Ohadata D-15-16 LE FONDEMENT JURIDIQUE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DU DIRIGEANT
Ohadata D-15-16 LE FONDEMENT JURIDIQUE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DU DIRIGEANT SOCIAL : INCIDENCES ENTRE DROIT PÉNAL INTERNE ET DROIT PÉNAL DES AFFAIRES OHADA Par Corneille MOUKALA-MOUKOKO Magistrat Hors Hiérarchie 1 ECOLE REGIONALE SUPERIEURE DE LA MAGISTRATURE (ERSUMA) COLLOQUE INTERNATIONAL DE DOUALA (CAMEROUN) Du 19 au 20 mars 2015 THEME : LA RESPONSABILITE DU DIRIGEANT SOCIAL EN DROIT OHADA SOUS-THEME : LA RESPONSABILITE PENALE MODULE : LE DIRIGEANT PENALEMENT RESPONSABLE Le fondement juridique de la responsabilité pénale du dirigeant social : Incidences entre Droit pénal interne et Droit pénal des affaires Ohada Corneille MOUKALA-MOUKOKO Magistrat Hors Hiérarchie Formateur certifié de l’E.N.M de Paris Formateur des Formateurs à l’Ersuma (Benin) Chargé de cours à l’ENAM et dans les Universités Ancien président du tribunal de commerce de Pointe-Noire Ancien Premier Président de la Cour d’Appel de Dolisie Ancien Procureur Général près la Cour d’Appel de Brazzaville Président de la Chambre de Conciliation et d’Arbitrage du Sport du Congo 2 INTRODUCTION Dans un élan et une volonté manifeste de garantir la sécurité juridique et judiciaire dans leurs pays respectifs, les Etats membres de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des affaires dite Ohada, avaient imaginé de créer un instrument simple et efficace tendant à l’élaboration et à l’application du droit des affaires dans leur aire d’installation. Le Traité de l’Ohada signé à Port-Louis le 17 octobre 1993 et révisé à Québec le 17 octobre 2008 a donc, en matière du droit pénal des affaires, consacré la méthode du renvoi législatif, en laissant la possibilité aux Etats-parties d’en déterminer les peines par l’entremise des parlements nationaux, au regard des dispositions de l’article 5 dudit Traité qui dispose que « les actes uniformes peuvent inclure des dispositions d’incrimination pénale. Les Etats parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues ». Le constat fait à ce jour démontre que sur les dix sept (17) pays qui constituent actuellement l’espace Ohada, cinq (5) seulement ont déjà légiféré. Ces cinq pays qui font office de pionniers sont le Sénégal, le Cameroun, la République Centrafricaine, le Bénin et le Congo-Brazzaville. Le Sénégal a prévu les peines à travers la loi n°98-22 du 26 mars 1998 portant sur « les sanctions pénales applicables aux infractions contenues dans l’acte uniforme relatif aux droits de sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique ». Le Cameroun par la loi n°2003/008 du 10 juillet 2003 portant « Répression des infractions contenues dans certains actes uniformes Ohada ». La République Centrafricaine a introduit « les sanctions relatives aux infractions incriminées dans les actes uniformes Ohada » dans la loi n°10.001 du 06 janvier 2010 portant Code pénal Centrafricain. Dans la loi n° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant « lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin », le législateur de ce pays a incorporé aux chapitres X et XI « les infractions relatives aux Actes uniformes de l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique(Ohada) » et « la banqueroute ». La République du Congo qui avait ratifié le Traité Ohada en vertu de la loi n°17- 97 du 28 mai 1997, a pris la loi n°12-2013 du 28 juin 2013 portant « sanctions pénales aux infractions prévues par les actes uniformes du traité de l’Ohada relatifs au droit commercial général, au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, au droit comptable, au droit des sûretés et au droit des procédures collectives d’apurement du passif ». 3 Dans l’exposé des motifs du projet de la loi désormais adoptée, il est précisé que cette loi est « un arsenal juridique complémentaire qui combine les peines d’emprisonnement contenues dans le code pénal en vigueur en République du Congo avec celles des amendes prévues par la nouvelle loi n°19-2005 du 24 novembre 2005 portant réglementation de la profession de commerçant en République du Congo ». Et d’ajouter que « ces sanctions visent essentiellement un objectif de dissuasion et de moralisation du milieu d’affaires ». Sur ce point, on ne pouvait mieux dire car, à la lecture des peines d’amendes édictées, on peut se demander quelles ont été les motivations fondamentales qui ont guidé le gouvernement et le législateur congolais pour crever tous les plafonds érigés par les autres Etats membres de l’Ohada avant eux. Enfin, il est annoncé aussi que « cette législation est nécessaire dans le contexte actuel de notre pays pour combler le vide juridique répressif existant et atteindre par la sanction, la délinquance économique et financière de plus en plus croissante et de plus en plus décriée tant par les pouvoirs publics que par l’opinion ». Dans le même ordre d’idées, le législateur sénégalais affirme que « la pénalisation est faite pour se conformer au Traité Ohada mais les peines se doivent d’être conformes au système pénal sénégalais ». Le droit pénal des affaires Ohada est donc basé sur deux sources principales, à savoir, la loi nationale retenue par le souci de protéger la souveraineté des Etats, et les actes uniformes de l’Ohada ayant pour substratum le Traité. Ce texte supranational consacre du coup un dualisme qui veut que les incriminations soient prévues par un certain nombre d’Actes uniformes, tandis que les sanctions y afférentes sont édictées par les Etats membres de l’Ohada. Il y a du coup un éclatement voulu de l’élément légal de l’infraction. Le partage de compétence entre l’Ohada qui, à travers les Actes uniformes, énonce les éléments matériels et moraux des comportements répréhensibles dans le domaine des affaires, et les pays membres de l’Organisation qui ont pris l’engagement d’établir les peines requises pour chaque infraction, permet d’élaguer les susceptibilités des Etats qui sont très sourcilleux quant à la préservation de leur souveraineté en matière de détermination des comportements constitutifs d’infractions et de fixation des peines à leur appliquer. La souveraineté ! Ce concept qui désigne un pouvoir au-dessus de tous autres auxquels il ne doit ni ne peut se soumettre, suppose qu’il est impérieux de respecter l’autorité de chaque Etat qui de ce fait, ne peut et ne doit non plus être privé ou spolié de cet élément important de sa puissance suprême qu’est le pouvoir de légiférer en matière pénale, au profit d’un autre organe, fût-il supranational. 4 Jean-Jacques ROUSSEAU disait déjà de ce principe abstrait d’autorité suprême que « la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible ». Grâce à la souveraineté, l’Etat s’interdit toute intervention ou autres diktats venant d’ailleurs, et son autorité lui permet de mettre en exergue les pouvoirs qu’il détient à l’intérieur de ses frontières. C’est de cette façon qu’il est habilité à légiférer à travers des organes régulièrement installés et à rendre la justice par le biais des juges œuvrant au sein des juridictions. Cette considération avait inspiré les rédacteurs des instruments de l’Ohada qui, dans le Traité, après avoir énuméré les matières qui entrent dans le domaine du droit des affaires, n’ont pas osé y inclure le droit pénal des affaires Mais la souveraineté n’est pas une notion si rigide qui contraindrait un Etat à vivre en autarcie, se passant royalement d’autres nations. Loin s’en faut ! On ne peut jamais se suffire à soi-même. D’où, la nécessité d’abandonner parfois cet amour-propre étatique afin de coopérer avec d’autres Etats ou institutions en contractant des engagements internationaux lorsque l’intérêt commun l’exige. C’est dans cette optique que plusieurs pays de la zone franc avaient volontairement abandonné une portion de leur souveraineté en matière législative et judiciaire, en vue de la création d’un cadre qui encouragerait les opérateurs économiques nationaux et étrangers à investir dans un environnement juridique et judiciaire propice à leurs affaires. En effet, par le fait qu’ils ont accepté de signer le Traité, les Etats parties ont librement accepté les limitations de leur souveraineté pour privilégier l’intérêt régional. C’est ce qui justifie l’immixtion du droit Ohada dans l’ordonnancement juridique des Etats-Parties qui ont donc l’obligation d’édicter les sanctions applicables aux incriminations fixées. . Le constat fait révèle qu’il n’existe pas dans l’ordre communautaire un Acte uniforme spécifique consacré aux infractions qui sont susceptibles d’être commises dans le cadre économique. Des dispositions y relatives sont plutôt disséminées dans plusieurs Actes uniformes de l’Ohada. Fait singulier, l’Ohada n’a même pas voulu sacrifier à l’usage qui consiste à intituler les incriminations qu’elle a créées. On observe cependant qu’en établissant ce concours de compétence normative, le droit Ohada fait fondamentalement fi du sacro-saint principe de la légalité. En effet, en droit pénal, on connaît le principe selon lequel « il n’y a pas d’infraction, pas de peine sans texte ». Ce principe de la légalité est contenu dans l’adage latin « nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege » qui impose que les crimes et les délits soient légalement définis avec clarté et précision, ainsi que les peines y afférentes. 5 Dès lors, une action ou une abstention, si préjudiciable qu’elle soit à l’ordre social, ne peut être sanctionnée par le juge que lorsque le législateur l’a visée dans un texte et interdite sous la menace d’une peine. De toutes les règles qui sont consacrées par le droit uploads/S4/ le-fondement-juridique-de-la-responsabilite-penale-du-dirigeant-social-incidences-entre-droit-penal-interne-et-droit-penal-des-affaires-ohada.pdf
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- Publié le Jul 29, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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