Document 1 de 25 Revue des procédures collectives n° 5, Septembre 2015, étude 1

Document 1 de 25 Revue des procédures collectives n° 5, Septembre 2015, étude 18 La localisation des actifs dans les procédures d'insolvabilité : analyse de l'article 2, sous g) du règlement (CE) n° 1346/2000 Etude par Michel MENJUCQ professeur à l'école de droit de la Sorbonne (Paris I) Sommaire En présence de procédures d'insolvabilité transnationales, au problème de répartition des actifs entre les créanciers s'ajoute celui de la répartition des actifs entre la procédure principale et la ou les procédures secondaires ouvertes dans différents États membres contre le même débiteur comme l'illustre l'affaire Nortel. Cette répartition entre les diverses procédures dépend de la localisation des actifs qui est elle-même fonction de la qualification des actifs, point qui n'est réglé de manière satisfaisante ni par le règlement (CE) n° 1346/2000 ni par sa version révisée n° 2015/848. 1. - L'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne le 11 juin 2015 dans l'affaire Nortel, très largement commentéNote 1, a fait émerger, compte tenu de la nécessité de localiser les actifs particulièrement au regard de la procédure secondaire, la question de la qualification des actifs. En effet, pour déterminer la localisation, au jour de l'ouverture des procédures principale et secondairesNote 2, des biens et droits du débiteur, l'article 2, g) vise, par des règles matérielles de localisation, des catégories de biens et droits. Encore faut-il que les actifs du débiteur puissent être intégrés dans l'une de ses catégories, ce qui correspond à l'opération de qualification qui consiste à classer un bien ou un droit au sein d'une catégorie juridique prédéterminée. 2. - Dans l'affaire Nortel, où ce problème de qualification se posait, l'enjeu était de taille puisqu'il s'agissait de déterminer quelle procédure, entre la procédure principale ouverte en Angleterre contre la filiale française (dénommée Nortel Network SA, en abrégé NNSA) du groupe Nortel et la procédure secondaire ouverte en France, pouvait prétendre avoir des droits sur les fonds d'un montant supérieur à sept milliards de dollars détenus sur un compte séquestre (« lock box ») aux États-Unis. 3. - Mais au-delà, la question même de la qualification des actifs dans le cadre du droit européen des procédures d'insolvabilité n'a pas fait, jusqu'à présent, l'objet de la discussion doctrinale qu'elle mérite. En réalité, le coeur de la discussion consiste à déterminer si tous les biens et droits susceptibles de composer l'actif d'un débiteur peuvent et doivent, quelle que soit leur nature, être classés dans l'une des catégories visées par l'article 2, g) du règlement (CE) n° 1346/2000. Or, l'article 2, g) du règlement (CE) n° 1346/2000 ne distingue, de manière très lacunaire, que trois catégories de biens et droits. D'une part, les biens corporels localisés dans l'État membre sur le territoire duquel ils sont situés. D'autre part, les biens ou les droits que le propriétaire ou le titulaire doit faire inscrire dans un registre public, sont localisés dans l'État membre sous l'autorité duquel ce registre est tenuNote 3. Ainsi, les registres publics pour Page 1 l'enregistrement de navires, aéronefs, marques et brevets sont à l'évidence visés par ce texte. Enfin, l'article 2, g) vise les créances qui sont localisées dans l'État où se trouve le centre des intérêts principaux du tiers débiteur. Mais qu'en est-il des biens ou droits qui n'entrent dans aucune de ces trois catégories ? Faut-il réaliser un forçage de l'article 2, g) et un élargissement de chacune des trois catégories pour y faire rentrer tous les types de biens et droits ? Ce serait la conséquence d'une interprétation autonome de l'article 2, g) qui aurait l'avantage d'assurer une application uniforme des critères de localisation des actifs dans l'Union européenne. C'est ce que préconise dans ses conclusions relatives à l'affaire Nortel, l'avocat général Paolo Mengozzi en faveur d'une interprétation autonome du règlementNote 4. La Cour de justice s'est aussi prononcée dans son arrêt du 11 juin 2015 en faveur de cette interprétation en affirmant que : « s'agissant de la question de savoir si, aux fins de l'application du règlement (CE) n° 1346/2000, un bien doit être considéré comme étant trouvé sur le territoire d'un État membre à la date de l'ouverture de la procédure d'insolvabilité, il y a lieu de constater que ce règlement prévoit effectivement des règles uniformes, excluant, dans cette mesure, tout recours au droit national »Note 5. Une autre interprétation aurait cependant été possible consistant à opérer un renvoi au droit national comme nous l'avions suggéréNote 6. 4. - La problématique demeure à l'identique avec le nouveau règlement (UE) n° 848/2015 du 20 mai 2015 dont l'article 2, paragraphe 9, prévoit une liste des catégories de biens et droits certes plus complèteNote 7 mais non exhaustive, certains biens, comme le fonds de commerce, ou droits incorporels, comme le savoir-faire, ne trouvant toujours pas à s'intégrer dans les catégories du nouveau texte européen. Inutile de dire que des droits plus originaux, comme le beneficial ownership du dossier NortelNote 8, ne pourraient pas davantage être classés dans l'une des catégories du nouveau texte qu'ils ne le peuvent dans l'article 2, g). 5. - La question est donc la suivante : comment faire si un actif ne correspond pas à l'une des trois catégories visées par les dispositions de l'article 2, g) ? Faut-il considérer que les actifs n'entrant dans aucune catégorie appartiennent à la procédure principale dans une approche que nous avons qualifiée de simplisteNote 9 ? Ou peut-on procéder à une analyse par analogie en recherchant les principes généraux qui ont présidé la rédaction de l'article 2, g) voire au texte du nouveau règlement ? 6. - Une chose est sûre : dans l'affaire Nortel, l'avocat général a adopté une approche par analogie, très convaincante. Cela étant, sur ce point, la Cour de justice n'a pas repris ce raisonnement. En effet, elle a considéré que « malgré la complexité de la situation juridique en cause au principal, cette règle [de l'article 2, sous g)] doit permettre à la juridiction de renvoi de localiser les biens, les droits ou les créances concernés »Note 10. Elle s'est donc contentée de rappeler la grille de lecture de l'article 2, g) au tribunal de renvoi. À cet égard, le tribunal doit d'abord vérifier si les biens en question peuvent être considérés comme des biens corporels. Si tel n'est pas le cas, le tribunal doit vérifier si ces biens « constituent des biens ou des droits que le propriétaire ou le titulaire doit faire inscrire dans un registre public, ou s'ils doivent être considérés comme étant des créances ». Dans ces deux hypothèses, il convient de vérifier, respectivement, si le registre ou le centre des intérêts principaux du tiers débiteur est localisé en France. La Cour de justice conclut que « C'est seulement au cas où l'une de ces vérifications aboutirait à un résultat positif que les biens en cause relèveront de la procédure secondaire d'insolvabilité ouverte en France »Note 11. Le problème reste donc entier. Une contribution à la résolution de cette problématique suppose dans un premier temps d'apprécier l'article 2, g) au regard la caractérisation des actifs du débiteur (1) et dans un deuxième temps d'interpréter l'article 2, g) au regard de la classification des actifs du débiteur (2). 1. Appréciation de l'article 2, g) au regard de la caractérisation des actifs du débiteur 7. - En l'occurrence, la question est de savoir si l'article 2, g) a ou non vocation à caractériser la nature juridique d'un bien ou d'un droit pour en déduire son rattachement à telle ou telle catégorie juridique prédéterminée, c'est-à-dire à qualifier ce bien ou ce droit. Par exemple, la détermination de la nature juridique d'un bien tel que le fonds de commerce relève-t-elle du règlement (CE) n° 1346/2000 ou du droit national d'où est issue cette institution juridique ? La question même suggère la réponse. Page 2 8. - Il est bien évident que le règlement (CE) n° 1346/2000, comme son successeur le règlement (UE) n° 848/2015, n'ont pas vocation à définir la nature juridique des droits et institutions propres aux droits nationaux des États membres. Ainsi, la qualification de bien incorporel, constituant une universalité de fait comprenant des éléments corporels (tels que des stocks ou des machines) et des éléments incorporels (tels que le nom commercial, le droit au bail, la clientèle et la propriété intellectuelle), retenue pour le fonds de commerce relève exclusivement du droit national concerné (lex causae), en l'espèce du droit français, et certainement pas du règlement (CE) n° 1346/2000 ou plus tard du règlement (UE) n° 848/2015. Cette déduction logique vaut d'autant plus fort à l'égard de droits ou de biens ayant une nature juridique propre à des droits nationaux d'État tiers à l'Union européenne comme, dans l'affaire Nortel, le beneficial ownership spécifique au droit canadien. 9. - Il ne faut donc pas se méprendre sur l'objet de l'article 2, g) : il n'a pas vocation à régler la qualification des biens et droits en caractérisant leur nature juridique mais seulement à énoncer des règles matérielles de localisation des actifs. La qualification des biens et droits ne saurait uploads/S4/ revue-des-procedures-collectives2015-11-04-13-38.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jan 23, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 1.1262MB