47 LA SOUVERAINETE DE L’ASSEMBLEE GENERALE DES ACTIONNAIRES DANS LA SOCIETE ANO
47 LA SOUVERAINETE DE L’ASSEMBLEE GENERALE DES ACTIONNAIRES DANS LA SOCIETE ANONYME Ahmed OMRANE Doyen de la Faculté de Droit de Sfax Le droit commercial et le droit constitutionnel sont a priori deux disciplines juridiques que tout sépare et que rien ne rapproche. Le droit commercial1 est un droit mercantile fondé sur la spéculation2. Le droit constitutionnel, en revanche, est le droit qui régit le gouvernement de l’Etat dépositaire de l’intérêt général. Et pourtant, les analogies sont frappantes entre les deux disciplines juridiques. Partant d’une constatation, devenue par la suite évidente, et selon laquelle « pour que l’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », Montesquieu distinguait trois pouvoirs autonomes, dont les fonctions sont nettement différenciées et qui se contrebalancent et coopèrent au gouvernement des Etats, à savoir le législatif qui vote la loi, l’exécutif qui veille à l’exécution des lois, dispose pour ce faire de l’administration et peut édicter des mesures à 1 Le droit commercial est classiquement défini comme l’ensemble des règles de droit privé applicables aux commerçants et aux actes de commerce. Cette définition fait apparaître d’emblée l’une des ambiguïtés de la matière, tenant à la coexistence de deux conceptions. Dans la conception subjective, le droit commercial est le droit des commerçants : il s’agit d’un droit professionnel et dont l’application est déclenchée par la qualité des personnes en cause. Dans la conception objective, le droit commercial est le droit des actes de commerce, c'est-à-dire des opérations commerciales : son application est conditionnée non pas par la profession de l’intéressé mais par la nature de l’acte ou, plus largement, par la réunion de certaines circonstances objectivement définies. D’une manière générale, on peut définir le droit commercial comme étant une branche spéciale du droit privé qui régit l’activité commerciale, c'est-à-dire le monde des échanges économiques. 2 Considérée par certains auteurs comme constituant le fondement même de la commercialité (Lyon-Caen et Rénaud, Traité de droit commercial, Tome premier, n° 103), la spéculation est l’opération qui consiste à profiter des fluctuations du marché pour réaliser un bénéfice. L’article 2 du code de commerce en cite comme exemples l’achat, la vente ou la location de biens quels qu’ils soient, les opérations de change, les opération de banque et les opérations de bourse. 48 caractère réglementaire, et le judiciaire chargé de l’administration de la justice. Or, si ce modèle, qui a été repris par toutes les constitutions des Etats qui se veulent démocratiques, visait dans l’esprit de Montesquieu, les institutions publiques, il semble avoir influencé le droit des sociétés et principalement l’organisation du pouvoir dans la société ou ce qu’il est convenu d’appeler le gouvernement d’entreprise. C’est ainsi que la société anonyme s’est progressivement orientée vers un mode qui ressemble à un Etat notamment au niveau de son organisation. L’exécutif est représenté par le directoire ou le conseil d’administration et le président directeur général3, le juridictionnel est composé des commissaires aux comptes institués dans le but de suppléer la défaillance des actionnaires qui ne s’intéressent que de loin à la marche de la société s’il n’existe pas dans la société anonyme un pouvoir juridictionnel comme l’a envisagé Montesquieu pour l’Etat, il existe une institution quasi-juridictionnelle qui est le commissaire aux comptes, et qui rappelle la Cour des Comptes chargée de contrôler la régularité de la dépense publique et de la commission consultative d’entreprise4 qui pourrait faire 3 Le code des sociétés commerciales renferme le choix entre trois formules d’organisation des pouvoirs de direction pour les sociétés anonymes. Une formule classique avec un conseil d’administration et un président directeur général, ou bien un conseil d’administration et la possibilité de dissociation des fonctions de président du conseil d’administration et celles de directeur général. Enfin, la dernière innovation du législateur tunisien avec la formule de direction dualiste avec un directoire et un conseil de surveillance. 4 L’article 157 du code du travail dispose qu’ « il est institué dans chaque entreprise régie par les dispositions du présent code et employant au moins quarante travailleurs permanents, une structure consultative dénommée « commission consultative d’entreprise ». L’article 158 du code du travail ajoute que « la commission consultative d’entreprise est composée d’une façon paritaire de représentants de la direction de l’entreprise dont le chef d’entreprise et de représentants des travailleurs élus par ces derniers. La commission est présidée par le chef d’entreprise ou, en cas d’empêchement, son représentant dûment mandaté ». L’article 160 du code du travail précise que « la commission consultative d’entreprise est consultée sur les questions suivantes : a- l’organisation du travail dans l’entreprise en vue d’améliorer la production et la productivité ; b- les questions se rapportant aux œuvres sociales existantes dans l’entreprise au profit des travailleurs et de leurs familles, c- la promotion et le reclassement professionnel, d- l’apprentissage et la formation professionnelle, 49 figure de conseil économique et social. Le législatif est représenté par les assemblées générales des actionnaires5 qui contrôlent l’action des organes de gestion. Chaque organe a ses fonctions propres et influe sur les décisions des autres. En droit constitutionnel, cette branche juridique « dont l’objet est l’étude des règles régissant l’organisation et l’exercice du pouvoir »6, le concept de souveraineté fait l’objet d’usages multiples. La souveraineté constitue l’élément caractéristique de l’Etat. Le vocable souverain peut désigner soit le chef de l’Etat soit le peuple, et on parle aussi de la souveraineté de la loi ou de la souveraineté du parlement7. Or, traitant la question relative à la situation dans laquelle les pouvoirs ou les organes de la société se trouvent placés les uns par rapport aux autres, la doctrine commercialiste n’a pas hésité à parler de la souveraineté de l’assemblée générale des actionnaires8 qui apparaît, au vu de la loi, comme « l’âme e- la discipline et dans ce cas la commission s’érige en conseil de discipline et applique la procédure fixée par les textes législatifs, réglementaires ou conventionnels régissant l’entreprise ». 5 Il existe plusieurs sortes d’assemblées. En plus des assemblées constitutives qui votent les statuts et nomment les premiers organes de la société, la loi distingue trois catégories d’assemblées : 1- Les assemblées générales extraordinaires ont compétence pour modifier les statuts. 2- Les assemblées générales ordinaires, assemblées de droit commun, prennent toutes les décisions qui excèdent la gestion courante de la société sans pour autant impliquer une modification des statuts (approuver les comptes de l’exercice, statuer sur la répartition des bénéfices, nommer les administrateurs et les commissaires aux comptes). 3- Les assemblées spéciales : Ce sont des assemblées extraordinaires réunissant les titulaires d’actions d’une catégorie déterminée. 6 Néji BACCOUCHE, Droit constitutionnel, souveraineté et suprématie, Etudes juridiques, Revue publiée par la Faculté de Droit de Sfax, N° 11, 2004, p. 7, spécialement n° 5. 7 Néji BACCOUCHE, Droit constitutionnel, souveraineté et suprématie, Etudes juridiques, Revue publiée par la Faculté de Droit de Sfax, N° 11, 2004, p. 7. 8 Au plan sémantique, le mot souveraineté n’a pas subi de mutation majeure depuis son apparition vers la fin du treizième siècle. En tant que concept juridique, la souveraineté a reçu plusieurs acceptions. La définition la plus classique est celle de Jean Bodin pour lequel « la souveraineté est la puissance absolue et perpétuelle d’une République » (Jean Bodin, Les six livres de la République, Livre premier, Chapitre VIII, De la souveraineté…). Maurice Hauriou estime qu’il existe « une 50 de la personne morale »9. La souveraineté de l’assemblée générale est d’abord une souveraineté puissance apparaissant à travers l’importance de ses attributions. En effet, si, comme l’affirme Paillusseau, « la souveraineté consiste dans l’aptitude à détenir la plénitude des compétences », c’est l’assemblée générale des actionnaires qui détient les pouvoirs les plus importants dans la société. Elle détient ainsi la puissance législative. Au même titre que l’Etat qui reste soumis au respect de la législation et notamment aux dispositions constitutionnelles, la société anonyme est également soumise à la même obligation. Tous les actes accomplis par les organes de la société doivent être conformes aux statuts. Or, ces statuts doivent être approuvés par l’assemblée générale constitutive10, et peuvent être modifiés par l’assemblée générale extraordinaire. A ce titre, celle-ci peut augmenter le capital social11 ou le souveraineté de gouvernement, une souveraineté de sujétion (qui sera celle de la nation) et une souveraineté de la chose publique » (Hauriou (M), La souveraineté nationale, Recueil de législation de Toulouse, 1912, p. 96). Carré de Malberg a identifié trois acceptions de la souveraineté. Dans son sens originaire, le mot souveraineté désigne le caractère suprême de la puissance publique. Dans une seconde acception, il désigne l’ensemble des pouvoirs compris dans la puissance de l’Etat. Enfin, il sert à concrétiser la position qu’occupe dans l’Etat le titulaire suprême de la puissance étatique et, ici, la souveraineté est identifiée avec la puissance de l’organe (R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, tome premier, p. 69 et s. La notion française de souveraineté. Paris, Sirey, 1920, Réimp. C.N.R.S. 1962 spécialement p. 79). Michel Troper a affiné la troisième de ces acceptions et uploads/S4/ omrane.pdf
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- Publié le Fev 01, 2021
- Catégorie Law / Droit
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