PROBATION junior ● 67 L’influence des regles penitentiaires Europeennes dans la

PROBATION junior ● 67 L’influence des regles penitentiaires Europeennes dans la protection des personnes detenues Nadia BEDDIAR77 Enseignant-Chercheur Dr. Centre de Recherche en Droit Pénitentiaire, Lille, France Les règles pénitentiaires européennes, adoptées par les Etats membres en 2006, forment un instrument juridique intéressant qui énoncent l’ensemble des principes régissant la privation de liberté de tout individu et qui traduit un consensus dans l’objectif d’amélioration des conditions de détention en Europe, grâce à la définition d’un standard minimum des fondements régissant la vie carcérale. Bien que prenant en compte des catégories fragiles de la population carcérale telles que les mineurs, le texte présente certaines faiblesses qui nuisent principalement à l’harmonisation des politiques pénitentiaires, selon les Etats et réduisent l’efficacité de la protection des droits des détenus. Introduction Les institutions européennes s’efforcent, dans une démarche complémentaire, de poursuivre le travail de modernisation amorcé par les organes internationaux, en particulier l’Organisation des Nations Unies. Partageant les mêmes valeurs, les institutions européennes demeurent à un niveau privilégié, car elles introduisent une plus grande proximité et un plus grand contrôle des engagements pris par les États en matière de privation de liberté. Contrairement au Pacte international des Nations Unies relatifs aux droits civils et politiques qui vise expressément les personnes privées de liberté, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a étendu de manière relativement récente, sa compétence envers le domaine de l’exécution des peines afin de contrôler le respect de la Convention Européenne des droits de l’Homme, appliquée au milieu pénitentiaire. Cette Convention, d’application directe, se distingue par sa grande richesse au regard des valeurs qu’elle porte et ce caractère lui donne une exceptionnelle singularité en vue de garantir les droits individuels les plus élémentaires. Elle se montre particulièrement vigilante concernant les conditions de détention des personnes vulnérables comme les mineurs. En vue de parvenir à cet objectif, la Convention travaille en liaison avec d’autres organes78 jouant un rôle important et dont les attributions visent naturellement, la mise en œuvre du dispositif protecteur des droits de l’Homme. 77 nadia.beddiar@univ-lille2.fr 78 Il s’agit notamment de la Commission européenne des droits de l’homme, du Comité des ministres du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’homme. PROBATION junior ● 68 Cette organisation en vue de la défense de valeurs universelles marque incontestablement, un mouvement de progrès collectif sans précédent en Europe. La volonté de parvenir à une protection solide des droits de la personne privée de liberté se retrouve d’ailleurs, exprimée à travers une formulation symbolique, bien connue de la Cour, selon laquelle «la justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons»79. Ce mouvement général favorise alors, la reconnaissance des droits fondamentaux de l’ensemble des détenus, préalable indispensable à une protection juridique effective. Cet objectif, partagé par l’ensemble des États signataires, a suggéré la mise en place d’instruments qui sont mis à la disposition des États. Ainsi, le développement d’une logique commune favorise une harmonisation des pratiques pénitentiaires et traduit l’expression d’une volonté déterminée d’améliorer le fonctionnement des structures pénitentiaires. Les performances des autorités pénitentiaires seront alors appréciées selon la mise en œuvre des règles pénitentiaires européennes (RPE), instruments juridiques relativement récents et en constante évolution, permettant un accompagnement des États vers la réalisation des prescriptions européennes et donc, la consolidation du statut juridique du détenu. Le rôle des règles pénitentiaires européennes dans la prise en charge des détenus Les règles pénitentiaires européennes sont le fruit d’une évolution progressive, aux multiples influences, et peuvent être perçues comme le prolongement des dispositions présentes dans la Convention, selon une spécialisation des règles adaptées au milieu carcéral. D’ailleurs, les règles pénitentiaires européennes s’inspirent de sources telles que les arrêts de la Cour européenne, les rapports annuels du Comité de prévention de la torture80, les textes de l’Organisation des Nations Unies. Elles détiennent, dans leur portée, une valeur symbolique importante pour l’administration pénitentiaire de chaque État. Cet ensemble de normes constitue le moteur principal de l’évolution des autorités pénitentiaires et participe à la modernisation de la prise en charge des détenus. Dans la logique européenne, cet objectif passe par une généralisation ou plutôt une harmonisation des standards européens régissant les conditions de détention. 79 Cour européenne des droits de l’Homme, 28 juin 1984, Campbell et Fell c/Royaume-Uni, série A, n°80, pp. 68-69. 80 Voir 15ème rapport général annuel du CPT pour 2005, Tout d’abord, il convient de souligner qu’il existe un haut niveau de concordance entre les RPE et les principes et recommandations contenus dans les rapports de visite du CPT, ainsi que dans les rapports généraux d’activités, p. 50. PROBATION junior ● 69 Si les règles pénitentiaires invitent les États du Conseil de l’Europe à améliorer les conditions de détention, y compris des détenus fragiles comme les mineurs, la finalité des règles pénitentiaires vise aussi au développement d’un axe de contrôle diligenté par les autorités européennes. Néanmoins, le contenu de ces règles européennes se révèle difficilement conciliable avec les impératifs supportés par les États. Les Règles pénitentiaires européennes, un instrument de modernisation certain La prise en compte des lacunes attachées aux RPE dans leur version de 197381 et de 198782 a conduit à une récente révision de ce dernier texte dont la portée est, à présent, plus claire et davantage exhaustive (1). Ainsi, cette volonté de relecture des RPE permet d’étendre le champ d’application du texte, d’abord à des catégories «oubliées» de la population carcérale, à savoir les mineurs (2). Elle a ainsi, permis au texte de devenir un outil plus complet et plus pratique, adapté aux enjeux de l’activité pénitentiaire. La portée des nouvelles règles pénitentiaires européennes Face à l’évolution générale du milieu carcéral et aux enjeux des politiques pénitentiaires, la nécessité de mettre à jour les règles pénitentiaires européennes a été rappelée dans la résolution n°4 de la 26ème conférence des Ministres Européens de la Justice. Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe procéda à la mise à jour de la recommandation (87)3 sur les règles pénitentiaires européennes, le 11 janvier 2006, lors de la 952ème réunion des délégués des ministres, sous la forme de la recommandation (2006)2. Les nouvelles règles pénitentiaires européennes constituent une avancée majeure dans le cadre de l’amélioration des conditions de détention et leurs régulières révisions assurent nécessairement, la cohérence du dispositif83. Elles ont été l’occasion d’une contribution accrue de la part des autres acteurs européens, le comité européen de prévention de la torture notamment84. 81 Le 19 janvier 1973, le Conseil des ministres du Conseil de l’Europe adopta une recommandation (73)5 portant sur un ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. 82 Recommandation n° (87)3 du 12 février 1987, Strasbourg, 1987. 83 Article 108 de la recommandation: «Les règles pénitentiaires européennes doivent être mises à jour régulièrement». 84 Le Conseil de coopération pénologique, le Parlement européen (Recommandation 2003/2188 à destination du Conseil sur les droits des détenus dans l’Union européenne, doc. P5_TA (2004)0142, 9 mars 2004) et les Ministres Européens de la Justice – Résolution n° 4 relative à la l’actualisation des Règles pénitentiaires européennes et à une éventuelle Charte pénitentiaire européenne, MJU-26 (2005), Résol. 4 final, 8 avril 2005, ont également participé à l’entreprise. PROBATION junior ● 70 Elles sont le produit d’une expertise, issue de la philosophie scandinave de la condition pénitentiaire à travers le concept de «normalisation» de la vie en détention, très présent en Suède85. Cette nouvelle version des règles pénitentiaires européennes parait plus précise dans la définition et l’énonciation des objectifs. Elles définissent la «qualité» minimum que doit présenter la prise en charge pénitentiaire, conformément au respect des droits fondamentaux. Cet instrument, adopté par de nombreux Etats européens, consiste en 108 règles, elles mêmes divisées en sous règles, relatives aux droits fondamentaux de la personne détenue, aux régimes de détention, au contrôle des établissements pénitentiaires. Ces règles s’appuient sur les règles antérieures, datant de 1987 et sur les principes énoncés par la Convention, mais abordent de nouvelles questions, non soulignées par les règles antérieures. Ainsi, elles visent à répondre aux enjeux contemporains de la privation de liberté tels que la réinsertion et à contribuer au développement du sens de la peine et de la légalité. Elles mettent l’accent sur des aspects concrets de la détention comme les conditions de la détention provisoire ou la place de l’administration pénitentiaire dans ses missions liées à la sécurité et à la gestion des détenus. Concernant leur mode d’élaboration, il est à déplorer que ces règles, contenues dans une recommandation, ne présentent qu’un caractère déclaratoire et ne soient revêtues d’aucun pouvoir contraignant ou obligatoire vis-à-vis des États membres auxquels elles s’adressent. Elles forment donc un droit facultatif et accessoire, car l’absence de contrainte correspond à une absence de sanction, en cas de non respect de ces normes par un État. Néanmoins, l’efficacité des règles pénitentiaires européennes et l’influence qu’elles ont sur les États membres, est tributaire d’une communication efficace, supportée par une publicité large qui affirme leur autorité. Elles exercent alors, une véritable pression sur les États, qui tendent à les ériger idéalement en instrument d’orientation des politiques pénitentiaires. L’Administration pénitentiaire de chaque uploads/S4/ nadia-beddiar-l-x27-influence-des-regles-penitentiaires-europeennes-dans-la-protection-des-personnes-detenues-vol-iii-no-2.pdf

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  • Publié le Nov 13, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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