2012 Sociologie des marges Du parallèle au parasite Frédéric Mathieu Tous droit

2012 Sociologie des marges Du parallèle au parasite Frédéric Mathieu Tous droits réservés 2 Copyrighted material Sommaire Le darwinisme de l'argot 9 Le coquillard 59 Le miraculé 69 Le mafioso 81 Le hankster 107 Le hippie 128 Le rasta 186 Le mker 196 Le punk 205 Le skinhead 21 7 Le lascar 778 Le hacker 778 En guise de conclusion 320 3 4 Copyrighted material Sociologie des marges Depuis les chants d'Homère, la poésie épique commence par un appel aux muses ; les discours rhétoriques par une Excusatio propter infirmitatem. Nous sacrifions bien volontiers à l'exercice, et ne nous cachons pas des maladresses et des carences qu'intègre ce projet. Ce bref essai n'a pas pour ambition de traiter l'ensemble des modes ou des marges existantes depuis le crétacé. Nous irons droit à l'essentiel, ne reculant devant aucune caricature ou approximation. La théorisation fut toujours à ce prix. L'enquête, en général, laisse rouler bien des pierres sur le bord du chemin, et ne retient souvent que celles qui lui paraissent - à tort ou à raison - nourrir son analyse, bâtir son édifice. Notre édifice, par conséquent, ne sera pas exempt d'impasses, d'ellipses et d'omissions peu ou prou volontaires. Il fourmillera de digressions, de remarques adventices voire superfétatoires. La critique est bienvenue. Que les hyènes jasent jusqu'à l'aube frissonnante. Le lecteur nous absolve... Et prenne tout son plaisir ! 5 Copyrighted material Passée cette mise au point, ne laissons pas de définir le cadre et les limites de notre esquisse sociologique. Elle se propose de dégager les lignes de force et les tendances majeures qui ont influencé l'argot, depuis la fin du Moyen Age jusqu'au début du XXIe siècle. Ces tendances contribuent à son évolution autant qu'à sa disparition - deux phénomènes indissociables dont nous aurons à cœur d'exhiber les tenants et les aboutissants. Il s'agira, par conséquent, de rapporter les inflexions de la langue verte aux mouvements de modes (ou de secteurs) qui l'accompagnent, la portent et la rénovent en permanence. Nous déroulerons le fil d'or de l'argot en épousant chacune de ses évolutions. Cela n'ira pas sans insister sur les pratiques, la symbolique, le modus vivendi constitutif des initiés ; si bien que notre étude portera finalement très largement sur la communauté des locuteurs, et moins que de raison, sur le jargon lui-même. C'est donc une sociologie des marges que nous proposons de développer, plus qu'une étude doxographique, vétilleuse de l'argot. Ne nous défendons pas d'un certain goût de la digression. C'est un défaut qui, s'il trahit une laxité de méthode, n'en présente pas moins quelques avantages. La minutie dessert l'étau de la rigueur ; mais elle ne dessert pas notre projet. Les écarts de pensée peuvent constituer des pas de côté sans être des faux pas. Peut-être la meilleure approche pour étudier la marge est-elle de suivre la démarche de l'écrevisse. Celle qui va en travers sans aller de travers, hors des ornières et des sentiers battus. La digression 6 Copyrighted material est un chemin de traverse. Il faut l'admettre comme une occasion de varier les approches, de susciter l'inattendu (ce qui, en soi, exprime un paradoxe). La digression met du beurre dans les épinards. Elle accommode les nourritures trop sèches. La seule limite ou garde-fou que nous nous imposons consiste en un principe que nous tiendrons rivé sur l'écheveau. Nous serons attentifs à ce que toutes ces « échappées légères » trouvent à se justifier ; qu'elles aient chacune leur place, déterminée et fonctionnelle, dans une économie globale. Il ne s'agit pas de se lancer dans une chasse au dahu. Le lecteur soit prévenu d'un autre risque, celui-là inhérent à toute étude intellectuelle : le risque de l'erreur. Une différence fondamentale existe cependant entre l'erreur qui peut se rencontrer dans un manuel d'économie, de politique, d'ECJS, dans un discours de Laurence Parisot ou dans un rapport de Think Tank, et l'erreur bien involontaire qui pourrait entacher notre petit traité. L'une est délibérée ; l'autre malencontreuse. Le premier cas relève typiquement du « mensonge »; c'est une ficelle de manipulation, de sophistique ou d'éristique. Le second ressortit aux préjugés de la doxa, de l'opinion en tant qu'elle ne se fonde sur rien ; c'est une suppuration de l'ignorance. Aussi n'y voyons pas malice : un ignorant ne peut mentir (puisqu'il ignore la vérité), il ne peut que se tromper. S'il induit son lecteur en erreur, c'est qu'il en est lui-même la dupe. Si donc erreurs il 7 Copyrighted material y a, ayez pitié de leur auteur (lui signaler) ; car vous n'avez affaire qu'à des vestiges de son impéritie 1 . 1 Voilà qui fournit l'occasion d'une première digression. Une question pertinente consisterait à se demander comment, si l'on ne sait pas soi-même, discriminer le mensonge de l'erreur ; ou bien comment, si d'aventure l'on sait, être sûr que l'on sait, être sûr que l'on sait que l'on sait, et que ce que l'on sait est vrai. Comment, par suite, si l'on ne sait pas soi- même ou si l'on ne peut fonder la vérité de notre vérité, discriminer entre, d'une part, celui qui ne sait pas et croit savoir qu'il sait, et, d'autre part, celui qui sait savoir et sait effectivement? Peut-on confondre le menteur, discerner l'ignorant, sans disposer soi-même d'une intuition (au sens précis et cartésien) de la vérité ? Là réside toute l'ambiguïté des dialogues socratiques. Socrate, celui « qui ne sait rien » (mais « sait qu'il ne sait rien »), savant d'une ignorance, est le plus sage des hommes - mais pas le plus savant. Or, c'est armé seulement d'une ignorance qu'il confond l'ignorant au nom d'une vérité dont il ne dispose pas... ou plus. Car il l'a sue. Car il l'a oubliée. Car il s'en ressouvient. Car il l'a contemplée. Car il faut avoir su pour savoir qu'on a su et que la vérité nous faut ; avoir connu pour oublier et se ressouvenir. Socrate dispose donc bien d'un critère de la vérité, et ce critère est la reconnaissance. « On s'est pas déjà vu ? » demande le philosophe aux formes éternelles. « Je le savais ! » s'écrie l'élève au maître. 8 Copyrighted material Le darwinisme de l'argot Nous croyons salutaire et plus que nécessaire de rejeter l'option de recherche purement axiomatique, formelle, abstraite, promue par une sociolinguistique contemporaine par trop enflée ; d'une discipline dont le sacre universitaire s'est traduit par la néantisation. Une mise en garde sous couvert de reconnaissance. Choisir de ne rien dire, ou rien d'intéressant, ou rien d'intelligible, peut en effet conférer aux « chercheurs » cet avantage insigne de ne pas être exposés à la contradiction - ni à la pertinence. Ce qui, loin de leur faire hommage, ne rend pas moins absurde leur opiniâtreté (paresse ?) à vouloir disséquer un système linguistique à l'exclusion de son contexte (linguistique pure). Qu'à cela ne tienne. Notre entreprise, avec tous ses défauts, ne tombera pas dans ce travers. Au risque - mais c'est un risque à prendre - de basculer dans l'excès opposé. Posons d'abord quelques remarques préalables autour de ces curieux objets, la linguistique pour commencer, et pour conclure l'argot, dont les réformes successives imprègnent en filigrane notre propos. L'argot se dit en plusieurs sens. Il n'est pas monobloc, il n'est pas continu ; il est un poudroiement de langues et de dialectes parallèles rassemblés par commodité sous un titre commun. L'argot est donc d'abord et avant tout un terme générique. Il n'est pas inutile, à ce propos, de préposer en incipit, à la manière de tout manuel qui se respecte, quelques observations préliminaires. Somme toute, Jankélévitch ne confessait-il pas que la philosophie est toute entière préliminaire ? A moins, reprenait-il, que ce ne soit 9 Copyrighted material les préliminaires qui soient déjà philosophie. Aussi « préliminons » gaiement, sans avarice, donnons ses gages à la propédeutique. Qu'on se rassure, de tels prolégomènes n'ont rien d'indispensable. Les enjamber ne serait pas préjudiciable à la compréhension du corps de notre thématique. Aussi invitons-nous vivement notre lecteur à qui la linguistique donnerait de l'urticaire à sauter ce chapitre. La linguistique peut s'avérer, de fait, la pire et la meilleure des sciences. Encore faut-il s'entendre sur la définition qu'il y a lieu d'accoler au terme de « linguistique ». Définir ce qu'elle est : c'est là chose essentielle pour distinguer ce qui en est. Quel est son champ, sa méthode, sa limite, son objet ? Il est probable qu'il existe autant de définitions de la linguistique que de chercheurs en linguistique ; définitions barbares dont la plupart, au demeurant, n'ont d'autre fin que d'habiller son ignorance aux couleurs de l'érudition. On connaît mille et mille les définitions de Dieu, de l'homme, du mal et du bonheur : c'est qu'on ignore toujours - peut-être est-ce mieux ainsi - de quoi ils sont le nom. Pour n'en livrer qu'une épure consensuelle, de même que les mathématiques ne décrivent pas les choses, mais bien plutôt leurs relations, la linguistique ne décrit pas les langues, pas même leur contenu, mais leur métabolisme uploads/S4/ les-representations-sociales.pdf

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  • Publié le Apv 18, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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