Précis de méthodologie juridique, publications des facultés universitaires Sain

Précis de méthodologie juridique, publications des facultés universitaires Saint-Louis, 2000 Voici le lien vers cette publication: Précis de méthodologie juridique - Introduction - Presses de l’Université Saint- Louis (openedition.org) Introduction, p29-34 11. Connaître le droit, c'est, dans notre système juridique, d'abord connaître « la loi »1. Cette vérité élémentaire est trop souvent perdue de vue, et pas seulement par les étudiants... Toute étude juridique suppose la recherche et la lecture attentive des textes relatifs à la matière examinée. 2Par « législation », on entend ici l'ensemble des règles générales de conduite édictées par les autorités2 auxquelles l'ordre juridique reconnaît cette compétence3. 3On observera qu'à côté de telles règles existent des normes dont l'expression originaire ne résulte pas d'une formulation par l'autorité compétente4, et qui ne relèvent pas de ce qu'il est convenu d'appeler le droit écrit. Leurs sources, dont l'importance varie en fonction des matières et de l'époque, sont la coutume et les principes généraux du droit. C'est la jurisprudence qui en constitue le lieu d'émergence. 412. La recherche législative n'est pas seulement l'étape la plus fondamentale de la démarche heuristique du juriste ; elle est également celle qui présente le plus de difficultés, en raison de la « surproduction normative » et de l'instabilité qui caractérisent notre système juridique ; facteurs auxquels s'ajoute le morcellement des compétences législatives. 5Bossuet écrivait déjà : « On perd la vénération pour les lois quand on les voit si souvent changer. C'est alors que les nations semblent chanceler comme troublées et privées de vin, ainsi que parlent les prophètes. L’esprit de vertige les possède et leur chute est inévitable (...). C’est l'état d’un malade inquiet, qui ne sait quel mouvement donner (...). On tombe dans cet état quand les lois sont variables et sans consistance, c'est-à-dire quand elles cessent d'être des lois »5. 6Dans notre pays, au XIXe siècle, Edmond Picard publie une étude consacrée à la « confection vicieuse des lois ». Il relève l'état de confusion et d'instabilité de la législation et cite, à ce propos, M. Savart qui, en 1857, estimait à 10.000 le nombre de lois et règlements en Belgique et s'alarmait de ce qu'il s’agissait « d'un véritable labyrinthe où l'on chercherait en vain un fil conducteur »6. 7Depuis — et singulièrement au cours des dernières décennies —, le phénomène s'est considérablement amplifié, rendant pour ainsi dire obsolète le célèbre précepte de Montesquieu : « Il ne faut toucher aux lois qu'avec des mains tremblantes »7. 8Il s'agit là d'une situation générale8 qui trouve son origine profonde, notamment, dans l'évolution de l'« Etat-providence »9 9Sans entrer dans le détail de cette question qui nécessiterait de multiples développements, on se bornera à constater que la transformation du rôle de l'Etat entraîne nécessairement une mutation de la fonction normative. En raison des sollicitations nombreuses et fatalement contradictoires que les groupes sociaux adressent au système juridique, la « norme » s'avère souvent incapable de régir autre chose que des secteurs de plus en plus limités de la vie sociale10. En outre, la nécessité d'adapter les moyens d'action de l'autorité aux réalités du moment — besoin qui s'accroît dans la mesure de l'implication de l'Etat dans les différents domaines de la vie en société (économique, social, culturel, éthique, etc.) — explique l'instabilité de l’ordre juridique qui connaît d'incessantes modifications. La loi a vu atténuer, non seulement sa généralité, mais également sa permanence. 10Le phénomène de « segmentation » du système normatif est encore accru par un deuxième facteur, qui n'est vraisemblablement pas sans lien avec celui qui vient d'être exposé : il s’agit de la multiplication et de la dispersion des centres de décision. La diffusion — en Europe principalement — de modèles politiques inspirés de près ou de loin du fédéralisme aboutit à un éclatement des législateurs. Ce processus est évidemment marqué dans notre pays : nous aurons l'occasion d'en montrer les conséquences concrètes sur l'état de la législation. Mais il n'est pas inconnu ailleurs, sous des formes plus ou moins accomplies11. Or, la loi de l'Etat, qui est traditionnellement la forme régulatrice par excellence, se voit singulièrement démystifiée dès lors qu'apparaissent, à côté d’elle, des normes émanant d'instances « régionales ». Il en est de même des normes d'origine européenne : nous touchons là au troisième facteur de complexité de notre système juridique. 11L'irruption du droit communautaire européen entraîne, elle aussi, une redistribution de la fonction normative qui concerne, aujourd'hui, l'ensemble de notre système juridique. Point n'est besoin d'insister sur le nombre de règles d'origine européenne que recèle notre ordre juridique. Quant aux normes édictées par des autorités belges, on ne dénombre plus les réformes dictées par la nécessité de les adapter aux dispositions européennes. 12Ajoutons que cette « inflation normative » n'a nullement contribué à améliorer la qualité formelle des textes dans un pays où la « technique législative » ou « légistique » ne suscite encore que trop peu d'intérêt12, singulièrement dans la formation juridique13. Il en résulte des approximations, des difficultés d’interprétation, des erreurs... 13La difficulté de la recherche normative provient de ce que, malgré l'évolution qui vient d'être sommairement évoquée, peu d'efforts ont, à ce jour, été consentis par les autorités belges pour assurer un accès aisé à la législation14. Cette recherche n'est possible que grâce à l'existence de différents instruments qui, pour l'essentiel, relèvent encore de l'initiative privée et se complètent mutuellement. Si les praticiens du droit s'accommodent plus ou moins de cette situation, tel n'est évidemment pas le cas du citoyen, pour qui la présomption de connaissance de la loi relève de la fiction. 1413. Après avoir brossé un rapide tableau de ce que nous appellerons le « paysage normatif » (chapitre I), nous présenterons les principaux instruments de recherche en ce domaine (chapitre II). Les textes ainsi trouvés doivent être lus, compris, interprétés. Dans cette perspective, nous nous attacherons à mettre en lumière certains aspects relatifs à la présentation formelle des textes, avant d'initier les étudiants au maniement des travaux préparatoires qui permettent, dans certains cas, de mieux saisir la portée du texte (chapitre III). Cette première partie s'achèvera par la description du système conventionnel de références qu'il convient d'utiliser pour désigner les textes ainsi que les travaux préparatoires (chapitre IV). NOTES 1 Sans qu'il soit besoin de rappeler la différence entre « loi formelle » et « loi matérielle », précisons qu'on entend ici la « loi » au sens large et matériel d'acte normatif. Le sens strict du mot « loi » désigne l'acte, pris sous la forme de loi, par le pouvoir législatif fédéral. Sauf indication contraire, le mot « loi » sera pris, ci-après, dans son sens large et matériel. 2 Il faut y inclure les normes formulées en vertu des règles édictées par les autorités compétentes. On pense ici aux normes trouvant leur origine, non dans un acte unilatéral, mais dans la rencontre de volontés (p. ex. : les conventions collectives de travail ; voy. infra, n o 15). 3 Ces règles sont, en principe, sanctionnées par la contrainte publique. Il ne peut évidemment être question d’envisager ici la question de la juridicité d'une disposition obligatoire dépourvue d'une telle sanction. 4 Ou en vertu des règles édictées par celle-ci (voy. supra, note 2). 5 J.-B. BOSSUET, Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture sainte, livre I, art. IV, 8ème proposition, éd. critique par J. Le Brun (coll. Les classiques de la pensée politique), Genève, Librairie Droz, 1967, p. 28-29. 6 E. PICARD, De la confection vicieuse des lois en Belgique et des moyens d'y remédier, introduction à Pand. b., t. VI, Bruxelles, Larcier, 1881, p. LVIII. 7 Cité par R. HENRION, « Les lois oubliées », J.T., 1987, p. 261. 8 Un courant de critique tend, depuis plusieurs années, à dénoncer l'inflation législative sans précédent que nous connaissons aujourd’hui. Voy. par exemple : J.-P. HENRY, « Vers la fin de l'état de droit ? », Rev. dr. publ., 1977, p. 1207-1235 ; N. NITSCH, « L'inflation juridique et ses conséquences », Arch. phil. dr., t. XXVII, 1982, p. 161-179 ; P. AMSELEK, « L'évolution générale de la technique juridique dans les sociétés occidentales », Rev. dr. publ., 1982, p. 275-294 ; L'inflation législative et réglementaire en Europe, Paris, Ed. du Centre national de la recherche scientifique, 1986 ; J.-Cl. BÉCANE et M. COUDERC, La loi (coll. Méthodes du droit), Paris, Dalloz, 1994, spéc. p. 82 et s. ainsi que p. 194 et s. Ajoutons que le Conseil d'Etat de France a, dans son Rapport public 1991, consacré un chapitre à l'insécurité juridique née des changements incessants dans tous les domaines. Ce rapport a été publié dans La sécurité juridique, Liège, Ed. du Jeune Barreau de Liège, 1993, p. 159-194 ; voy. spéc. p. 161-178. Pour la Belgique, on mentionnera notamment Ch. HUBERLANT, « La présomption de la connaissance de la loi », Les présomptions et les fictions en droit. Etudes publiées par Ch. Perelman et P. Foriers (Travaux du Centre national de recherches de logique), Bruxelles, Bruylant, 1974, p. 186-228 ; M. GRÉGOIRE, « Le rôle du droit uploads/S4/ precis-de-methodologie-juridique 1 .pdf

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  • Publié le Mar 12, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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