QUE SAIS-JE ? Le droit international privé DOMINIQUE BUREAU Professeur à l'Univ
QUE SAIS-JE ? Le droit international privé DOMINIQUE BUREAU Professeur à l'Université Panthéon- Assas (Paris II) HORATIA MUIR W ATT Professeur des Universités à Sciences Po Introduction e droit international privé s’efforce de résoudre les diverses difficultés qui résultent du phénomène de la frontière, parfaitement identifié comme tel par un célèbre internationaliste de la première moitié du xxe siècle [1]. C’est en effet la séparation du monde en États, conjuguée à l’existence de relations humaines dépassant le simple cadre étatique, qui impose de recourir à une branche particulière du droit, destinée à tenir compte d’un tel particularisme. L Instrument de gestion de la diversité des droits, le droit international privé s’est ainsi vu confier une place croissante, à la mesure du développement des relations privées internationales, la disparition même de ses causes génératrices n’étant de surcroît guère envisageable : l’unification totale des systèmes juridiques est aussi peu probable que souhaitable – si l’on veut bien admettre du moins que la diversité constitue une richesse –, au point qu’elle demeure même encore assez éloignée à l’échelon simplement régional, en dépit de forces contraires (Union européenne) ; quant à la fermeture absolue des frontières interdisant tout commerce juridique entre les hommes et leurs entreprises, elle n’est pas davantage probable dans le contexte actuel de circulation des personnes, de mondialisation et de globalisation des échanges (et, sur le renouvellement du paradigme de la frontière à l’épreuve de la globalisation, v. S. Sassen, La globalisation. Une sociologie,tr. fr. P. Guglielmina, Gallimard, « nrf-Essais », 2009). Instrument de gestion de la diversité des droits (ou de coordination des systèmes [2]), le droit international privé apparaît alors au cœur de mouvements, de tensions, de contradictions même, reflets d’une modernité parfois décrite en termes de crise [3]. Sans doute parce que les diverses techniques qu’emploie cette branche du droit sont parfois très directement liées à des présupposés théoriques ou philosophiques au cœur de la réflexion contemporaine : universalisme ou relativisme des droits de l’homme ? Réglementation économique ou loi du marché ? Préservation d’intérêts étatiques ou dépassement des particularismes nationaux ? Ouverture vers le monde extérieur ou cloisonnement des frontières ? Développement de la volonté individuelle ou renforcement des impératifs ?... Les échos de ces diverses interrogations ont parfois traversé le cercle restreint des internationalistes pour devenir sujets généraux de débats, de controverses : patriotisme économique ou libre- échange ? Identité nationale ou citoyenneté du monde ? C’est dans ce contexte que le droit international privé prospère, par utilisation de méthodes, de techniques ou de règles plus ou moins sophistiquées. Les problèmes qu’il doit résoudre sont en effet plus complexes que ceux auxquels le juriste se trouve normalement confronté dans un litige purement interne ; la présence d’un élément d’extranéité – nationalité étrangère d’un individu, localisation à l’étranger de son domicile, de la situation d’un bien, par exemple – y ajoute un élément supplémentaire de difficulté : un régime particulier a vocation à s’appliquer, qui nécessite parfois le choix préalable d’un tribunal ou d’une loi parmi les tribunaux ou les lois des États entretenant quelque lien avec la situation donnée, parfois l’élaboration d’une réglementation propre à la résolution de la question posée. Dans cette voie, toutes les questions que le droit international privé entend prendre en charge ne sont pas d’ordre comparable : tandis que certaines portent sur les sujets de droit eux- mêmes, d’autres naissent des rapports de droit auxquels ils peuvent être partie. I. Les sujets de droit Née de la division du monde en États, cette première thématique du droit international privé repose tout simplement sur l’opposition entre nationaux et étrangers. À l’échelle du droit français, il s’agit dès lors de déterminer à quelles conditions un sujet de droit peut être considéré comme français (droit de la nationalité) et, à défaut, quel sera son statut à l’égard de l’ordre juridique français (condition des étrangers). 1. Droit de la nationalité Tout le droit de la nationalité repose sur le principe – fondamental – selon lequel il appartient à chaque État de déterminer si tel individu peut être considéré comme un national de cet État : seul l’État français, italien, japonais peut dire si un individu est respectivement Français, Italien ou Japonais. D’apparence technique, la matière repose en réalité sur de nombreux présupposés d’ordre sociologique ou politique. En contemplation de ces dernières données s’opposent ainsi une conception ethnique de la Nation (cette dernière préexiste à l’individu, dont l’appartenance à la communauté nationale est essentiellement déterminée par la généalogie ; la nationalité se transmettra alors par la filiation : c’est le jus sanguinis, droit du sang) et une conception élective de la Nation (qui n’existe que par le consentement de ceux qui la composent ; la nationalité résultera alors d’une manifestation de volonté, traduisant une adhésion aux valeurs de la société d’accueil ; elle ne s’exprimera plus par le seul jus sanguinis, mais également par le jus soli, droit du sol). C’est à partir de tels présupposés – évidemment variables selon les périodes et les alternances politiques – que se sont progressivement construits les droits de la nationalité propres à chaque État. Du point de vue du droit français, les règles gouvernant la nationalité figurent désormais aux articles 17 et suivants du Code civil. Il en résulte que la nationalité française peut tout d’abord s’acquérir à la naissance (nationalité française d’origine) dans diverses hypothèses : par filiation (art. 18 C. civ. : « Est Français l’enfant dont l’un des parents au moins est Français ») ou en raison de la naissance de l’enfant en France (lorsque ses parents sont inconnus – art. 19 C. civ. – ou apatrides – art. 19-1 C. civ. ; lorsque l’un des parents de l’enfant né en France est lui- même né en France – art. 19-3 C. civ.). La nationalité française peut également s’acquérir ultérieurement : dans ce cas de figure, un individu, étranger à l’origine, va pouvoir devenir Français. Tel est le cas par exemple de l’étranger qui se marie avec un conjoint de nationalité française : après un délai de quatre ans, il pourra demander à acquérir la nationalité française sous réserve de certaines conditions destinées à lutter contre le phénomène des mariages de complaisance (art. 21-2 C. civ., imposant notamment pendant ces quatre années une communauté de vie matérielle et affective) ; tel est le cas également des enfants nés en France de parents étrangers, qui peuvent acquérir – à moins qu’ils ne souhaitent décliner cette qualité – la nationalité française à leur majorité, dès lors qu’ils résident en France et qu’ils ont eu leur résidence habituelle dans cet État pendant une période d’au moins cinq ans, depuis l’âge de 11 ans (art. 21-7, 21-8 C. civ.). Au-delà de ces règles (que d’autres viennent d’ailleurs compléter – en matière de naturalisation, par exemple), il résulte des principes gouvernant la matière qu’un même individu peut être considéré comme le national de plusieurs États (hypothèse de « double nationalité » ; la triple ou quadruple nationalité n’est certes pas invraisemblable d’un point de vue théorique, mais l’est davantage en pratique : les critères d’attribution de la nationalité pouvant se cumuler ne sont pas en nombre illimité) ; il peut en résulter un conflit de nationalités, lorsqu’une règle de droit fait découler des conséquences de la nationalité d’un individu (un Franco-Américain souhaitant se marier en France devra-t-il satisfaire aux conditions de fond du mariage posées par sa loi nationale française ou américaine ?). À titre de principe, la jurisprudence – dont les solutions demeurent cependant discutées – estime que, « lorsqu’un individu a plusieurs nationalités dont la nationalité française, celle-ci est seule prise en considération par les juridictions françaises » (Cass. civ. 1re, 17 juin 1968, Kasapyan). À l’inverse, un individu peut être dépourvu de toute nationalité (apatride) ; son statut est alors défini par le droit conventionnel (Convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides). 2. Condition des étrangers La matière est plus directement encore tributaire de considérations de nature politique, qui expliquent sans doute l’extrême variabilité de la réglementation en ce domaine. Pareil constat est tout particulièrement avéré en ce qui concerne ce que l’on désigne sous les termes de police des étrangers. Il s’agit là des règles applicables à l’entrée et au séjour des étrangers en France, désormais rassemblées au sein d’un Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ord. 24 nov. 2004). Visa, regroupement familial, cartes de séjour, reconduite à la frontière, expulsion... en sont les principaux éléments constitutifs, dont les médias se font assez largement l’écho. En ce domaine, le droit communautaire produit cependant de puissants effets, pour assimiler dans une très large mesure les nationaux et les ressortissants des États membres de l’Union européenne, en luttant contre toute forme de discrimination. S’agissant des droits dont peuvent se prévaloir les étrangers (jouissance des droits), la situation est assez profondément différente aujourd’hui selon la nature des prérogatives en cause. C’est ainsi par exemple que sont réservés aux nationaux les droits politiques stricto sensu (droit de vote, éligibilité uploads/S4/ le-droit-international-prive-bureau-dominique-mair-watt-hor.pdf
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- Publié le Dec 20, 2021
- Catégorie Law / Droit
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