Pouvoir constituant dérivé et contrôle du respect des limites Norme fondamental
Pouvoir constituant dérivé et contrôle du respect des limites Norme fondamentale, la constitution se doit d’être stable. Cette stabilité ne signifie pas immuabilité ou intangibilité du texte. Au contraire, la constitution ne peut être pérenne qu’à condition qu’elle admette des adaptations ponctuelles. Autrement dit, la rigidité des constitutions écrites ne doit pas exclure une certaine dose de plasticité. Ce « seuil de malléabilité » peut objectivement se mesurer à la marge de manœuvre dont dispose le pouvoir de révision, c'est-à-dire à la nature et à l’intensité des limites, textuelles ou autres, qui lui sont imposées. Si on considère que ces limites sont les dispositions constitutionnelles, de forme ou de fond, qui bénéficient d’une « immunité » et qui, à ce titre, ne peuvent être l’objet de révision, un certain nombre de questions surgissent. Car si on postule que le pouvoir constituant est souverain, comment accepter que celui-ci soit limité ? Sous cet angle, la marque de la souveraineté du pouvoir constituant ne résiderait-elle pas, paradoxalement, dans le franchissement possible des limites plus que dans leur respect ? Et pour autant, ne doit-on pas admettre que les limites constitutionnelles ne sont pas des atténuations de la souveraineté du constituant puisque s’appliquer des normes que l’on s’est données n’est pas renoncer à sa souveraineté mais bien l’exercer ?1 On le voit, la présence de limites à l’exercice du pouvoir constituant dérivé, dont Locke, Rousseau mais surtout Siéyès2 ont systématisé l’existence, interroge sur l’étendue de sa compétence. Interrogation d’autant plus légitime si on admet que le respect de ces limites doive être assuré par le juge. Ainsi, en aval, le contrôle juridictionnel du franchissement des limites par le constituant dérivé suppose, en amont, l’identification des limites imposées par le constituant originaire. De l’utilité (I) découle l’effectivité des limites (II). 1 Dans ce sens voir S. RIALS, R.D.P., 1984, pp. 587-606. 2 « Les lois constitutionnelles dont dites fondamentales, non pas en ce sens qu’elles puissent devenir indépendantes de la volonté nationale, mais parce que les corps qui existent et agissent pour elles ne peuvent point y toucher. Dans chaque partie, la constitution n’est pas l’ouvrage du pouvoir constitué, mais du pouvoir constituant », cité in D.-G. LAVROFF, Le droit constitutionnel de la Vème République, 3ème édition, Dalloz, 1999, p. 107. 1 I – Des limites imposées au pouvoir de révision Il convient ici de réfléchir à « l’utilité » des limites sans laquelle il n’y pas d’intérêt ou d’enjeu pour le constituant dérivé de les respecter. Ce sont avant tout les justifications des limites (A) qui renseignent sur leur variété dans les constitutions contemporaines (B). A – Les justifications des limites Les principales justifications peuvent être regroupées en deux catégories, l’une concernant le pouvoir constituant dérivé, l’autre concernant le texte constitutionnel. S’agissant du titulaire du pouvoir de révision d’abord. Même si l’existence juridique du constituant dérivé peut prêter à discussion, il n’en reste pas moins qu’en tant que pouvoir politique, c'est-à-dire pouvoir apte à poser des actes en vertu d’une norme, il est un pouvoir constitué. La doctrine le qualifie d’ailleurs de pouvoir constituant dérivé ou institué. A ce titre, il présente des caractéristiques bien distinctes de celles du constituant originaire. Il n’est, bien évidemment, pas initial, pas plus qu’il n’est autonome, inconditionné ou illimité. Il n’est donc pas souverain au sens où s’exerce la souveraineté, pleine et entière, du pouvoir originaire. Sa souveraineté, c'est-à-dire ici sa compétence, consiste plutôt à faire tout ce qui ne nuit pas au constituant originaire, pour paraphraser la définition de la liberté donnée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c'est-à-dire tout ce qui reste dans les limites des prescriptions du constituant originaire. La logique formelle du droit exige en effet qu’il n’y ait qu’un titulaire de la souveraineté. Ne pas poser de limites au pouvoir de révision reviendrait à le mettre sur le même pied que le pouvoir constituant et considérer de la même manière le souverain et ses représentants. Autrement dit, d’un point de vue organique, l’existence de limites se justifie par le souhait de faire respecter la volonté du souverain par les instances qui ont été crées par lui3. 3 En ce sens, D.-G. LAVROFF, op. cit., pp. 107 et s. 2 S’agissant du texte maintenant, l’intérêt des limites est plus facilement perceptible. Elles permettent, d’une part, de préserver l’esprit de l’œuvre du constituant originaire à travers le temps et, d’autre part, de garantir un optimum de stabilité constitutionnelle possible du texte4. Les deux raisons sont en réalité liées. Car les auteurs des constitutions estiment bien souvent que leur texte est d’une grande valeur et qu’il est voué à l’éternité. Pour ce faire, il est important d’y prévoir des « verrous constitutionnels » qui permettent au texte de traverser les crises et les époques, la stabilité de la constitution étant alors le préalable à légitimité de l’action des gouvernants et à la connaissance des procédures démocratiques par les gouvernés. Sous cet angle, la rigidité d’une constitution est d’ailleurs peut-être la limite formelle la plus contraignante, c'est-à-dire la plus protectrice du texte fondamental, même si elle est un « état » de la constitution et non une « prescription » objective de celle-ci, comme les différentes clauses d’interdiction qu’une constitution peut connaître. B – La nature des limites On a pu constater que, sur le plan théorique, encadrer le pouvoir dérivé titulaire du pouvoir de révision était loin d’être incongru. Ce qui se vérifie aussi sur un plan plus pratique puisque près de 40% des Etats sur 170, à l’exception des pays d’Amérique du Nord5, prévoient des limites dans leurs constitutions6. Il ne semble pas, en outre, qu’il y ait de corrélation entre l’existence de limites dans le texte constitutionnel et le système de droit du pays concerné, ces pays se répartissant sur tous les continents. De surcroît, ces limites touchent de plus en plus de domaines mais peuvent aisément se répartir en limites formelles et en limites matérielles. Il faut d’ailleurs ici relever que le Conseil constitutionnel français semble distinguer « limites » et « interdictions » qui s’imposent au constituant dérivé. Ainsi, dans sa décision Maastricht II, du 2 septembre 1992, il reconnaît qu’il est loisible au pouvoir 4 Optimum et non maximum car une stabilité maximale reposerait sur une quasi-impossibilité de révision, ce qui est bien peu réaliste. Alors qu’une stabilité optimale cherche réaliser un certain équilibre entre la protection du texte, qui est privilégiée, et un mécanisme de révision qui rend malgré tout possible les adaptations ponctuelles du texte. 5 Les développements qui suivent sont construits à partir des informations tirées de la base de recherche sur les constitutions du monde, www.aidc.org.tn. 6 Voir Ch. GADDES, Pouvoir constituant et limites matérielles au pouvoir de révision de la constitution, in Colloque « Le pouvoir constituant aujourd’hui », Cinquièmes journées tuniso-françaises de droit constitutionnel, Tunis, 16-17 novembre 2006, à paraître aux Presses universitaires de Tunis. 3 constituant, en tant que souverain, « d’abroger, de modifier ou de compléter les dispositions de valeur constitutionnelle » mais sous réserve, d’une part de certaines limitations et, d’autre part, de certaines interdictions. En réalité, les limitations semblent davantage renvoyer aux limites formelles alors que les interdictions, plus absolues, renvoient aux limites de fond. S’agissant donc, d’abord, des limites formelles. Elles s’apparentent bien souvent à des interdictions conditionnelles de réviser : la constitution est insusceptible de modification à une période particulière ou dans certaines circonstances. Les limites formelles semblent donc avant tout temporelles ou circonstancielles. Ainsi, la constitution française interdit la révision en cas de « vacance ou d’empêchement définitif du président de la république » (art. 7), en cas de « mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels » (art. 16) ou en cas « d’atteinte à l’intégrité du territoire » (art. 89). Dans le même esprit, en Belgique, aucune révision en peut intervenir « en temps de guerre ou lorsque les chambres sont empêchées de se réunir librement sur le territoire fédéral » (art. 196). En Espagne, au « temps de guerre » (art. 169), s’ajoutent les hypothèses de « l’état de siège », « l’état d’alerte » ou « l’état d’exception » (art. 116). De la même manière, en Moldavie, l’article 141al.3 de la constitution prohibe les révisions en période d’état d’urgence, d’état de siège, période de guerre ou en cas d’atteinte à l’intégrité du territoire. L’article 101 de la constitution de République centrafricaine, quant à elle, interdit seulement de réviser en cas de vacances de la présidence de la république ou s’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. Limitation également reprise par l’article 165al2 de la constitution du Burkina-Faso. Les exemples choisis sont volontairement divers et montrent donc bien la banalisation du recours aux limites formelles. Un constat semblable peut-être fait concernant les limites matérielles. Les limites matérielles se rapprochent des interdictions absolues de réviser. Elles touchent un des fondements, une des valeurs cardinales de la constitution et de l’Etat et, à ce titre, bénéficient d’une protection maximale. Ainsi, L’article 79al3 de la loi fondamentale allemande prohibe toute révision qui toucherait uploads/S4/ pouvoir-constituant-derive-et-controle-du-respect-limites.pdf
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- Publié le Dec 07, 2021
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