic or otherwise, except for reasonable quoting, clearly indicating the source. Readers are permitted to make copies, electronically or printed, for personal and classroom use. 1. La notion de contrat sans loi2 apparaît à bien des égards énigmatique. Un certain mystère entoure le concept qui renvoie à l’image un peu subversive3 d’un contrat rebelle, affranchi de toute loi étatique, porté par la seule volonté des parties. Pourtant les antécédents jurisprudentiels de la notion ne manquent pas de prestige, puisqu’une des premières apparitions du contrat sans loi se fait au sein de la jurisprudence de la Cour permanente de Justice Internationale. C’est le célèbre arrêt des Emprunts serbes et brésiliens à l’occasion duquel la Cour affi rmera que “tout contrat qui n’est pas un contrat entre Etats en tant que sujets du droit international a son fondement dans une loi nationale.”4 Il y a là une première acception de la notion de contrat sans loi que l’on retrouvera près de vingt ans plus tard devant la Cour de cassation française dans l’arrêt des Messageries maritimes.5 Le contrat sans loi apparaît alors, dans cette perspective, comme un contrat détaché de toute loi étatique, un contrat sans droit, dont le régime juridique serait exclusivement fi xé * Session IIB1. Contracts without a proper law in private international law and non-state law. National Reports received from: Allemagne, K. P. Berger; Canada, F. Sabourin; Croatie, P. Sarcevic & M. Zupan; Espagne, A. Asin; Etats-Unis, S. C. Symeonides; Grèce, H. Tagaras; Hongrie, G. Palasti; Italie, S. Ferreri; Japon, M. T. Kanzaki; Norvège, G. Cordero Moss; République Tchèque, M. Pauknerová; Serbie, M. Stanivukovic; Suisse, I. Schwander; Venezuela, E. Hernández-Breton. 1 L’auteur remercie très vivement les différents rapporteurs nationaux dont les précieuses contributions ont permis l’élaboration de ce rapport. 2 Sur cette notion, voir dans la littérature juridique française, L. Peyrefi tte, Le problème du contrat dit sans loi (1965) chron. p. 113; P. Level, Le contrat dit sans loi, Trav. com. fr. dip. 1964-1966, p. 209; J.-P. Beraudo, Faut- il avoir peur du contrat sans loi?, in Mélanges Paul Lagarde (2005), p. 93. 3 Voir sur ce point, Level, supra note 2, p. 209: “Le terme de contrat sans loi n’est pas sans évoquer, dans l’acception qu’il peut avoir pour le sens commun l’idée même d’une révolte.” 4 C.P.J.I., 12 juillet 1929, Clunet (1929) 1002. 5 Cass., 21 juin 1950, Grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé (5ème éd., 2006), arrêt n° 22, p. 194; Rev. crit. 1950.609, note Batiffol; Dalloz. (1951) 749, note Hamel; Sirey (1952) 1. 1, note Niboyet; JCP (1950) II. 5812, note J. Ph. Lévy. Electronic Journal of Comparative Law, vol. 11.3 (December 2007), http://www.ejcl.org 2 par les stipulations contractuelles. Sans doute l’impossibilité pour les parties de réglementer à l’avance tous les aspects de leur relation les conduit-elle inévitablement à faire référence à une loi qui viendrait combler les lacunes du contrat. Mais il importe de bien mesurer la portée exacte qui est dévolue à la loi ainsi désignée. Celle-ci a valeur de simple stipulation contractuelle, elle ne saurait aller à l’encontre de la volonté des contractants qui peut donc passer outre ses dispositions impératives. 2. On aura reconnu à travers ce pouvoir exorbitant dévolu aux parties l’une des manifestations les plus exacerbées de l’autonomie de la volonté en matière contractuelle. C’est ce subjectivisme6 que la Cour permanente de Justice puis la Cour de cassation française viendront condamner sans appel dans les arrêts précités. Parce que “tout contrat est nécessairement rattaché à la loi d’un Etat”, on en déduit qu’il ne peut exister “sans le secours d’un système juridique qui, d’une part, préside à l’établissement du rapport d’obligation et qui d’autre part, confère à chaque contractant le pouvoir de contraindre l’autre à remplir ses engagements.”7 Avec ces décisions, c’est donc la première acception du contrat sans loi qui se trouve abandonnée au nom d’une conception des relations de la loi et du contrat qui subordonne le second à l’autorité de la première.8 Les différents rapports nationaux confi rment d’ailleurs que cette première acception de la notion, qui ne paraît avoir laissé de traces qu’au sein de la jurisprudence française, est aujourd’hui anachronique et, au surplus, tout à fait improbable.9 3. Mais alors même qu’on la croyait tombée en désuétude, la notion de contrat sans loi ressurgit cependant sous une forme différente et profondément remaniée. Une nouvelle fi gure du contrat sans loi voit le jour, et c’est désormais elle, et elle seule, qui occupe le devant de 6 Sur cette notion, v. H. Batiffol, Subjectivisme et objectivisme dans le droit international privé des contrats, 1 Mélanges Maury, p. 39 et s, reproduit dans Choix d’articles, LGDJ (1976), p. 249 et s. 7 Ancel & Lequette, Grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, supra note 5, note sous l’arrêt des Messageries Maritimes, Cass., 21 juin 1950, n° 3, p. 197. 8 V. à cet égard, H. Batiffol, Sur la signifi cation de la loi désignée par les parties, in Choix d’articles (1976) p. 271. 9 Voir en particulier les observations du Professeur Symeonides, rapport américain, réponse à la question n°2: The expression ‘contract with no governing law’ is an exaggerated fi gure of speech that is too inaccurate to be allowed to take roots. Each and every contract is governed by a certain law. This is true even in the case of a contract that purports to be fully self-suffi cient or autonomous, namely a contract which the parties intended to subject exclusively to minutely-detailed clauses contained in the contract. What makes these clauses enforceable is not the parties’ volition alone, but rather the right of each party ultimately to coerce the other party (whether through recourse to arbitration or judicial action) to abide by these clauses. In the modern legal system, this coercion remains the monopoly of the State and is refl ected in its laws et les observations du Professeur Moss, rapport norvégien, réponse à la question n° 2: Even a contract that expressly excludes application of a governing law (alternative a. above), or a contract that the parties expressly have subjected to the lex mercatoria, UNIDROIT principles or other restatement of general principles (alternative b. above), is ultimately subject to a national system of law. The lois de police and the ordre public of the governing law may not be excluded (this is expressly affi rmed also in the UNIDROIT Principles article 1.4 and in the PECL article 1:103). . 3 Electronic Journal of Comparative Law, vol. 11.3 (December 2007), http://www.ejcl.org la scène. Le contrat sans loi n’est plus dans cette perspective un contrat qui échappe à toute règle de droit pour reposer uniquement sur la volonté des parties, il est celui qui, affranchi de toute loi étatique, n’en reste pas moins soumis à l’application de règles de droit d’origine non étatique. Alors que la majorité des rapports nationaux manifestait beaucoup de scepticisme à l’égard de la première acception du contrat sans loi, ils admettent tous sans exception la pertinence de cette défi nition. De telle sorte qu’il paraît utile de distinguer, à la suite de nombreux auteurs,10 le contrat sans droit, expression d’un subjectivisme aujourd’hui révolu, et le contrat sans loi entendu comme celui qui est régi par l’application de règles non étatiques. Dans la mesure où le sujet proposé par l’Académie internationale de droit comparé est relatif “au contrat sans loi en droit international privé et droit non étatique”, le questionnaire adressé aux rapporteurs nationaux a été élaboré en fonction de la deuxième défi nition, c’est-à- dire en contemplation d’un contrat soumis aux règles non étatiques. Aussi, c’est dans ce sens, et dans ce sens seulement, que la notion de contrat sans loi sera envisagée tout au long des développements qui vont suivre. 4. Cette dernière défi nition ne supprime pas, loin de là, les diffi cultés suscitées par la notion. Celles-ci se déplacent simplement sur un terrain différent. Elles se concentrent désormais, en effet, sur la place qu’il convient de reconnaître au droit non étatique dans la réglementation des contrats internationaux. La question ainsi posée n’est pas véritablement neuve pour les internationalistes. Elle a déjà été au cœur de controverses importantes qui sont apparues il y a une quarantaine d’années autour de la lex mercatoria. Et l’on pourrait craindre, au premier abord, de voir ressurgir à propos du contrat sans loi des discussions désormais bien connues, voire même un peu lassantes, dont les implications concrètes, en toute hypothèse, se sont révélées assez vaines. 5. En réalité, le débat autour de la réception du droit non étatique dans les ordres juridiques nationaux s’est depuis sensiblement renouvelé. On se souvient, en effet, que les objections à l’encontre de la lex mercatoria étaient pour l’essentiel axées uploads/S4/ le-contrat-sans-loi-en-droit-international-prive-pdf.pdf
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- Publié le Apv 18, 2022
- Catégorie Law / Droit
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