1 - N° 91, février 1999, pp. 20-27. 2 - Sénèque, Médée, II, 2, 199. 3 - Digeste

1 - N° 91, février 1999, pp. 20-27. 2 - Sénèque, Médée, II, 2, 199. 3 - Digeste, I, 1, Ulpien, 10. 4 - Maurice Duverger, Constitutions et documents politiques, PUF-Thémis, 1960, p.299. Les fondements philosophiques des droits de l’homme Article tiré du numéro 8 de la revue Civitas (mars 2003) : Les droits de l'homme. L’importante étude du professeur François Vallançon que nous reproduisons ci-après, divisée en deux parties, consacrées respectivement aux fondements philosophiques des droits de l’homme et à leur statut juridique, est parue précédemment dans la revue La Nef 1, dont nous remercions le directeur, M. Christophe Geffroy, pour son aimable autorisation. L’expression « les droits de l’homme » a été d’un tel secours pour les gens livrés sans autre défense aux différents totalitarismes qu’on a scrupule à en dire du mal. Mais on a commis tant de crimes, installé tant de terreurs en leur nom, qu’on ne peut pas s’empêcher d’y soupçonner de la tromperie. Surtout il serait abusif de les condamner sans examen au motif que le premier pape à en avoir parlé les a sévèrement condamnés, autant il serait excessif de les canoniser sans plus de discernement, pour la raison que le dernier pape en parle beaucoup et favorablement. Il y aurait, dans les deux cas, paresse et, plus grave injustice, car on se prononcerait avant d’avoir écouté avec une égale attention les arguments favorables, et les arguments contraires. « Audiatur et altera pars » 2, avons-nous appris du droit romain, on ne tranche un débat qu’après avoir entendu l’une et l’autre partie. C’est précisément ainsi que nous voudrions mener notre enquête : les droits de l’homme – et la philosophie qui les sous-tend – aident-ils juges, gouvernants, quiconque, à mieux attribuer à chacun sa part, comme c’est l’office propre du droit selon la tradition romaine « suum cuique tribuere » 3 ? Auquel cas, ils se confondraient avec la justice. Ou bien empêchent-ils juges, gouvernants, quiconque, d’attribuer à chacun sa part, en ruinant la notion même de chacun, et de part ? Auquel cas, ils se confondraient avec l’injustice, ou plutôt ils masqueraient une iniquité sous les apparences d’une équité. Quelles sont donc les clartés et les obscurités des droits de l’homme ? C’est ce que nous envisagerons en considérant successivement leurs présupposés philosophiques et le statut épistémologique de la fameuse « déclaration » de 1789. Des racines, ou des fondements philosophiques des droits de l’homme Les droits de l’homme ont été proclamés, dès l’origine, comme des évidences. Le mot « évidence » ne se trouve pas dans la Déclaration de 1789, ni dans celle de 1948, mais dans les Déclarations américaines du 4 juillet 1776 4, à laquelle toutes les autres ressemblent plus ou moins. Or, une évidence, c’est comme un dogme, c’est ce qui ne se discute pas, c’est ce qui ne Les fondements philosophiques des droits de l’homme - François Vallançon (professeur à l’Université Paris II) http://www.civitas-institut.com 1 5 - Ovide, Métamorph. II, 553, cité en épigraphe à L’Esprit des Lois. se discute plus. C’est ce qui n’a pas d’ascendance, pas de généalogie : « prolem sine matrem creatam » 5 peut-on dire d’elle comme Montesquieu de l’esprit des lois. Pourtant, les droits de l’homme ont été, dès l’origine, discutés, tant par les contre-révolutionnaires comme Burke, que par les révolutionnaires comme Marx. C’est, sans doute, qu’ils ont quand même une ascendance philosophique. Faute de reconnaître celle-ci, on s’expose à de regrettables contre-sens. Que tous les hommes naissent libres, égaux et frères, selon le droit naturel, c’est déjà dans le Digeste, qui lui-même, condensait une doctrine antique et solennelle. Mais on ne l’entendait pas comme en 1789, parce que la doctrine qui soutenait le droit romain était aristotélicienne, voire stoïcienne, et non hobbesbienne ou rousseauiste. Précisons. Les droits de l’homme de 1789, et de 1948, reposent sur une philosophie individualiste : ils s’attachent à l’homme individuel et font du droit quelque chose d’individuel. Venant d’un individu, ayant donc un point de départ, mais pas de point d’arrivée, ayant un seul pôle, le droit est quelque chose d’illimité, d’aussi illimité que la volonté de cet individu. Les droits de l’homme sont un cercle dont le centre est un individu mais dont le rayon est indéfiniment extensible. Tels une circonférence, les droits de l’homme sont un lieu géométrique, ou un lieu juridique, vide, que son titulaire remplit ou désemplit à volonté. Une philosophie et un droit de l’individuel, une philosophie et un droit de l’illimité, une philosophie et un droit de la forme pure, considérons successivement ces trois aspects, et voyons si l’Eglise peut y être favorable, indifférente ou hostile. De l’individuel dans le droit, et les droits de l’homme Une chose est de dire, comme la Bible, que Dieu appelle chaque homme par son nom, autre chose est de dire que chaque homme a, en naissant, et pour la vie, les mêmes droits. Dans le premier cas, le nom est moins ce qu’un individu possèderait en propre, que la reconnaissance de la place, des talents, des charges attribués ou confiés à quelqu’un, à nul autre exactement pareil. L’homme est alors une partie d’un tout, a un poste assigné dans un ensemble. L’ambition comme la désertion qui lui feraient quitter ce poste seraient alors injustes, car causes et effets de déséquilibres. Dans le second cas, les droits de l’homme ne sont pas attribués à chaque homme, mais déduits de sa nature, tirés de son essence, consubstantiels en quelque sorte à son existence. Indépendamment de ceux qui l’ont fait naître, indépendamment de ce à quoi il est appelé, du seul fait qu’il est homme, il a des droits, et des droits tels qu’il les conservera sa vie durant, quoiqu’il fasse ou ne fasse pas, que ce soit du bien ou du mal. Ainsi, dans la philosophie des droits de l’homme, le droit ou la justice n’est pas ce que visent les individus, ce à quoi ils participent, tantôt plus et tantôt moins, ni ce qu’ils reçoivent en récompense de ce qu’ils ont fait, ne ce qui distribue entre eux des rôles, égaux et inégaux. La justice, ou le droit, dans cette philosophie, c’est ce qui vient des individus, c’est ce qui consacre l’exclusive réalité des individus. Les fondements philosophiques des droits de l’homme - François Vallançon (professeur à l’Université Paris II) http://www.civitas-institut.com 2 6 - Le droit vient de la justice. Dig. I,1, 1, 1. Dans ces conditions, les relations entre les hommes viennent des individus, la société des hommes vient des individus. Le contrat social est une déduction aussi nécessaire des individus que leurs droits. Mais cette déduction dédouble non moins nécessairement l’individu entre l’homme d’un côté, et le citoyen de l’autre, entre ce qui vient de l’individu immédiatement, l’homme, et ce qui vient médiatement de lui, le citoyen. Les droits de l’homme, parce qu’ils sont individuels, et même individualistes, seraient alors la source d’un double écartèlement. Ils sépareraient l’homme de ses actes et imposeraient au criminel ni plus ni moins de charges qu’au héros : l’humanité demeurant toujours identique à elle-même, on punirait et on récompenserait les actes, mais pas leurs auteurs. L’Eglise peut-elle l’accepter, elle qui professe non seulement que l’on couronne les saints à cause de leurs vertus, mais encore que l’on couronne Dieu, cause des vertus et des saints ? Dire qu’un homme a d’autant plus besoin d’être relevé qu’il est tombé plus bas, parce qu’il reste un homme, c’est le langage de l’Eglise qui relève – le plus possible – et punit – le moins possible. Dire qu’un homme ne peut être au-dessous d’un autre homme resté debout, c’est le langage des pharisiens de l’Evangile qui ne veulent pas s’abaisser vers la prostituée fautive, c’est le langage des droits de l’homme interdisant à la femme vertueuse d’être au-dessus de l’autre, l’empêche de la relever. Les droits de l’homme sépareraient aussi l’homme du citoyen en déduisant autant de devoirs de celui-ci que d’avantages de celui-là. Mais qui ne voit qu’ainsi toutes les tricheries sont possibles, puisqu’on se proclamera à volonté citoyen pour faire entendre qu’on a accompli déjà tous ses devoirs, et homme pour faire admettre qu’on n’a pas encore reçu assez d’avantages. A moins qu’on ne réclame toujours plus de droits en tant qu’homme, et qu’on impose toujours plus de charges aux autres, en tant qu’ils sont citoyens. Solidarité, ou fraternité, oblige. L’Eglise peut-elle se taire devant une pareille tartuferie ? Elle le peut d’autant moins que si le droit est individuel, plus on donne à l’individu, plus il réclame. Plus l’Eglise dirait oui aux droits de l’homme ainsi développés, plus les droits de l’homme feraient dire non à l’Eglise. Le droit n’est pas plutôt déclaré individuel qu’il est proclamé illimité. De l’illimité dans le droit, et les droits de l’homme Il y a dans l’homme quelque chose qui passe l’homme. Il y a dans l’humain quelque chose de divin. De l’infini dans le fini, ce n’est pas là une invention des droits de l’homme, c’est une conviction commune qui traverse les siècles, où l’on ne parlait pas uploads/S4/ les-fondements-philosophiques-des-droits-de-l-homme.pdf

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  • Publié le Jan 21, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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