LE JUGE CONSTITUTIONNEL MAROCAIN ENTRE ATTRIBUTIONS STATUTAIRES ET POUVOIR NORM
LE JUGE CONSTITUTIONNEL MAROCAIN ENTRE ATTRIBUTIONS STATUTAIRES ET POUVOIR NORMATIF Anass KIHLI Doctorant en droit public, Fsjes – Oujda- Mail : kihlianass@gmail.com Pour citer l’article : KIHLI Anass, « Le juge constitutionnel marocain, entre attribution statutaires et pouvoir normatif », Revue de Droit, Coll. les Connaissances juridiques et judicaires, Mars 2014, p.p. 49-611. Introduction Si la mission de tout juge se limite à l’application des textes de loi en tranchant les litiges qui lui sont soumis, il arrive qu’une orientation jurisprudentielle marquée par la constance et le prolongement dans le temps soit érigée en norme de Droit selon l’adage stare decisis. De ce fait, le juge détourne les limites qui lui sont imposés et élargie sa marge de manouvre. Le juge constitutionnel quant à lui se trouve dans une posture, le moins que l’on puisse dire qu’elle est particulière. Tout d’abord parce qu’il est nommé par des autorités politiques (chambre des représentants, chambre des conseillers, le Roi). Deuxièmement, car ses décisions opèrent et agissent sur la sphère politique : il juge de la constitutionnalité de la loi (automatiquement pour la loi organique, après saisine pour la loi ordinaire), des règlements des deux chambres du parlement et procède au déclassement législatif, il est également juge du contentieux relatif à l’élection des membres du parlement et statue sur la régularité des opérations de référendum. Ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités juridictionnelles et administratives, en plus du fait qu’elles n’admettent aucun recours2. Cette particularité fait que le juge constitutionnel émet des normes de droit susceptibles d’empiéter sur les domaines du législateur et du constituant. Pour ce faire, en rendant ses 1 L’article a été publié après la correction de quelques écueils contenu dans sa version imprimée. 2Titre VIII de la Constitution du Royaume du Maroc, promulguée par le Dahir n° 1-11-91 du 27 Chaâban 1432 (29 juillet 2011). décisions, il puise dans des sources de droit autres que la Constitution écrite, en particulier le Bloc de constitutionnalité3, surtout sa composante dite principes à valeur constitutionnelle qui sont énoncés par le juge constitutionnel sans qu’il soit forcément fait référence à un texte particulier, à titre d’exemple le principe de continuité des services public que nous avons convenu d’étudier pour illustrer le pouvoir normatif du juge constitutionnel marocain. Afin de bien élucider notre propos il convient d’adopter un plan comportant deux titres, le premier aura pour objet de clarifier la notion de principe de continuité de service public en tant que principe à valeur constitutionnelle et l’usage d’en fait le juge constitutionnel pour appuyer ses raisonnements. Le deuxième portera sur les limites à son champ d’action et ses nouvelles missions consacrées par la constitution de 2011 et la loi organique relative à la cour constitutionnelle en perspectives. I. Le principe de continuité des services public : avatar du pouvoir normatif du juge Constitutionnel En principe, le juge constitutionnel se réfère au texte de la constitution pour motiver ses décisions. Néanmoins, il survient que ce dernier élargie son pouvoir d’action en faisant appel à des sources de droit non écrites extraites du fameux bloc de constitutionnalité, dont les principes à valeur constitutionnelle, qui sont le résultat des interprétations de la constitution et ses finalités. En fait, ces interprétations engendrent dans certains cas la création pure et simple des la règles de droit. Les principes à valeur constitutionnelle sont des principes généraux de droit, inspirés de l’œuvre du constituant, rehaussé par le juge constitutionnel au sommet de la hiérarchie des normes (la sphère constitutionnelle). En conséquence, elles deviennent des normes supra- législatives4. 3 Concept développé par le Conseil Constitutionnel français, notamment dans sa décision : 71-45 D.C., 16 juillet 1971. A ce propos voir : GICQUEL Jean (P), Le conseil constitutionnel, Paris Montchrestien, 2005.pp.38-99. 4ROUSSEAU (D), Droit du contentieux constitutionnel, Paris, Montchrestien, 1990, p.p.91-92. 1- La continuité des services publics, principe à valeur constitutionnelle Après l’apposition du sceaux de la constitutionnalité sur le principe de la continuité des services public par le juge constitutionnel français5, la notion de principes à valeur constitutionnelle est apparue pour la première fois au Maroc, dans la décision du conseil6 n° 124-977 lors de son examen de la loi organique n° 31.97 relative à la chambre des représentants, dont La notion de principes à valeur constitutionnelle a été timidement citée. En effet le juge de la constitutionnalité en a fait usage dans le dernier attendu de sa décision : « …Considérant que suite à l’étude de la loi organique n° 31.97, adoptée par la chambre des représentants le 17 septembre 1997, conformément aux dispositions de l’article 58 de la constitution,…que ses dispositions sont conformes à la constitution, et que rien dans son contenu est contraire à une règle de droit, ou à un principe à valeur constitutionnelle… » . La deuxième décision qui a évoqué les principes à valeur constitutionnelle, est celle portant n° 382-20008 se rapportant à la loi 15.97 portant code de recouvrement des créances publiques. L’importance de cette décision réside dans le fait d’aborder les principes à valeur constitutionnelle à maintes reprises. En effet, dans un premier temps, il est dit dans un considérant : «…il doit être (le fait de préciser les cas d’incompatibilité) compatible avec les principes cités par la constitution, et les principes à valeur constitutionnelle ». Puis le juge constitutionnel évoque les principes de la continuité des services publics : « Considérant que, de surplus à ce qui a précédé, les dispositions soumises à l’examen du Conseil constitutionnel ne précisent pas les sanctions relatives à la déclaration des cas d’incompatibilité, il pourrait être compris du paragraphe susmentionné de l’article 142 qui dispose que « l’incompatibilité est levée après acquittement des créances (de l’Etat)». En effet, cette déclaration est considérée comme un simple gèle de l’exercice de la fonction officielle ou élective, dans l’attente du paiement des créances publiques, ce qui est contraire au principe de la continuité des services publics ». Les circonstances de la décision se présentent comme suit : le premier ministre saisit le Conseil constitutionnel par lettre déposée à son secrétariat le 15 février 2000 concernant la loi n° 15.97 portant code de recouvrement des créances publiques, dont il estime l’inconstitutionnalité de son article 142 qui dispose : « Est réputée en état d’incompatibilité 5 C.C fr, 79- 105 D.C., 25 juillet 1979. J.O du 27/07/1979. 6 Nous utilisons l’appellation Conseil constitutionnel car à ce moment la Cour Constitutionnelle n’est pas encore opérationnelle. 7 C.C ma, 124-97, datant du 26/08/1997, (B.O n° 4514 du 01/09/97). 8 C.C ma, 382-2000, datant du 15/03/2000, (B.O n° 4792 du 04/05/2000). pour l’exercice d’une fonction officielle ou élective, toute personne qui ne s’acquitte pas des créances publiques à sa charge, devenues exigibles en vertu d’un titre exécutoire et qui ne font pas l’objet de contentieux . L’incompatibilité est levée après acquittement des sommes dues. ». Dans sa lettre de saisine le premier ministre développe les arguments suivants : les membres du gouvernement, les magistrats, et un nombre important des hauts fonctionnaires de l’Etat sont nommés par le roi, ce qui est susceptible de lier les compétences constitutionnelles du souverain. l’article 142 traite de façon incomplète des cas d’incompatibilité, alors qu’ils doivent faire l’objet de lois organiques, notamment celles relatives à la chambre des conseillers, la chambre des représentants, et celle relative au Conseil Constitutionnel. Et ce, en vertu des articles 37 et 38 de la constitution de 1996 en vigueur. Pour rendre sa décision le Conseil Constitutionnel a suivi un raisonnement qui lui est propre. Il a écarté les griefs avancés dans la lettre de saisine du premier ministre en concluant à la censure du législateur en faisant usage de la théorie de l’incompétence négative, déjà mise en œuvre par son homologue français. Le juge avait employé la notion de principe à valeur constitutionnelle à deux reprises, premièrement il déclare que les citoyens ont droit à l’accès aux fonctions publiques sans aucune discrimination en considérant que c’est droit faisant l’objet d’un principe à valeur constitutionnelle. Deuxièmement, le juge précise que le cas d’incompatibilité dont parle l’article 142, qui d’ailleurs tient lieu d’un gèle de l’exercice de la fonction officielle ou élective et non d’une incompatibilité proprement dite, est de nature à causer une perturbation dans la marche des institutions de l’Etat, ce qui porterait forcément atteinte à la continuité des services publics, qui est un principe à valeur constitutionnelle, déclare la haute instance9 . En somme, le principe de la continuité des services publics est une partie intégrante des sources de droits utilisées par le juge constitutionnel lors de son examen de la constitutionnalité des lois, depuis la décision 124-97 susmentionnées, la notion de principe à 9 BENABDELLAH (M.A), « la constitutionnalisation des cas d’incompatibilité », REMALD n° 33, juillet et août 2000, p.p.143-152. valeur constitutionnelle à été citée de manière fréquente dans la jurisprudence du Conseil. Pour illustrer ce constat nous évoquons la décision n° 583-0410 portant sur la loi relative à la haute cours de justice, et la décision numéro 586-0411 sur l’immunité parlementaire. 2- Le juge uploads/S4/ le-juge-constitutionnel-marocain-entre-a-pdf.pdf
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- Publié le Aoû 06, 2021
- Catégorie Law / Droit
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