1 LA LOYAUTE DANS LA PREUVE. Un principe résiduel, voire inutile ? DENIS GA
1 LA LOYAUTE DANS LA PREUVE. Un principe résiduel, voire inutile ? DENIS GARREAU Et si, en détournant la réflexion de Paul Valery à propos de la liberté (Regards sur le monde actuel, Œuvres T. 2, La Pléiade p. 951), la loyauté n’était rien d’autre que l’un de « ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens ; qui chantent plus qu’ils ne parlent ; qui demandent plus qu’ils ne répondent ; de ces mots qui ont fait tous les métiers, et desquels la mémoire est barbouillée de théologie, de métaphysique, de morale et de politique ; mots très bons pour la controverse, la dialectique, l’éloquence ; aussi propres aux analyses illusoires et aux subtilités infinies qu’aux fins de phrases qui déchainent le tonnerre » ? Avant d’apparaitre comme un concept juridique, le principe de loyauté s’inscrit dans l’ordre moral, dans l’éthique des comportements humains et des relations sociales. En témoignent les définitions données de ce terme : Loyauté : « Qualité de la chose ou de la personne qui est loyale. Loyauté de la conduite, des procédés » Et loyal : « - Qui est de la condition requise par la loi. Marchandise bonne et loyale. Vin loyal et marchand. Terme de palais. Loyaux coûts, les frais et loyaux coûts, les frais légitimement faits. Un bon et loyal inventaire, un inventaire fait fidèlement et régulièrement. - Qui obéit aux lois de l'honneur et de la probité. Homme loyal en affaires » (Littré). « Caractère loyal, fidélité à tenir ses engagements, à respecter les lois, les conventions qu’on a librement acceptées, à obéir aux règles de l’honneur et de la probité. Droiture, honnêteté, probité » (Le Grand Robert). Le sens commun du terme « loyauté » insiste sur la droiture et la fidélité dans les relations humaines et sociales mais l’origine latine « legalis » de l’adjectif « loyal » confirme aussi que la loyauté est le respect de la loi. Réfléchir à l’application du principe de loyauté dans la preuve reviendrait donc à examiner la question du respect de la loi dans la preuve. La preuve serait loyale quand elle serait conforme à la loi et cette tautologie amènerait alors à considérer que le principe de loyauté n’est pas l’un des éléments de la légalité mais la légalité elle- même. 2 Cette difficulté à donner un sens juridique précis au concept de loyauté explique peut-être que son utilisation en droit ne soit guère aisée et fréquente. Une recherche dans la jurisprudence du Conseil d’Etat à partir du site Legifrance fait apparaitre que le terme « loyauté » est utilisé principalement à propos des obligations des agents publics et des relations contractuelles. La recherche par l’usage des expressions « loyauté de la preuve » ou « loyauté dans la preuve » ne donne aucun résultat. La même recherche dans la base de données Arianeweb à partir des analyses du Conseil d’Etat et des conclusions des rapporteurs publics ne donne pas plus de résultats. La jurisprudence de la Cour de cassation est plus prolixe. Si la recherche dans Legifrance à partir des expressions « loyauté de la preuve » ou « loyauté des preuves » donne plusieurs dizaines de décisions, ce résultat est trompeur car la lecture de ces arrêts montre que ces expressions sont utilisées à travers la relation faite des moyens de cassation proposés. Cependant, le principe de loyauté dans l’administration de la preuve est employé par la Cour de cassation, associé à l’article 9 du code de procédure civile et à l’article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l’Homme, pour déterminer l’admissibilité des modes de preuve. La Convention européenne des droits de l’Homme ne fait pas référence à la loyauté et cette notion n’est pas employée dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg qui laisse d’ailleurs aux droits internes le soin de fixer les modes de preuve et se borne à vérifier qu’ils n’aboutissent pas à rendre la procédure juridictionnelle globalement inéquitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Dans le code de procédure civile, hormis l’article 1464 qui emploie la notion de loyauté à propos de la conduite de la procédure arbitrale, seul l’article 763 fait obligation au juge de la mise en état « de veiller au déroulement loyal de la procédure ». Le code de procédure pénale n’emploie le terme « loyauté » que dans la formule de serment du médiateur ou du délégué du procureur de la République fixé à l’article R 15-33-36 et l’article R 53-38 précise, à propos de l’usage des moyens de télécommunication dans la procédure, qu’ils doivent « assurer une retransmission fidèle, loyale et confidentielle à l'égard des tiers ». Et il n’y a nulle part dans les textes ou dans la jurisprudence l’affirmation que le principe de loyauté serait un principe directeur du procès (cf. l’avis de Mme. le premier avocat général Petit sous l’arrêt d’Assemblée plénière du 7 janvier 2011 (n° 09-14316 et 09-14667) et la doctrine citée à cet égard (cf. avis publié sur le site de la Cour de cassation). Les présentes lignes n’ont d’autre ambition que de présenter les réflexions – et la perplexité - d’un praticien sur l’application du principe de loyauté en matière de preuve. Ces réflexions, fruits d’un examen resté très incomplet de la jurisprudence et de la littérature publiée sur ce sujet d’une effrayante complexité, ont amené, à partir du sens commun donné au principe de loyauté, à s’interroger sur la manière dont il pouvait s’appliquer à la charge de la preuve (I), aux modes de preuve (II). Le principe de loyauté est-il utile ? I – La loyauté dans la charge de la preuve, expression du principe d’égalité des armes. La question peut se poser de l’application d’un principe de loyauté dans la charge de la preuve. En matière civile comme administrative et mise à part la procédure pénale où domine le principe de la présomption d’innocence, le principe est que chaque 3 partie supporte la charge des allégations et de la preuve des faits et des obligations nécessaires à la reconnaissance de ses prétentions : actori incumbit probatio. Ce principe est clairement exprimé par les articles 6 et 9 du code de procédure civile : « A l'appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d'alléguer les faits propres à les fonder ». « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Et, selon l’article 1315 du code civil, « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ». Le code de justice administrative ne connait pas de textes semblables. Pour autant, les mêmes principes sont mis en œuvre, de manière plus ou moins explicite, par le juge administratif mais d’une façon cependant plus atténuée à raison notamment du caractère inquisitorial de la procédure contentieuse administrative (cf. B. Pacteau, Répert. cont. adm. Dalloz, Preuve ; X. Domino et A. Bretonneau, chronique de la jurisprudence administrative, AJDA 17 décembre 2012, p. 2378 et s.). Mais l’application pratique de ces principes, fondés sur l’hypothèse théorique d’une égalité des parties face à la preuve, peut au contraire conduire à un débat déloyal car déséquilibré au profit de l’une de ces parties. L’exigence d’un débat loyal doit conduire à tenir compte de la plus faible aptitude de l’une des parties à apporter la preuve de ce qu’elle soutient ou de la circonstance que les éléments probants sont détenus par l’une des parties seulement (cf. Etude sur la preuve, rapport de la Cour de cassation pour l’année 2012, pp. 170 et 200). Dès lors, des correctifs doivent être apportés qui ont, pour objet, non pas de déplacer la charge de la preuve mais de la partager en instaurant un mécanisme de présomption simple et en précisant l’office du juge (A). Et ces correctifs peuvent trouver un fondement dans le principe de l’égalité des armes (B). A - Les correctifs au principe général. 1) – Ces correctifs peuvent d’abord être le fait du législateur, sur invitation du droit communautaire le cas échéant. a) – Un exemple fameux réside dans l’article L 1154-1 du code du travail relatif au harcèlement moral ou sexuel : « Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L 1152-1 à L 1152-3 et L 1153-1 à L 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. » 4 La jurisprudence de la Cour de cassation uploads/S4/ loyaute-dans-la-preuve.pdf
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- Publié le Jul 08, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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