1 Sixième Printemps du droit constitutionnel ****** L’examen de la constitution

1 Sixième Printemps du droit constitutionnel ****** L’examen de la constitutionnalité de la loi par le Conseil d’Etat ****** Journée d’étude organisée au Conseil d’Etat par le Centre de recherche en droit constitutionnel de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne ****** Vendredi 1er avril 2011 ****** Exposé de synthèse par Jean-Marc Sauvé1 Vice-président du Conseil d’Etat ****** « Si large qu’ait été […] l’extension des pouvoirs du juge dans l’interprétation de la loi, elle ne saurait aller jamais jusqu’à priver de force un acte législatif […] Les règles de droit dégagées par une forte jurisprudence ont tôt ou tard […] même en dehors de leur domaine, une influence salutaire et comme une sorte d’irradiation. C’est le seul rôle, selon nous, qu’en l’état du droit puisse avoir votre jurisprudence, en dehors du domaine qui vous est propre, des actes administratifs. »2 Le président Latournerie, en concluant ainsi sur les arrêts du 6 novembre 1936 Arrighi et Dame veuve Coudert, exprimait avec force le rôle que le juge administratif entendait alors être le sien dans le domaine du contrôle de constitutionnalité des lois. Ce rôle n’a depuis lors pas substantiellement changé. Par ces deux arrêts de section, le Conseil d’Etat a jugé qu’ « En l’état actuel du droit public français, le moyen tiré de l’inconstitutionnalité d’une loi n’est pas de nature à être discuté devant le Conseil d’Etat statuant au contentieux »3. Cette solution n’allait pas de soi en 1936. « La question était fortement agitée en doctrine et des avis très hautement autorisés militaient en faveur [d’un contrôle de la constitutionnalité des lois] »4. En outre, si les 1 Texte écrit en collaboration avec M. Timothée Paris, premier conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du Vice-président du Conseil d’Etat. 2 Concl Latournerie sur CE 6 nov 1936, Arrighi et Dame veuve Coudert, Dalloz 1938.3.1 note Eisenmann. 3 CE sect. 6 novembre 1936, Arrighi et Dame veuve Coudert, Lebon p. 966. 4 R. Latournerie, in Documents pour service à l’histoire de l’élaboration de la Constitution, t. III, p. 132, cité par B. Genevois, Le Conseil d’Etat n’est pas le censeur de la loi au regard de la Constitution, RFDA 2000 p. 175, note 3. 2 arguments juridiques à l’encontre d’un tel contrôle étaient sérieux, ceux-ci étaient loin d’être décisifs : Eisenmann, dans son commentaire de ces deux arrêts, l’a démontré de manière convaincante. Il n’en reconnaissait pas moins qu’il approuvait « au fond, du point de vue politique ou de l’opportunité, la décision [du Conseil d’Etat] à laquelle [il ne pouvait] reconnaître en droit une pleine nécessité »5. Il soulignait ainsi le motif fondamental qui avait déterminé le Conseil d’Etat à ne pas, selon ses propres termes, « sauter le pas » en se reconnaissant le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois. Ce motif, c’est la conscience qu’a le juge de sa propre légitimité. Il s’agissait autrement dit, pour le Conseil d’Etat, d’un acte de responsabilité. Et cette même conscience de ses responsabilités n’a jamais cessé d’être au cœur de l’approche, par celui-ci, de l’examen de la constitutionnalité des lois. De fait, les travaux de ce colloque l’ont mis en évidence : pour le Conseil d’Etat, l’examen de la constitutionnalité des lois est gouverné par la volonté constante de respecter l’équilibre des institutions et des pouvoirs (I). En outre, l’application et l’interprétation que fait le Conseil d’Etat de la Constitution sont guidées par l’objectif d’assurer la cohérence de l’ordre juridique interne (II). I. Pour le Conseil d’Etat, l’examen de la constitutionnalité des lois est gouverné par la volonté constante de respecter l’équilibre des institutions et des pouvoirs. Chacun le sait, l’existence d’un juge de la constitutionnalité des lois est, en France, un acquis récent. De plus, l’organisation institutionnelle française n’a jamais conduit, avant comme après 1958, à confier à une juridiction unique un rôle de Cour suprême qui aurait en charge la régulation de l’ensemble de l’ordre juridique. Le Conseil constitutionnel, comme le Conseil d’Etat et, à certains égards, la Cour de cassation, est bien « une juridiction spécialisée, juge d’attribution, souverain dans l’exercice de sa compétence, mais non une Cour suprême polyvalente », ainsi que le soulignait le doyen Vedel6. Le Conseil d’Etat n’a de ce fait « jamais été absent de l’univers constitutionnel »7, ainsi que l’a rappelé ce matin le président Stirn. Il veille néanmoins, dans ce domaine comme dans les autres, à respecter pleinement les limites de ses attributions. A.- S’il exerce un examen complet et approfondi de la conformité des textes législatifs à la Constitution, il ne le fait ainsi que dans l’exercice de sa mission consultative. 1.- Un tel examen découle directement de la responsabilité qui lui incombe dans ce domaine : l’affirmation progressive d’un véritable contrôle de constitutionnalité des lois, à la suite notamment de la décision « Liberté d’association » du 16 juillet 19718, de la réforme des modalités de saisine du Conseil constitutionnel en 19749 et sous l’effet, aujourd’hui, de la question prioritaire de constitutionnalité10, rendait nécessaire que la mission consultative 5 C. Eisenmann, note sous CE 6 novembre 1936, Arrighi et Dame veuve Coudert, Dalloz 1938.3.1. 6 G. Vedel, in La légitimité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, G. Drago, B. François et N. Molfessis (dir.), préface p. XI 7 B. Stirn, Le Conseil d’Etat et la Constitution, in Mélanges Jean-François Lachaume : droit administratif, permanences et convergences, Dalloz, Paris, 2007, pp. 1001 et sq. 8 Cons. const. Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association. 9 Loi n° 74-904 du 29 octobre 1974 portant révision de l’article 61 de la Constitution. 10 Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République et 3 du Conseil d’Etat intègre pleinement cette évolution. Il s’agit tout d’abord pour celui-ci de remplir pleinement son office de conseiller juridique du Gouvernement et du Parlement, en donnant un avis qui offre la plus grande sécurité juridique possible et qui permette de prévenir, autant que faire se peut, une déclaration de non-conformité de la loi par le Conseil constitutionnel. En outre, la montée en puissance du contrôle de constitutionnalité depuis quatre décennies – comme d’ailleurs du contrôle de conventionalité depuis deux décennies- donne une plus grande sensibilité et un rôle stratégique plus important à la mission consultative du Conseil d’Etat. Elle confère ce faisant à ce dernier une plus grande responsabilité. Les avis qu’il rend restent principalement destinés au Gouvernement ou au Parlement, selon l’origine du texte examiné, mais le Conseil constitutionnel, lorsqu’il exerce son contrôle de constitutionnalité a priori en a également connaissance, ainsi que le président Schrameck l’a souligné. Ces avis sont aussi revêtus d’une plus grande publicité, lorsque, sur les projets de loi, ils sont mentionnés dans le rapport annuel du Conseil d’Etat, ou que, sur les dispositions des propositions dont l’auteur ne demande pas la disjonction, ils sont diffusés dans le cadre du débat parlementaire. Cette publicité a aussi pour effet de rendre plus visibles les hypothèses, certes rares, dans lesquelles les formations consultatives du Conseil d’Etat n’auraient pas relevé une question de constitutionnalité qui se posait ou auraient donné une interprétation de la Constitution différente de celle retenue ensuite par le Conseil constitutionnel. Plusieurs exemples récents de divergence peuvent ainsi être cités: ainsi celle portant sur les articles 5 à 11 de la loi dite « HADOPI 1 », relatifs aux sanctions administratives pouvant être prononcées à l’encontre des auteurs de téléchargements illégaux, qui ont été censurés par le Conseil constitutionnel11, alors que le Conseil d’Etat avait préalablement donné un avis favorable dont les motifs essentiels ont été publiés dans son rapport public12. La loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public13 fournit un second exemple de divergence : le Conseil d’Etat n’avait pas recommandé une interdiction générale et absolue dans son étude adoptée le 25 mars 201014 et il avait donné, le 12 mai 2010, un avis défavorable au projet de loi, alors que le Conseil constitutionnel a jugé la loi conforme à la Constitution15. Sous le ciel de la Constitution, plusieurs analyses contradictoires peuvent donc coexister, même si, cela va de soi, le Conseil constitutionnel a le dernier mot. 2.- De ces évolutions, découle pour le Conseil d’Etat une responsabilité particulière qui le conduit à faire de la Constitution, avant même les engagements internationaux auxquels la France est partie, la norme de référence dans l’exercice de sa mission consultative, comme elle l’est dans l’exercice de sa mission contentieuse, ainsi que l’a rappelé la décision d’assemblée Sarran, Levacher et autres du 30 octobre 199816. Tel est le cas, bien sûr, lors de l’examen des projets de lois organique. Le Conseil d’Etat s’attache alors loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution. 11 Cons const. Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. 12 Conseil d’Etat, uploads/S4/ examen-constitutionnalite-loi-par-ce.pdf

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  • Publié le Jan 05, 2023
  • Catégorie Law / Droit
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