Dissertation : le dialogue des juges Le terme de « dialogue des juges » est app

Dissertation : le dialogue des juges Le terme de « dialogue des juges » est apparu pour la première fois en France en 1978, dans les conclusions de l’arrêt du Conseil d’Etat Ministre de l’Intérieur c/ Cohn-Bendit. M. Genevois, le rapporteur, y précise en effet que « à l’échelon de la Communauté européenne, il ne doit y avoir ni gouvernement des juges ni guerre des juges. Il doit y avoir place pour le dialogue des juges ». A partir de ce moment, ce concept s’est développé et complexifié pour aboutir en 2006 à l’arrêt du Conseil d’Etat de Groot en Slot, qui juge que l’interprétation du droit communautaire faite par la Cour de Justice des Communautés Européennes s’imposait de façon totale au juge national, et ce même si les termes de la décision prise dépassent le cadre de la question initialement posée par le renvoi. Cet arrêt du Conseil d’Etat montre ainsi la volonté du juge administratif national de faire avancer le dialogue avec le juge communautaire. Cependant, le dialogue des juges est un concept bien plus ancien que le droit communautaire. Dans son acception la plus générale, c’est un échange réciproque entre les différents responsables (personnes ou institutions) qui ont pour mission de trancher les litiges. Il existe plusieurs niveaux dans ce dialogue : il peut se dérouler entre juges d’une même juridiction ou d’un même ordre ; entre différents ordres de juridiction, que ce soit en droit interne (juges constitutionnel, juge constitutionnel ou encore juge administratif) ou en droit communautaire. Ce dialogue des juges touche un large éventail de sujets, sur le fond comme sur la forme (méthodes, procédures, etc.), et il se déroule aussi bien de façon informelle qu’institutionnalisée. Il s’est largement accru à l’occasion du développement du droit communautaire. Si le dialogue est nécessaire comme source d’enrichissement mutuel, il peut également être à l’origine de conflits, tensions et mésententes, et cela a pu également être constaté dans le dialogue des juges, ce qui pose la question de sa qualité et de sa finalité. Preuve en est par exemple de l’incompréhension et des désaccords entre juge communautaire et juge administratif quant à la primauté du droit communautaire en droit interne. Ces différentes considérations poussent donc à s’interroger sur la justification et l’avenir du dialogue des juges, au vu à la fois des difficultés auxquelles il fait face et de sa nécessité pour assurer l’harmonie et la cohérence du droit interne et communautaire. La mise en place d’un dialogue des juges harmonieux s’est heurtée pendant longtemps aux désaccords entre les différentes juridictions, chacune souhaitant défendre son identité et sa conception du droit (I). Mais face à la complexification et l’imbrication des droits internes et communautaires, face à la nécessité de cohérence d’application du droit vis-à-vis des justiciables, le dialogue des juges est devenu une grande nécessité (II). Le dialogue des juges est un concept ancien, qui s’est heurté aux différences de conceptions entre juridictions, et leur volonté d’autonomie. En France, le dialogue des juges est né en même temps que le dualisme juridictionnel, à la fin du 19ème siècle. Cette naissance s’est traduite par la création d’une institution, le Tribunal des Conflit, qui a pour mission de déterminer puis répartir, en cas de problème, si le jugement des litiges relève du juge administratif ou du juge judiciaire. Le Tribunal des Conflits est présidé par le Garde des Sceaux et composé de façon paritaire. Le Garde des Sceaux intervient pour trancher les décisions s’il y a partage égal des voix. Depuis plus d’un siècle, le Tribunal des Conflits a donc un rôle de premier ordre dans la définition des notions juridiques, puisqu’il les clarifie afin de répartir les compétences entre les différentes juridictions. Le dialogue des juges au sein du Tribunal des Conflits a donc eu un rôle fructueux, puisqu’il a par exemple permis de déterminer de façon spécifique ce qu’est la notion de voie de fait en 1997, avec son arrêt Préfet de Police contre le Tribunal de Grande Instance de Paris. Mais le dialogue des juges en droit interne peut aussi se faire sous forme de questions préjudicielles posées aussi bien par le juge administratif que le juge judiciaire, quand celui-ci reconnaît qu’une question ne relève pas de son domaine de compétence. Laferrière parlait de ces questions préjudicielles comme des questions « de nature à faire naître un doute dans un esprit éclairé » ; elles sont le marqueur d’un véritable dialogue des juges, d’échanges permanents, même si le dispositif pourrait être amélioré en simplifiant le système de saisine qui actuellement ne permet pas d’avoir une procédure de renvoi directement par le juge. En 1923, l’arrêt du Tribunal des Conflits Septfonds, a défini les principes de compétence en ce qui concerne l’interprétation des différents actes administratifs et l’appréciation de leur validité par le juge judiciaire : celui-ci doit nécessairement utiliser le système des questions préjudicielles si le litige auquel il est confronté et qu’il doit trancher dépend de l’appréciation qu’il doit faire de la validité d’un acte administratif. Le système de questions préjudicielles n’est pas l’apanage du droit interne français : il a également été instauré au niveau européen. En effet, depuis l’arrêt du Conseil d’Etat Société des Pétroles Shell-Berre en 1968, le Conseil d’Etat renvoie automatiquement à la Cour de Justice des Communautés Européennes les questions d’interprétation du droit communautaire qu’il ne sait pas résoudre. Cependant, les caractéristiques identitaires de chacune de ces juridictions entraînent des difficultés et des tensions dans ce dialogue. Le dialogue des juges s’est plusieurs fois révélé ardu entre les différentes conceptions et traditions juridiques. Une des tensions les plus récurrentes concerne la transposition du droit communautaire en droit interne. En effet, le juge communautaire a affirmé la primauté du droit communautaire sur le droit interne dans l’arrêt Costa contre Enel en 1964. Grâce à cette conception, il a pu affirmer, en application de l’article 249 (ex 189), que les directives de l’Union Européenne étaient directement applicables et invocables en droit interne dans le cas où lesdites directives étaient suffisamment claires et précises (affirmé par l’arrêt Van Duyn de la Cour de Justice des Communautés Européennes, 1974). Le Conseil d’Etat français, en réponse à cette décision de la Cour de Justice des Communautés Européennes, a refusé de reconnaître un effet direct aux directives qui ne sont pas transposées en droit interne dans son arrêt de 1978, Ministre de l’Intérieur contre Cohn Bendit. Quoique cette différence d’interprétation ait longtemps perduré entre le juge communautaire et le juge administratif, elle s’est aujourd’hui fortement amenuisée. Le juge administratif n’a en effet pas changé de position depuis 1978 en ce qui concerne les décisions individuelles, mais il a en revanche beaucoup contribué à l’application du droit communautaire dérivé dans le droit interne, avec par exemple son arrêt Alitalia de 1989, qui donne plein effet aux directives en droit interne. Le fonctionnement du Commissaire du gouvernement également a été au cœur d’une controverse entre le Conseil d’Etat et la Cour Européenne des droits de l’Homme. La Cour a en effet déclaré que la participation et même la présence du Commissaire du gouvernement au cours du délibéré, ne concordaient pas avec toutes les exigences que requiert un procès équitable (arrêt Kress de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, 2001). Quoique ayant encore maintenu quelques temps la fonction de Commissaire du gouvernement, le Conseil d’Etat finit par céder en août 2006 et un décret est pris, qui prévoit la fin de la présence du Commissaire aux délibérés des tribunaux et cours (sa présence est en revanche maintenue devant le Conseil d’Etat, sauf exigence contraire du requérant). La Cour Européenne des Droits de l’Homme, en appliquant cette théorie des apparences, et le Conseil d’Etat, en restant parfois ancrée à son interprétation du droit, ont parfois eu du mal à dialoguer, et cela perdure encore aujourd’hui. Le dialogue des juges, à quelque niveau qu’il soit considéré, peut donc être source de conflits et mésententes. Cependant, malgré ces différences de traditions et d’interprétations des notions juridiques, le dialogue des juges se construit dans le sens d’une plus grande sérénité et efficacité, cela afin de répondre aux exigences de cohérence dans les différentes sources de droits qui se complexifient et s’imbriquent de plus en plus. Le souci d’assurer l’application d’un droit cohérent auprès des citoyens justiciables a mis en évidence la nécessité d’assurer un meilleur dialogue des juges. Il s’est donc développé au cœur même de la juridiction administrative. Quoique déjà existant, la loi du 31 décembre 1987, portant réforme du contentieux administratif, lui a donné un cadre plus formel et plus précis. En effet, à l’article 12, cette loi a introduit, pour les juridictions subordonnées, un mécanisme de renvoi pour avis devant le Conseil d’Etat, si elles se heurtent à une difficulté soulevée par une nouvelle question de droit. Ce renvoi pour avis est utilisé dans de nombreux litiges. Il est appliqué notamment pour la responsabilité du fait des attroupements et rassemblements (arrêt du Conseil d’Etat Cofiroute, 1990) Il est également beaucoup utilisé aujourd’hui notamment pour toutes les décisions relatives aux uploads/S4/ le-dialogue-des-juges.pdf

  • 31
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jui 24, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.0688MB